La vie en rose
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La vie en rose
C’était un dimanche midi, le dernier du mois de juillet, dans une semaine nous serions en vacances. Nous nous préparions à déjeuner. Pour l’instant, Claire ma femme et moi nous prenions notre traditionnel apéritif dominical pendant que nos deux fils se chamaillaient.
La routine quoi…
L’aîné, Alex, était rentré la veille d’un séjour « linguistique » en Irlande. Le second, Mimi comme nous l’appelons, n’avait pas voulu quitter sa mère, il était allé au centre aéré communal.
Tout allait bien, dans une semaine nous aurions rejoint nos amis sur la plage charentaise où nous avions nos habitudes.
Ma femme qui était déjà en congé avait préparé les valises et, comme chaque année, je me demandais comment nous allions transporter tout ça dans notre modeste voiture… Il était prévu que nous nous arrêtions un jour ou deux chez ma grand’mère Néomaÿe, ("Mémé Néoma" qui vivait solitaire dans un village reculé au fin fond du Poitou).
Tout était millimétré, tout allait bien.
Un bruit de battements d’ailes me fit détourner la tête. Rien ! probablement un pigeon ou une tourterelle. Du moins le pensais-je. Mais la stupeur que je vis sur le visage de ma femme m’alarma. Les yeux écarquillés, sans un mot elle allongea le bras le doigt tendu vers le grand cerisier du jardin. Elle aurait vu un OVNI qu’elle n’aurait pas eu l’air plus surprise.
⎻ Que se passe-t-il ?
⎻ Regardez ! se contenta-t-elle de dire en baissant la voix.
Un perroquet se tenait sur la basse branche de l’arbre. Un perroquet gris à queue rouge.
⎻ Ah ça ! et d’où viens-tu, toi ?
Mimi, tout excité allait se précipiter vers l’oiseau, je le retins.
⎻ Si tu cours vers lui sans prudence, il risque de s’envoler, alors reste calme. Cet oiseau sort d’une cage, il appartient à quelqu’un qui doit le chercher. Un perroquet comme celui-ci coûte très cher.
Le gris pas effrayé, arpenta la branche à plusieurs reprises. La tête penchée sur le coté il nous regardait de son œil cerclé de blanc. Il ébouriffa les plumes de son cou et commença à émettre ce borborygme nasillard fréquent chez les perruches, entrecoupé de sifflements stridents.
Avec beaucoup de circonspection je portais une chaise sous le cerisier dans laquelle je mis un quartier de pomme, quelques cerneaux de noix, des graines de raisin et un bol d’eau. Nous avions largement entamé notre repas lorsqu’il daigna voler jusqu’à la chaise. Il saisit le morceau de pomme et commença à le déguster en séparant la peau de la pulpe.
⎻ Une pomme ! cria -t-il distinctement.
Je ne saurais vous décrire notre stupeur.
⎻ Il parle, il parle, cria Mimi.
⎻ Doucement ! Toi, ne crie pas, lui intima sa mère, tu vas l’effrayer. Je te fais remarquer que non seulement il parle, mais il sait reconnaître le fruit qui lui a été offert. Incroyable ! cet oiseau est très intelligent…
Nous étions tellement pris par cette improbable irruption dans notre vie que nous en oubliions de manger.
Lorsque Mimi leva le reste de pomme en l’air, le perroquet sans hésitation vint se percher sur son bras pour s’emparer du fruit.
⎻ Coco ! merci Coco, répéta-t-il plusieurs fois de suite.
Nous en déduisîmes qu’il devait s’appeler Coco. Malgré les griffes qui lui rentraient dans la chair, l’enfant rouge de bonheur goûtait le ravissement d’avoir été choisi. Moi, je pensais que quelque part pas loin d’ici quelqu’un pleurait son compagnon disparu. J’appréhendais le moment où nous allions retrouver ce propriétaire et le chagrin qu’allait éprouver Mimi à l’occasion de cette prochaine séparation.
Avec Claire nous passâmes notre lundi à contacter les gendarmeries, les vétérinaires et les oiselleries du coin pour savoir si quelqu’un cherchait un perroquet gris du Gabon. En vain.
On nous dissuada même de passer une annonce, vu la valeur du volatile, cela risquant d’attirer la convoitise des aigrefins à l’affût d’une bonne affaire.
Une ancienne cage à hamster nous permit de faire un passage rapide chez notre vétérinaire attitré. A la vue de la blouse blanche du véto déclencha chez Coco une bordée de jurons : « Quel con celui-là ! » et « Ah merde alors ! » toujours utilisé à bon escient. Ce qui provoqua une crise de fou rire dans la salle d’attente. La conclusion du docteur fut que Coco avait déjà rencontré un de ses confrères qui avait dû lui faire quelques petites misères. Le docteur déclara notre visiteur en parfaite santé et évalua son âge à une dizaine d’années. La déception fut qu’il ne portait pas de puce d’identification.
Cet oiseau ne pouvait rester indéfiniment sur l’épaule de mon fils, qui ne rechignait pas à lui servir de support. A l’aide d’une vieille tringle à rideau en bois je fabriquai un perchoir qui parut parfaitement convenir à Coco.
Le lendemain je rendis visite à plusieurs oiselleries du Quai de la Mégisserie à Paris, personne n’avait signalé la disparition d’un gris du Gabon. Il fut donc convenu que nous garderions Coco jusqu’à plus ample informé.
Outre les aboiements d’un roquet, le miaulement d’un chat, le grincement d’une porte ou la sonnerie du téléphone, il nous fallut nous habituer aux coups de klaxon intempestifs qui nous faisaient sursauter à chaque fois tant ils étaient réalistes. Un jour, probablement excité par les commentaires de la télé, il nous chanta la première strophe du refrain de "La vie en rose", façon Piaf… Nous étions… séduits, il n’y a pas d’autres mots. Nous avions enfin un renseignement sur son ancien propriétaire, il aimait Piaf et devait souvent écouter « La vie en rose ».
La présence de cet oiseau nous amena de nombreuses visites, d’abord les voisins, puis les voisins des voisins surent rapidement que nous possédions un perroquet… insolent.
Chaque curieux était salué d’un « Qu’est-ce qu’il veut celui-là ? » ou d’un « Marie des verres ! », « Vous boirez bien un coup », « un Pastis ? » Lorsque la discussion devenait trop bruyante à moins que le visiteur déplût à Coco il avait droit à « Quel con, celui-là ! » ou à un intempestif : « Imbécile ! ». Bref, notre demeure était devenue une baraque de fête foraine où il était de bon ton de venir se faire insulter par Coco…
Il eut rapidement son groupe de fans. On ne nous demanda plus comment allait notre santé, mais « Comment va Coco ? » Ce monde est ingrat.
L’heure du départ en vacances arriva et nous n’avions pas trouvé de solution à l’hébergement de Coco. Il fut décidé que nous le déposerions au passage chez "mémé Néoma" ( Méméma, pour moi ). Nous le reprendrions à notre retour. Pendant tout le voyage Coco enfermé dans la cage du hamster regarda défiler la route, il ne dit rien et n’émit pas un son.
Nous arrivâmes au village où vivait Méméma en plein drame, sa chatte "Chatoune" venait de mourir. Après qu’elle se fut consolée dans les bras de ses arrière-petits-fils, je lui proposais de garder Coco pendant notre séjour à la mer.
⎻ Qu’éto qu’olé qu’tu vaux qu’y fasse de toun’oza ? Y s’ré ren en fare ! (Que veux-tu que je fasse de ton oiseau ? Je ne saurais pas m’en occuper !)
Nous étions déçus bien sur, mais je ne me voyais pas imposer « notre » perroquet à la pauvre vieille.
Le lendemain aux premières lueurs du jour, comme tous les matins Coco fit ses gammes. Tout son répertoire y passa : miaulements, aboiements, injures, klaxon, etc. craignant qu’il ne réveillât toute la maisonnée je me précipitai et… surprise… Mémé était assise devant le perroquet le regardant une lueur admirative dans l’oeil elle lui parlait en patois. Coco avait l’air d’apprécier cette sorte de soliloque autant que la feuille de salade fraîche que venait de lui tendre la vieille femme.
Je sus alors que c’était gagné, nous pouvions partir tranquilles.
Quinze jours plus tard à notre retour, nous trouvâmes ses voisins anglais attablés chez Méméma entrain de déguster un verre de blanc. Depuis six ans qu’ils habitaient la maison mitoyenne, ils n’étaient jamais venus lui rendre visite, maintenant ils passaient presque tous les jours et lui avaient proposé de faire ses courses. Ma grand’mère parlait peu de français et les anglais également, mais ils avaient l’air de se comprendre. Incroyable !
Ce fut Mimi, dont la tendresse pour sa bisaïeule était sans limite, qui prit la décision à laquelle nous pensions, mais que nous n’osions pas prononcer.
⎻ Il faut laisser Coco chez mémé, ils s’entendent bien tous les deux. Depuis que Chatoune est morte elle est trop seule. Avec Coco elle peut parler, elle lui apprend même des chansons. C’est trop bien…
La vérité sort de la bouche des enfants paraît-il…et, si c’est « trop bien », que peut-on dire contre cela ?
Avant de regagner l’Île-de-France, un voyage à Niort nous permit l’acquérir une cage beaucoup plus spacieuse que Coco adopta immédiatement. Puis je rendis visite à mon vieux copain Albert, cultivateur à l’autre bout du village, afin de recueillir quelques têtes de soleil (tournesol). Lorsque je lui eus indiqué qu’elles étaient destinées à alimenter le perroquet de ma grand-mère, il fut étonné « Je veux voir ça ! » déclara-t-il.
Coco se précipita sur le couronne de tournesol abondement garnie de graines arrivées à maturité. Du bout de son bec crochu il saisissait les amandes qu’il extirpait de leurs alvéoles. Puis d’une patte aussi habile qu’une main il les portait à ses mandibules pour les débarrasser de leur coque noire avant de les ingurgiter. La dextérité avec laquelle il exécuta cette manipulation laissa pantois toute l’assistance.
⎻ Crois-tu qu’il mangerait du maïs ? demanda Albert.
⎻ Bien sur, si tu en a en épi laisse le tel quel, qu’il ait à le décortique. Ça l’occupera !
⎻ Je vais lui en apporter.
Dans l’après-midi Albert apporta une « trochée de garouille » (une tresse d’épis de maïs).
Nul besoin d’expliquer à Coco comment s’y prendre pour les dépiauter il fit ça avec une habileté étonnante.
Lorsque le facteur déposait du courrier dans le trou du mur faisant office de boite à lettre, il avertissait mémé d’un coup de klaxon. Coco répliquait immédiatement sur la même tonalité. J’en averti le préposé qui, dorénavant se fit un devoir d’apporter tous les jours le journal à la maison afin de saluer Coco et lui apprendre à dire : « Le facteur ! le facteur ! ».
Pour tout dire la maison ne désemplissait plus, tout le voisinage trouvait un prétexte pour venir voir notre Psittacus erithacus, il était devenu l’attraction du canton. La pauvre vieille Néomaÿe ne se faisait pas d’illusion, les visiteurs étaient avant tout ceux de Coco, mais qu’importe… Pour elle qui avait été épicière, et habituée à voir du monde l’arrêt de sa vie active avait été un crève-coeur, aussi ce remue-ménage lui redonnait-il goût à la vie.
A la noël quand nous revînmes voir ma grand-mère… et Coco naturellement, il avait changé de répertoire. Il s’était mis au patois poitevin. Il imitait très bien la voix de la voisine appelant ma grand-mère : « Nèomaaa… Néomaaa… »
Et surtout il chantait. Je vous rassure, pas du rap ni du rock. Non, plutôt des chants rappelant la jeunesse de Méméma : « Quand Madelon », « Au près de ma blonde », « Le temps des cerises », et bien sûr « La vie en rose » mais avec une différence notable, il avait pris la voix de fausset de ma grand-mère. Cependant nous n’étions pas au bout de nos surprises.
Un jour où nous déjeunions, comme souvent la conversation portait sur les dernières prouesses de Coco. Lorsque… il retentit un puissant et long bruit de pet, bien sonore et modulé. Mémé sans se démonter se tourna vers Mimi :
⎻ Ben mon goret ! ça c’est un beau pet !
Mimi rouge comme une pivoine se réfugia dans les bras de sa mère. Il eut beau protester de son innocence le mal était fait. Son frère avait trouvé un nouveau sujet pour agacer « le petit ».
Plus tard quand nous fumes entre adultes, ma grand-mère nous expliqua qu’habituée à vivre seule elle avait lâché quelques flatulences sans penser au perroquet… Malheur Coco était à l’écoute et depuis il s’ingénie à restituer ce récital aux moments les plus incongrus.
Si vous avez un perroquet qui à votre grand désespoir reste muet malgré tous vos efforts, confiez le à Mémama.