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Transgression

Transgression

Published Sep 27, 2022 Updated Sep 27, 2022 Culture
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Transgression

 

Ce matin d’automne 2020, le soleil brillait dans le ciel bleu outremer des Hautes-Alpes, enflammant de ses rayons les dernières feuilles mordorées des arbres. J’aurais dû, comme il était prescrit, prendre tranquillement le petit chemin en face de chez moi, parcourir vaguement quelques lacets, admirer, au loin, les eaux bleues du lac de Serre-Ponçon et rentrer sagement moins d’une heure plus tard.

Mais là, non, je n’ai pas pu. La révolte a grondé sous mon crâne, la rage, la fronde, l’énergie du désespoir. Toutes ces frustrations accumulées depuis mars, les longues semaines sans pouvoir serrer l’homme qu’on aime dans ses bras, parce qu’il habite loin, au-delà des limites autorisées, cet anniversaire « rond » qu’on devait célébrer avec famille et amis, fête annulée à la dernière minute, l’absence de chaleur, de baisers, de rires autour d’une table… Qu’est-ce qu’une heure et un kilomètre, quand on a dû renoncer aux longues sorties sauvages dans la poudreuse, perdue dans un paradis d’une blancheur éblouissante et virginale, aux sommets rocheux où, de prise en prise, l’esprit s’éloigne de tout ce qui n’est pas cette voie d’escalade, où chaque dégaine posée est une petite victoire sur soi-même ? Ce n’est pas quelques pas, toujours les mêmes, sur un chemin entre deux prés qui peuvent gommer la douleur des deuils, les déceptions, les trahisons, les rejets, tout ce cortège d’idées noires qui viennent caracoler dans les longues journées trop sédentaires.

Alors j’ai sorti mon sac à dos, y ai glissé quelques vivres, une gourde bien remplie, des vêtements chauds, le téléphone portable pour l’application bien pratique de cartographie… Tant pis s’il fallait tricher avec les attestations ! J’ai enfilé mes chaussures de randonnée et je suis partie en direction du sommet qui me narguait depuis ma fenêtre. Pas selon le parcours habituel, qui aurait nécessité un trajet en voiture. Non, tout droit, au plus simple… et plus raide. D’abord, la piste, le premier hameau, déjà presque hors limites. Marcher encore un peu le long de la route, le cœur battant : ce serait trop bête de se faire prendre ici, tout de suite, trop tôt. S’esquiver un peu plus loin, entre deux buissons épineux, sur une sente étroite et mal entretenue. Suivre le petit point rouge sur l’écran du portable, qui permet de choisir le passage le plus commode et le plus secret, où aucune voiture, aucun quad, ni même VTT ne pourra vous surprendre… Je m’élevais petit à petit, la vue sur le lac devenait de plus en plus plongeante et grandiose, déjà j’avais dépassé le kilomètre… vertical. Les sentiers avaient disparu, seules subsistaient quelques traces d’animaux. Je cheminais sur un tapis d’aiguilles de mélèze rousses, longeant quelques fourmilières, croisant çà et là une biche ou un chevreuil étonnés.

Plus haut, encore plus haut… Quand il ne reste plus rien que le souffle court, que l’attention qu’on porte à chacun de ses pas pour ne pas se blesser, que la splendeur mêlée des montagnes déjà enneigées, du bleu éclatant du ciel, du flamboiement des arbres. Quand la cime se fait proche et qu’on y tend toutes ses forces, en oubliant tout le reste… Et puis, enfin, se tenir debout près du cairn sommital, heureuse et fière d’avoir réussi son petit challenge, son escapade hors de l’angoisse et de la grisaille distillée par les médias, hors du monde d’en bas… mille sept cents mètres plus bas…

Tiens, là-bas, sur le sommet d’en face, un autre transgresseur ! Nous nous fîmes un petit signe complice de la main, avant de descendre, chacun de son côté. Je décidai de revenir par les crêtes pour faire durer encore un peu l’ivresse de la contemplation. Puis, de nouveau, je recherchais les sentiers cachés qui strient la montagne à l’abri des regards. Et, beaucoup plus tard, dans le soleil couchant qui rendait pourpres les eaux du lac, je corrigeai mon heure de départ en songeant à ce paradoxe d’être hors la loi tout en ayant la conscience tranquille. Avant de détendre mes muscles raides dans la chaleur de la douche, en savourant cette parenthèse bénie qui me permettrait de tenir encore. Tenir jusqu’à retrouver les bras aimés, la liberté d’aller où bon vous semble, les visages découverts et les rires entre amis…

 

 

Et voici la version audio de mon texte 

 

 

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