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Chap 1 : La Naissance

Chap 1 : La Naissance

Published Apr 8, 2022 Updated Apr 8, 2022 Culture
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Chap 1 : La Naissance

Au printemps de l’année 1812 un 18 avril à 13 H 30, naquit un étrange enfant selon les dires de sœur Emmanuelle alors sage-femme au prieuré de Saint Maur, elle y rapporta dans les cahiers de la maternité ces quelques remarques :

Accouchement N° 127 18 avril l’an de Dieu 1812

Naissance contrariée décès de la mère à 22H

Enfant de taille et de poids insuffisants.

Avons prodigué les premiers gestes médicaux :

Aucune réaction après une fessée : N’a ni ouvert les yeux, ni pleuré, ni ouvert la bouche.

Seul le sel de pâmoison a fait réagir les narines de l’enfant.

Les narines de l’enfant s’écartent et se ferment anormalement.

Preuve de vie est faite. L’orphelin a été emmailloté et placé en nurserie.

 

Si sœur Emmanuelle s’était permise de qualifier l’enfant d’étrange, c’est que de sa vie de sage-femme, elle en avait vu des mal formés, des moustachus, jusqu’à un cyclope mais qu’ils soient normaux ou pas, tous les bébés, sans exception réagissaient après une bonne fessée. Et Dieu sait que soeur Emmanuelle avait la main ferme. Même les muets ne lui résistaient pas, avec leurs gargarismes particuliers, ils tentaient de pleurer quand même et à défaut ouvraient les yeux ou la bouche en sortant leur langue d’affamé, mais d’enfant qui ne manifeste son existence rien qu’avec les narines, elle n’avait jamais vu ! Et encore, il lui avait fallu lui faire respirer un peu de sel d’ammoniaque.

 

  • Je te dis que c’est du lait gâché. Il ne tiendra pas une semaine ton gosse et tu ne seras pas payée.

 

Cette réflexion faite par une nourrice du Prieuré à propos de l’enfant que sœur Emmanuelle avait trouvé étrange, quoique cruelle, illustrait bien les conditions de vie, en cette époque de transition urbaine. Conditions qu’aujourd’hui l’on qualifierait d’ignobles mais qui n’étaient en fait, qu’une triste réalité avec laquelle il fallait s’accommoder ou mourir. Et, pour une nourrice payée à la tétée, un enfant malingre, c’était s’il venait à rendre l’âme, avant la fin de la semaine, de l’argent qui ne serait pas payé.

 

Jeanne la nourricière du petit s’en moquait. Elle avait du lait qui lui pissait des seins et cet avorton, bien que condamné, pouvait bien lui en téter un peu, ça ne la dérangeait pas. Au contraire, elle s’en amusait, car le bout de chou avait une bien étrange manière d’aspirer son lait. Alors que les autres petits monstres ouvraient grande leur bouche d’avaleur, lui posait pendant de longues minutes ses narines sur l’immense sein de Jeanne et la respirait, ce qui la chatouillait et la faisait rire. Et quand on a les mamelons mordillés à longueur de journée par de petits voraces, se faire respirer la poitrine valait bien de perdre un peu de lait, même pour un enfant sans grande espérance de vie.

 

Trois jours après sa naissance, sœur Clotilde mère supérieure du prieuré de Saint Maur s’inquiéta du sort de l’enfant toujours vivant, mais pas encore baptisé. Le lendemain au cours de la messe de cinq heures, l’enfant fut trempé sans ménagement dans les fonds baptismaux de la chapelle, sans aucune réaction, de sa part, reçut le prénom de Patrick en hommage à Saint Patrick et fut oublié le restant de la messe sur le bord de l’autel. L’enfant de toute façon ne bougeait pas, ne pleurait pas, nul besoin d’interrompre la communion journalière de la communauté avec Jésus. Certes ce bébé aurait pu choir de l’autel et se rompre les cervicales mais, peut-on choisir plus belle mort que celle de rejoindre le ciel en la demeure de notre seigneur ?

 

L’abbé Rémy qui officiait ce jour-là eut la surprise de sa vie quand il distribua l’Ostie comme à l’accoutumée aux nonnes du couvent. Lorsque sœur Sonia s’avança pour recevoir le corps du Christ, l’enfant qui jusqu’alors n’avait encore émis aucun son, se mit à pleurer avec force débloquant sa mâchoire. Les pleurs résonnèrent tant dans la chapelle que l’Abbé interrompit la communion et se retourna pour voir le bébé se convulser sur l’autel et chuter. Sans l’intervention divine du prêtre qui rattrapa le nourrisson, ce dernier se serait sans doute briser les os de la nuque dans une chute mortelle. Quand le prêtre, le cœur à cent à l’heure, se retourna avec l’enfant dans ses bras, sœur Sonia gisait de tout son long sur le sol de grès de l’église, raide morte.

 

Après cinq paters mater de contritions, on évacua le cadavre et les religieuses reprirent leur vie monacale d’infirmières et de fossoyeuses.

 

Son office terminé, l’abbé Rémy qui avait évité au nourrisson une chute mortelle, s’enquit sur le cas de cet avorton, convoqua la fontaine à lait comme on appelait alors la Jeanne et lui confia l’enfant en exclusivité avec une pension de trois francs or le mois tant que ledit enfant serait en vie. Il ajouta promesse de cents francs si la Jeanne ramenait l’enfant sevré au prieuré avec deux dents sorties. Cent francs c’était une somme à cette époque mais l’abbé ne prenait aucun risque : l’enfant n’atteindra jamais l’âge du sevrage. Déjà qu’il avait faillir mourir une fois en à peine cinq jours, si l’abbé ne l’avait pas rattrapé en vol, alors toute une année… voir plus beaucoup d’enfant font leur première dent assez tôt mais le seconde met plus de temps à sortir ce qui laissait à l’abbé plus de chance de ne jamais payer les cents francs or.

 

L’abbé se trompait sur un point. Ce n’était pas la première fois que cet être chétif échappait à la mort. Bien avant qu’il ne naisse sa mère avait tenté de s’en défaire en sautant d’un banc et d’une table. Lors de l’accouchement, sœur Emmanuelle lui avait tiré si fort sur la tête qu’elle en était oblongue au point que sa mâchoire ne pouvait mécaniquement pas s’ouvrir plus d’un centimètre, ce qui pour téter n’était pas chose aisée.

 

Pour Jeanne, elle se trompait aussi sur l’enfant mais pour d’autres raisons. Pour l’heure, elle pestait en pensant à tout son lait qu’elle aurait immanquablement en trop si elle ne s’occupait que d’un téteur. Surplus qui la fera horriblement souffrir. Mais, refuser à l’abbé, c’était comme refuser à Dieu. Elle prit le nourrisson, le fourra entre ses seins et rejoignit sa campagne.

 

A la fin de la première semaine de tétée, Jeanne comprit qu’elle avait eu tort de s’inquiéter à propos de ses montées de lait.  Le frêle bambin qui avait débloqué sa mâchoire juste avant sa chute, malgré sa petite taille était, en fait, assez goulu pour la soulager quand elle en avait.  Jeanne qui n’avait jamais eu qu’un bébé à s’occuper, commençait à apprécier celui-là. Par exemple, ce qu’elle aimait avant tout chose, c’était de poser Patrick entre ses seins, de sentir son petit nez humer sa poitrine, presser son aréole et quand d’un pincement rapide mais agréable, il faisait gicler quelques gouttes, ce n’était pas pour les avaler goulument. Non l’enfant laissait le lait couler lentement le long de la poitrine de Jeanne et pendant de longues minutes, « toutes narines dehors » si on peut reprendre l’expression marine, l’enfant humait le bon lait de Jeanne avant de le laper puis comme ivre, il partait dans un rire sonore, haut et fort qu’il en emportait toute mauvaise humeur et aigreur chez Jeanne. 

 

Les quelques mois qui s’écoulèrent jusqu’au sevrage de Patrick furent pour Jeanne les plus beaux moments de sa vie. Avec l’argent de l’abbé, elle n’avait plus faim et pouvait même envisager de quitter la cabane qui lui servait d’abri. Ce qu’elle fit pour son plus grand bénéfice et celui de l’enfant avant qu’un drame ne l’affecte elle ou le bébé.

 

En effet, des anciens amants de Jeanne qui jusqu’alors profitaient des cuisses bien ouvertes de la nourrice, jalousaient le nourrisson. Il faut dire qu’en ces temps-là, les hommes fourraient leurs sexes sans ménagement dans toute jeunette dépourvue de mari, et certains un soir de beuverie se seraient vexés de se voir refuser une naturelle position pour soulager leurs envies, auraient pu de rage, se venger sur le bébé, pour ensuite violer la mère ou la nourrice peu leur importait.

 

A cela s’ajoutaient, quelques laitières envieuses de la pension de Jeanne qui commençaient à colporter des ragots à propos de pratiques condamnables de Jeanne avec le nourrisson.

 

Mais la plus étrange des menaces, était cette situation qualifiée d’anormale pour certains esprits tourmentés par la vie. Dans les masures voisines des langues commençaient à médire à propos de Jeanne qui était toujours de bonne humeur. Comme si on pouvait sur cette terre maudite par Dieu le Père lui-même être continuellement heureux. Il y avait forcément du satanisme dans ce bonheur !

 

Fort heureusement pour Patrick, Jeanne dans le confort depuis la pension de l’abbé, quitta l’insalubrité de la rue de Bourbe pour une chambrette en ville.  Ce qui, au demeurant, ravit l’enfant vu que celui-ci avait le nez sensible et ne trouvait de repos qu’entre les seins de sa nourrice.

 

Le déménagement de Jeanne, fut pour l’enfant qui rappelons signalons le, développait un sens olfactif peu commun, la meilleure des choses qui puisse lui arriver. Si Paris en 1812 était une ville nauséabonde, la rue de la Bourbe dépassait de loin l’insalubrité parisienne. Ce n’était pas, à véritablement parler une rue, mais plutôt un entrelacs de passages étroits entre des masures de bois pourris, où s’entassaient sur des lits aux couvertures de laines mitées, femmes, enfants, maris ainsi que divers bestiaux. A ce spectacle désolant à lui seul, il fallait ajouter, la boue permanente qui vous remontait jusqu’aux genoux les jours de pluie soit dix mois sur douze, les exhalaisons putrides de miasmes divers, décuplés par les cloaques à ciel ouverts qu’étaient encore les égouts de Paris de ce temps… De cet endroit se dégageait une pestilence tenace, forte agressive et permanente.

 

Vous pourriez croire que cette puanteur dérangeait l’odorat du bébé, c’était le cas mais pas pour une cause apparente. L’air fétide qui se faisait respirer en permanence rue de Bourbe était un mélange de centaines, de millions d’odeurs. Pour les neurones olfactifs de Patrick c’était un livre ouvert qu’il commençait à apprendre à lire et pour cela il avait besoin de faire ses gammes de façon progressive. Le mucus tout neuf et trop sensible de l’enfant qui tapissait sa cavité nasale se serait irrémédiablement abîmé à traiter et à classifier trop d’informations. Mais surtout, ce mucus au lieu de se développer dans les mois et semaines, au point d’occuper une superficie cinquante fois supérieure à la normale des humains, ce mucus se serait définitivement sclérosé.

 

Quand les miasmes véritables romans odoriférants étouffaient les narines hyper sensibles du petit, ce dernier partait dans des convulsions inquiétantes et Jeanne eut un réflexe qui sauva on peut le dire la vie du bébé : Dans ces moments qui auraient fait paniquer plus d’une mère et nourrice, elle faisait couler quelques gouttes de lait entre ses seins, puis collait les deux narines de Patrick dessus au risque de l’étouffer pour que cesse les pleurs.

 

L’effet était immédiat, Patrick se calmait. Sans ce geste salvateur et le déménagement de la nourrice, le bébé aurait perdu ses dispositions olfactives exceptionnelles, car la rue de Bourbe ou plus exactement la travée de boue qu’était cette pseudo rue, était trop d’informations d’un coup, pour un nez délicat comme celui de Patrick qui aurait été noyé par toutes ces odeurs, au point de ne plus rien sentir. Ce qui aurait mis un terme à notre histoire tout juste commencée.

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