Panique
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Panique
Panique
Même routine angoissante et usante. Brigitte se lève avant que toute sa ribambelle de frères et sœurs n’émerge, dans le même temps elle évite de croiser la mère dans le couloir immonde tapissé de fleurs verdâtres et surannées. Brigitte, c’est l’aînée de la famille mais ce titre honorifique est pour elle une malédiction : la mère lui impose tellement de choses, notamment celle de s’occuper du petit dernier qui a à peine un an. Pas une minute pour profiter des rayons du soleil qui tapent sur la fenêtre de la cuisine ou pour observer les oiseaux nichés dans le sapin en face de la maison : il faut préparer les tartines pour chacun, poser les bols jaunes et blancs sur la table, sortir le beurre et le miel, faire chauffer le lait dans la grande casserole sans le faire déborder sur la gazinière. La mère ne vient que pour donner les ordres de fin de service :
« Eh ! La grande girafe! Débarrasse, lave la table et file te décrasser ! Tu ne vas tout de même pas te rendre à l’école dans cet état ! Tu n’as pas intérêt à me ficher la honte !» Un coup de pied aux fesses conclut cette suite d’injonctions. Brigitte a l’habitude. Elle rejoint la minuscule salle de bains bleue en frôlant de ses mains les murs de ce couloir affreux, se prépare rapidement et silencieusement. Le père la voit, mais ne dit rien. Depuis que Brigitte a eu dix ans l’an dernier, le père ne lui adresse plus la parole. Pourtant, il continue de discuter avec ses jeunes frères et sœurs. Elle ne comprend pas ce père, autant admiré que craint, qui l’ignore. Une douleur de plus pour Brigitte. Mais bientôt c’est l’heure de partir pour l’école. C’est le père qui la conduit. Elle est en sixième dans le collège de la ville d’à côté, et le père travaille tout près, aux PTT. Ce matin-là, le trajet est d’un silence tellement pesant que Brigitte a l’impression que le collège est à l’autre bout de la France. Pas un mot du père… Il la dépose devant un arrêt de bus, à quelques centaines de mètres de son collège. Brigitte ne dit rien, sort de la voiture et marche d’un pas vif jusqu’aux portes d’entrée de l’école Notre Dame.
Les cours se suivent et se ressemblent : maths, français, puis le repas… Il n’y a qu’en fin de journée, lorsque Brigitte prend le chemin pour l’école de musique, qu’elle entrevoit de la douceur : elle y apprend le violoncelle depuis quelques temps maintenant. Evidemment, au début, on l’y a obligée :« Dans ma famille, tous les enfants joueront d’un instrument et pratiqueront un sport convenu à l’avance par votre mère et moi » avait un jour décrété le père. Mais maintenant, se retrouver avec sa professeure de violoncelle les lundis et jeudis soirs est une parenthèse agréable. Aujourd’hui, c’est la première suite pour violoncelle de Bach qu’on révise. Brigitte est douée. C’est sa prof qui le lui a dit. « Continue comme ça Brigitte, et lors de notre représentation de fin d’année, tu seras une de nos solistes. Ça te plairait ? » La discrète Brigitte répond par un signe de tête affirmatif, les joues rougies par la timidité. Il est dix-huit heures trente et la leçon se termine. Brigitte pousse la porte de l’école de musique, marche seule jusqu’à l’arrêt de bus du matin, et attend que le père vienne la rechercher. Le ciel s’assombrit. Quelques passants flânent encore dans les rues de la ville, mais la nuit les chasse au fur et à mesure. Brigitte attend le père, toujours assise sur le banc de l’arrêt de bus. Elle sent ses tempes battre de plus en plus fort et de plus en plus vite. Elle a peur, très peur. Le père a dû l’oublier après le boulot et est rentré directement au Vieux Fort, dans la maison au couloir hideux. Quelqu’un va sûrement remarquer son absence à la maison, non ? Elle est saisie de froid et elle commence à paniquer. Que faire ? Elle sert son cartable contre elle, compte et recompte les secondes dans sa tête, regarde désespérément le peu de voitures qui passent, espérant que ce soit la voiture du père qui arrive enfin. Peu après vingt heures, transie de froid et de peur, Brigitte se lève difficilement du banc et décide de marcher jusqu’au lotissement du Vieux Fort où se trouve la maison. C’est alors que la Citroën Ami 6 break du père s’arrête à côté d’elle. Pas une parole, pas une excuse, juste la voiture qui redémarre en trombe. Brigitte se sent fautive. Après tout, elle a de la chance de pratiquer d’un instrument, elle devrait se débrouiller seule pour rentrer, prendre le bus et marcher… Sauf que la mère et le père ne veulent pas. C’est le père qui la ramène, un point c’est tout. Et quoi, il l’a juste oubliée, il n’y a pas mort d’homme, si ?
L’angoisse, le silence, les non-dits, la culpabilité, l’incompréhension. Stop ! Trop de dévouement chez Brigitte. Elle s’occupe de tout et de tous, la Cendrillon des années soixante-dix aux cheveux d’ébène ne se plaint jamais, elle assume le rôle que lui a assigné la mère. Ah, la mère… Tellement sournoise… Cachant son jeu devant la famille, les voisins, ou les amis. Mais quand tout ce beau monde quitte la maison du Vieux Fort, l’enfer recommence pour Brigitte, encore et encore.
Annaële Bozzolo 24 days ago
c’est vrai que le silence peut nous faire bcp de mal
Jackie H 24 days ago
Parfois le silence fait plus mal que les insultes ou les coups...