Mon moment de Noël préféré c'est quand c'est fini !
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Mon moment de Noël préféré c'est quand c'est fini !
Mon moment préféré de Noël c’est quand c’est fini ! qu’il a dit.
Il est 11 heures, le 23 peut-être même le 24 pour ce que ça lui change à lui. Il s’est accroché à sa bière, ça doit être la troisième qu’il s’enquille.
Personne ne lui a posé la question de son moment préféré, c’est la télé qui diffusait encore un truc de Noël avec des enfants américains qu’ont l’air trop propres sur eux.
« Une gueule en carton-pâte, des minots dans ce genre-là, ça n’existe que dans les films ». Qu’il a pensé tout haut.
Alors il a juste voulu réagir, dire un truc quoi, pour exister. Au PMU personne ne l’écoute plus de toute façon, il est celui qu’on regarde distraitement quand on vient chercher ses clopes. Il le sait lui qu’il est un indésirable chez monsieur moyen, une anomalie dans une vie bien rangée.
Avant, du temps de Liliane, quand c’était elle la taulière du troquet, elle s’asseyait à ses côtés, lui faisait la conversation. Elle savait y faire la Liliane avec les éclopés de la vie. Puis, je te le donne en mille, elle s’est tirée l’année dernière, à la période de Noël.
Une bonne chiasse, voilà ce qu’il en pensait lui de Noël et de sa sauce à la guimauve ridicule, ces pubs coca-cola à la con, les cadeaux, les gosses qui chouinent pour avoir un putain de jeux vidéos où des gens s’entretuent.
Faut vraiment n’avoir jamais vu la guerre pour s’amuser à y jouer. « Un coup d’Algérie comme y nous on fait à nous et ça leur passera l’envie de la guerre, même pour de faux ».
Il y avait perdu Bébert en Algérie, un 21 décembre, 19 ans, fauché, comme ça. Noël a eu le goût de la cendre cette année-là.
Les yeux vitreux dans une bière de Noël au couleur ambrée, il y repense à Bébert.
- Patoche, va falloir y aller, je ferme le bar.
- Mais il n’est même pas 14 heures.
- Oui mais c’est Noël je ferme plus tôt.
- Décidément qu’elle merde cette fête.
Cette fête, comme il disait, c’était une bouillie d’émotion, un aspirateur d’âme pour lui, ça lui donnait envie de tout foutre en l’air et lui avec.
Où est ce qu’il allait bien pouvoir s’enquiller une nouvelle bière, navire de son autodestruction programmée.
Il s’est assis au bar du centre.
- Il ferme à quelle heure ton troquet ?
- 20 heures ce soir.
« Tant mieux, je vais pouvoir écluser tranquille »
Il avait le lever de coude professionnel, une légère biture qui n’en finit pas. Ça n’a pas toujours été le cas pourtant, même qu’il a eu un métier avant.
Il buvait que le week-end à l’époque, avec les collègues, au bal. Il s’envoyait des sacrés ronflées et repartait à vélo, parfois ça finissait dans le fossé son histoire, mais à part quelques boutons de manchettes à recoudre et les orties qui lui grattent la trogne, il s’en tirait toujours bien.
Quand il a rencontré Henriette au bal, dans un moment d’ivresse il a eu le courage de l’inviter à danser. Fallait oser, c’est qu’elle plaisait la Henriette, faut pas croire. Elle avait des jambes longues et des beaux escarpins.
« Et elle m’a choisi moi, face à tous les autres, moi ! »
Il lui avait fait deux gosses, tellement qu’il en avait de l’amour à revendre en ce temps-là. Thomas et Marie, qu’ils les avaient appelés les mômes.
Ils ont été heureux accrochés en banlieue, lui maçon, elle standardiste chez Peugeot.
C’est le travail qu’a tout foutu en l’air, faut bien le dire, il la voyait plus beaucoup la Henriette, avec ses horaires à la con. Lui qui bougeait sans cesse, qui revenait crevé à pas d’heure le soir, et puis de sale humeur parfois, faut l’avouer.
Un 19 décembre, une note sur la table et plus personne à la maison. Elle était partie la Henriette et les gosses avec. Dans le sud, qu’elle s’était barrée, avec un gugusse rencontré au travail, de ceux des bureaux, qu’ont les ongles tout propre.
Noël avait eu le goût de la solitude cette année-là.
Il avait bien essayé de les revoir les gosses et puis d’aller dans le sud aussi, mais c’était devenu compliqué avec le boulot. Puis, Henriette et le nouveau qui ne souhaitaient pas trop qu’il vienne foutre son sale pied dans leur bonheur à eux.
Il aurait pu faire plus c’est sûr, mais bon.
- Patoche, va falloir y aller, je ferme.
Le vla dans le froid maintenant, va falloir qu’il rentre dans sa petite baraque, mal agencée, s’enfiler deux trois Ricard histoire de finir Noël plus vite, essayer de pas vomir, et se lever demain matin sans sapin, sans cadeau, sans famille, sans gâteau, sans gosse et sans existence dans le regard de l’autre.
En passant, l’église est allumée, il ne s’est pas trop pourquoi, mais il entre. Il y a quelques familles des enfants aussi, la voix du prêtre résonne et puis les chants de Noël sont repris en cœur.
Il se revoit tout gosse à l’église le soir de Noël, sa mère à ses côtés, lui faisant un clin d’œil. Quand le prêtre parle elle lui tient la main, fort. Il se rappelle qu’au sortir de l’église, elle le prend dans ses bras, et l’embrasse sur le front. Il se rappelle avoir pensé, « rien ne peut m’arriver », il se rappelle cet amour fou et une larme apparaît.
L’église se vide et c’est un enfant qui le réveille.
- Maman, maman c’est lui le père Noël ?
- Non, lui c’est un monsieur qui aide le père Noël.
A dit la mère avec un clin d’œil et un sourire en coin.
- Oui, qu’il a dit Patoche, charmé par la magie ambiante.
- Monsieur l’aide du père Noël voulez-vous nous faire l’honneur de manger avec nous ?
Il existait.
Mon moment préféré de Noël c’est celui qu’on partage.
Bernard Ducosson 1 year ago
Un gouailleur, mais bien plaisant !
Axel Falleri 1 year ago
Les illustrations sont de Eliott Robert