Découvrir le patrimoine près de soi : pas besoin d'un bac+5
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Découvrir le patrimoine près de soi : pas besoin d'un bac+5
Je suis parfois attristée de n'entendre parler dans les médias que de la seule histoire des grands événements et grands personnages (Louis XIV, Napoléon, les guerres mondiales, etc.). Peut-on résumer le passé de toute l'humanité à ces seules entités ? L'histoire locale, celle de nos grands-parents ou de notre région, plus proche de nous au quotidien, est pleine de détails significatifs des changements d'époques. Elle est d'ailleurs l'objet d'un courant particulier de la recherche en histoire que l'on appelle la « microhistoire ».
Souvent placées sous le sceau de l'anecdote, les histoires glanées auprès de notre grand-père lors d'une partie de boule ou sur la plaque près du puits du village sont à mes yeux de bonnes portes d'entrées pour alimenter un intérêt pour l'histoire. Elles nous permettent de poser un autre regard sur ce qui nous entoure, de mettre en perspective les changements en constatant les évolutions dans le temps. Pensons par exemple aux moulins, aujourd'hui délestés de leur usage mais conservés pour leur esthétique. Ils étaient autrefois un des centres d'activités et de rencontre du village.
MaryneFournier©Puits, Bretagne
Oser explorer autour de soi
Il n'y a pas nécessairement besoin d'aller bien loin pour découvrir son patrimoine. En se promenant sous le soleil ou sur le net, il est possible d'inventer des façons simples et accessibles de partir à la recherche du passé qui nous entoure.
Je commence souvent par aller voir la fiche Wikipédia d'un endroit qui m'intéresse. Je peux y trouver des informations intéressantes dans la rubrique « histoire » par exemple. Parfois je découvre avec plaisir que telle personnalité a vécu près de là ou bien cela me donne des pistes d'endroits à visiter. Si j'ai des doutes sur ce que je lis, je jette un coup d’œil dans les notes en bas de la page pour vérifier l'information. Parfois également, je circule de page en page sur les site internet des communes ou sur des sites de passionnés de la région. Ce derniers sont souvent riches en détails, parfois même plus intimes puisque souvent constitué de souvenirs, ce qui rend le récit plus vivant.
Mais surtout, j'adore aller me promener le nez en l'air, les sens aux aguets. Je peux par exemple aller faire un tour près d'un étang, m'enfoncer dans des ruelles étroites et revenir m'asseoir sur un banc place de la mairie et essayer de m'imaginer 50 ans plus tôt. Je suis à l’affût de détails trahissant des traces du passé. Je scrute les environs à la recherche d'une arche en pierre, pleine de mousse se détachant d'un bâtiment moderne. Ou je me mets à rêver d'une bonne vieille plaque en cuivre, polie par le temps annonçant l'emplacement d'un complot politique ou le lieu de naissance d'une célèbre écrivaine.
S'ils sont bien fait, j'aime bien parcourir les panneaux pédagogiques pour en savoir plus sur l'histoire du lieu ou l'environnement que je visite. J'y trouve quelques fois des informations sur les grenouilles, les myosotis ou les champignons qui m'entourent. Il m'arrive de les prendre en photo pour les relire à tête reposée ou de prendre quelques notes.
Quand je me balade, il m'arrive d'essayer de débusquer la plus ancienne maison autour de moi et de tenter de deviner son époque. Si je remarque une église, j'examine sa forme : est-elle d'inspiration gothique, romane ? Voici un site utile pour aider à les reconnaître.
MaryneFournier©Montagne Saint Michel, dans les Monts d'Arrées
Suivre les traces
Occasionnellement, si j'aperçois une date ou un blason sur une maison, j'essaye de garder en tête les détails pour faire des recherches et tenter de les retrouver ailleurs. Peut être était-il déjà sur ma page Wikipédia... ?
Il y a certaines des traces du passé qu'on côtoient tous les jours sans jamais s'y intéresser ou même les remarquer.
J'ai grandi dans un village où il y avait un menhir. Menhir signifie « pierre longue » en breton. J'ai longtemps cru que je devrais me rendre en Bretagne pour observer de près ces traces de la préhistoire, alors même que j'en avais un près de moi en Maine-et-Loire ! Des menhirs il y en a partout sur terre, en France, en Arménie, en Inde. Celui de mon village, a été christianisé, ce qui signifie qu'il se retrouve maintenant avec une croix chrétienne apposée ou dessinée dessus pour en faire oublier l'origine dite « païenne ».
Un château en ruine, un moulin à l'arrêt, une tour à grains, des restes de fortifications, un bout de mur romain... Si vous y faites attention, le passé qui vous entoure va commencer à vous sauter aux yeux et vous ne verrez plus jamais votre lieu d'habitation de la même manière. J'ai souvent le délicieux sentiment de revêtir des lunettes spéciales que me donne l'illusion de percevoir l'Histoire.
Je trouve quelque fois des traces d'anciennes activités : un lavoir, un puits, des trous étranges dans un mur de grange. Ces traces d'activités témoignent des usages du passé, de ce dont on avait besoin au quotidien pour manger, habiter, commercer. S'intéresser à ces traces nous forcent à prendre pleine conscience de la disparition progressive des zones d'activités dans les campagnes.
Un lavoir par exemple nous renseigne sur la façon dont on lavait le linge autrefois. Plus qu'une corvée, il s'agissait d'une activité collective, d'un moment de rassemblement entre femmes à une époque où la machine à laver n'existait pas. Dans certains pays, des traditions des chants entouraient ce moment essentiel à l'entretien de la maison et en faisait un instant convivial. Je dois dire que je ressens rarement la convivialité en allant au lavomatique, même si j'imagine que j'ai la chance d'avoir moins mal aux bras.
Dans certains endroits, on peut trouver les traces de vieilles signalisations de circulation peintes à même les murs des maisons ou constituées de jolie céramique. Certaines sont très anciennes et conservent un charme particulier. Ces traces nous permettent de constater l'évolution des techniques d'orientation : seraient-elles suffisantes de nos jours avec la rapidité de nos moyens de transports et la fréquence des trajets de nuit ? Je crains que suivre un itinéraire de nuit avec un seulement un peu de peinture sur un mur nous fasse tourner en bourrique.
Plus tard, je me suis aussi intéressée au patrimoine urbain : j'habitais en ville, entourée d'immeubles et de zones commerciales. Je me suis rendue compte qu'ils ont aussi leur histoire. Le béton, dont on se plaint parfois aujourd'hui, a eu sa raison d'être et son heure de gloire. Dans cette petite vidéo, on comprend le rêve de modernité et de confort que ce matériau incarnait dans l'après-guerre. Puis, comment aujourd'hui, après avoir été marginalisées, les cités retrouvent une place d'honneur dans les milieux artistiques.
MaryneFournier©, le mélange d'époque, à La Haye
Rencontrer des conteurs d'objets
Pour approfondir sa compréhension de l'histoire locale, avoir un musée d'histoire près de chez soi est une chance. Même si se rendre au musée n'est pas toujours un choix qui va de l'évidence, ce sont néanmoins des lieux où il est possible d'en apprendre plus sur le patrimoine local, celui que l'on côtoie le plus.
Parfois, je m'inscris à une visite guidée et je me laisse bercer par quelqu'un qui s'y connaît. Je parviens rarement à rester attentive à tout ce qui est dit, ce serait illusoire. Cependant, je capture dans ma mémoire les éléments qui m’intéressent et ressors du lieu avec le sentiment d'avoir acquis une sorte de nouvelle richesse que j'ai envie de partager. Cela me permet également d'avoir une personne à qui poser mes questions. Même si elle ne possède pas la réponse, il y a des chances qu'elle puisse me donner des pistes où chercher.
J'ai moi-même été médiatrice dans un musée et certains de mes plus beaux souvenirs sont certaines confidences de visiteurs sur des objets qui étaient exposés. Des personnes âgées me parlaient de leur enfance à la ferme en voyant une meule à grain, évoquant leurs souvenirs des moissons ou des fêtes religieuses, des enfants prenaient des photos des costumes traditionnels les yeux brillants, faisant dans leur tête le chemin avec leurs ancêtres ou les trouvant tout simplement magnifiques.
Découvrir à domicile
Si je me sens plus d'humeur à rester à la maison, je fais un tour sur les sites internet des musées ou des archives qui m'intéressent. Certains ont exposé leurs collections en ligne ou offrent une visite virtuelle, comme c'est le cas par exemple du musée du Louvre où l'on peut visiter des salles d'expositions comme ici la petite galerie. Vous y trouverez des marionnettes jouant sur les effets d'ombre.
Je m'amuse aussi quelques fois à aller me balader sur Google Maps. Par exemple, en plein cœur du Groënland. J'avais quelques préjugés en y allant, imaginant que j'allais sûrement tomber sur quelques phoques, d'énormes bateaux de pêche ou des igloos en cliquant au hasard. Bon. Je me suis rendu compte que ce n'était pas très différent de ce que je connaissais : j'ai croisé des églises, des lampadaires et des stades de foot. Donc après tout, pourquoi ne pas utiliser Maps afin d'aller visiter virtuellement le patrimoine près de chez nous ? Pas de courbatures, ni de coups de soleil à craindre et on peut même jeter un œil à ce qui nous plaît d'un point de vue aérien !
Photo de Marjorie Teo sur Unsplash
Si j'ai envie de quelque chose de plus complet, je cherche des vidéos sur Youtube. On peut y écouter des témoignages et regarder des documentaires sur le sujet qui nous intéresse. Je me rappelle avoir regardé l'autre jour une vidéo de 20 minutes sur le principe des armes à silex. Qu'est-ce qui m'a pris ? Je connaissais pas, je me suis laissé tenter et étonnamment ça m'a passionné : j'ai enfin compris la logique mécanique des premières armes à feu.
J'ai également découvert une vidéo rassemblant des témoignages sur Mai 68 d'un point vue régional. Ces témoignages m'ont profondément émue et intéressée. Plusieurs personnes racontaient les évolutions de la société qu'ils et elles ont connu. Une dame notamment, nous racontait l'isolement contemporain à travers l'exemple des courses.
Elle avait connu le temps où l'on partait de chez soi à pied pour faire ses emplettes dans les épiceries proches. Tout était prétexte à la rencontre : les gens croisés sur le chemin, la conversation avec l'épicière, le boucher ou la voisine hélée en rentrant. Aujourd'hui quand elle prend sa voiture pour aller au supermarché, elle ne croise personne sur le chemin et revient chez elle sans avoir adressé plus de trois phrases avec les personnels de caisse. Je suis toujours très touchée de ce type d'anecdote qui en quelques phrases, nous démontre les transformations dans le temps.
On reçoit parfois ce type d'histoire éclairante de la part de gens proches de nous. J'adore demander aux personnes de mon entourage de raconter un événement marquant, historique qu'ils ont vécu, même de loin et ce que cela a signifié pour eux. Par exemple : Mai 68, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre mais aussi la vie à la campagne en 1980, le quotidien durant la guerre d'Algérie, l'arrivée d'Internet. Je ne connais pas de meilleure manière de rendre l'histoire vivante, palpable, de la rendre incarnée. On en apprend souvent plus qu'espéré et cela créé toujours un échange particulier, plus intimiste.
L'histoire, le patrimoine appartiennent à tout le monde, pas seulement aux vainqueurs et aux grandes figures. La grande histoire, celle des grands événements et personnages, est importante et nécessaire à prendre en compte : elle situe un contexte et explique les orientations générationnelles. Cependant, l'histoire du reste de l'humanité et celle des choses du quotidien ont droit à leur place dans nos mémoires. Nous même faisons déjà partie de l'Histoire.
Si vous aussi, vous avez des astuces ou des petites manies, n'hésitez pas à me les partager en commentaires.
Bonne découverte ! :)
Image de couverture : photo de Annie Spratt on Unsplash
Julien Guyomard 3 years ago
J'aime votre approche de l'histoire, je pense que je vais regarder les alentours differemment maintenant !