Chapitre 4 Air-thérapie
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Chapitre 4 Air-thérapie
Je quittai le domaine Wohlleben et rejoignis mon véhicule. Une fois à l’intérieur, je programmai l’adresse du Dr Flers sur le GPS et demandai à l’assistant vocal de lancer une recherche sur la méthode RDS. J’appris que l’acronyme signifiait Respire-Air-Souffle. Il s’agissait d’une technique basée sur des exercices respiratoires, destinée à soigner toutes sortes de pneumopathies. L’aérolisme en faisait-elle partie ? Vu le prix de l’air, ce n’était pas une affection très répandue. D’ailleurs pouvait-on vraiment parler d’affection ? L’air naturel niquait surtout vos finances, vous filait les joues rouges et une narcose modérée due au manque d’habitude, tout en vous décrassant les bronches. On peut trouver pire ! L’assistant vocal m’apprit aussi que le Dr Flers obtenait d’excellents résultats, à en juger par les commentaires dithyrambiques laissés par ses patients.
A ma grande surprise, le cabinet de l’air-thérapeute ne se situait pas à Dijon même, mais à la périphérie de la ville, dans une vaste zone industrielle à moitié abandonnée. Partout des entrepôts ouverts aux quatre vents, des installations délabrées, des cheminées menaçant de s’écrouler. Il fallait vraiment que la méthode soit révolutionnaire pour que la clientèle trouve le courage de s’aventurer dans cette friche sordide.
Mon GPS eut du mal à localiser l’adresse exacte. Je me garai finalement devant un bâtiment à la façade lépreuse, qui aurait dû être rasé depuis longtemps. Je me dirigeai vers la porte la plus proche, redoutant de m’être égaré. Une modeste plaque en laiton me convainquit du contraire. Je sonnai. Une jeune femme vint m’ouvrir. Chevelure afro retenue par un ruban, peau noire et blouse blanche, un air interrogateur sur son visage avenant. Elle me scruta avec curiosité.
« Capitaine Mayer, police de l’air. Je voudrais voir le Dr Flers.
- Vous l’avez devant vous, capitaine.
- J’aurais quelques questions à vous poser. J’enquête sur un trafic d’air.
- Je vous en prie, entrez ! »
Si l’extérieur ne payait pas de mine, l’intérieur offrait un tout autre aspect. Les peintures aux couleurs chaleureuses, le mobilier confortable et fonctionnel, la déco choisie avec soin, tout concourait à faire du cabinet un endroit où l’on avait envie de s’attarder. Nous passâmes devant une salle d’attente remplie et la spécialiste me fit entrer dans un bureau aux dimensions généreuses. Il y avait une table d’auscultation, une paillasse où était disposé tout un équipement médical. Mais ce qui attirait d’abord le regard, c’était un grand cube de verre d’environ 2,5 m de côté, entièrement vide. Je remarquai qu’il était relié à une pompe et à deux réservoirs. Aucune entrée n’était visible à l’œil nu. Voilà donc l’endroit où se pratiquait le RDS. Mais par où Sabrina Flers faisait-elle passer les patients ? Elle dut percevoir mon interrogation car elle s’approcha du cube et appuya sa main sur une des parois qui pivota sur elle-même.
« Mon installation vous intrigue ?
- Je l’avoue. En quoi consiste votre méthode, docteur ?
- Eh bien elle est basée sur l’association de mouvements musculaires et l’inhalation de gaz. Je fais entrer le patient dans cet inspirateur. Il exécute les exercices respiratoires que je lui prescris, tout en respirant un mélange gazeux enrichi en gaz rares, adapté à chaque pathologie.
- Vous utilisez de l’air naturel ? »
Son rire fusa dans la pièce.
« Grands dieux, non. Je n’en ai pas les moyens ! J’utilise des mélanges d’air synthétique de haute qualité que j’achète à un fournisseur. Souhaitez-vous avoir ses coordonnées ? »
J’acquiesçai en examinant le dispositif. Aucune mention ne figurait sur les réservoirs.
« Puis-je tester leur contenu ?»
Elle sembla apprécier que je fasse comme si elle avait le choix, et fit en retour un geste de politesse.
« Je vous en prie. »
Je sortis mon dropper et mon respirateur, et inspectai le contenu des deux bonbonnes de gaz. Elle n’avait pas menti. C’était bien de l’air synthétique.
« Vous avez d’autres bonbonnes en stock ? ». Elle me conduisit à la réserve et je testai une dizaine de bonbonnes, en vain.
« J’aimerais consulter le registre de vos patients, si vous m’y autorisez. »
C’était demandé avec les formes. Si elle se dérobait je pouvais user de la force, comme la loi m’y autorisait, ou demander des renforts. Mais là encore elle ne fit aucune objection. Elle s’assit devant son ordinateur et au bout de quelques clics, la vibration de ma manchette m’avertit qu’elle avait fait le transfert. Je parcourus rapidement son fichier : aucun Robert Fabiani ne figurait dans sa patientèle. Je cherchai sa photo sur le net et la lui montrai.
« Connaissez-vous cet homme ?
- Pas du tout. Qui est-ce ?
- C’est étonnant, pourtant. Parce que lui vous connaît. »
Elle approcha son visage de l’écran, le contempla plus longuement avant de secouer la tête.
« Non, désolée, je ne l'ai jamais vu. »
Je tournais en rond. Avais-je suivi une mauvaise piste ? Je continuais à l’interroger sur son activité tout en réfléchissant. Si je n’obtenais aucune réponse, j’allais devoir prendre Fabiani en filature. Elle répondait sans hésitation, rien dans son comportement ne paraissait suspect. Alors, pourquoi je ressentais une impression bizarre en l’écoutant ? Un truc chez elle me troublait, mais quoi ? Une parole ? Une attitude ? Une expression sur son visage ? Qu’est-ce qui m’avait alerté et me poussait à prolonger cet entretien ? Et soudain je compris. Sabrina Flers n’avait pas toussé une seule fois depuis mon arrivée.
Tout le monde tousse. Vous, moi… n’importe quel quidam expectore en moyenne une fois toutes les 53 secondes. C’est inévitable. On le fait machinalement, sans y penser, mais on ne peut pas s’en empêcher. La faute en incombe à l’oxygène. Après la débâcle de 2049, lorsque les industriels se sont mis à synthétiser de l’air pour pallier la disparition des plantes et le non-renouvellement de l’atmosphère, ils n’ont jamais pu stabiliser leur mélange d’azote et d’oxygène recyclés. Une fraction de l’oxygène se transforme en un isotope très irritant pour les bronches. C’est lui qui rend l’air acide, multiplie les maladies respiratoires et réduit notre espérance de vie. Les fabricants n’ont rien pu faire. Quel que soit le process, l’oxygène se dégrade toujours. L’homme n’a jamais pu égaler la nature. Et maintenant l’humanité est condamnée à perdre haleine. Sauf le Dr Flers. Étonnant, non ? Décidément cette enquête était pleine de surprises.
Je décidai de prendre congé et de revenir cette nuit explorer les lieux pour percer ce nouveau mystère. J’étais sûr que Flers stockait de l’air naturel avec la complicité de Robert Fabiani. Sa planque devait se trouver quelque part dans le bâtiment et je comptais bien la découvrir.