

Chapitre 13 : Cavalier blanc en approche
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Chapitre 13 : Cavalier blanc en approche
Poser des mots par écrit et analyser ses émotions, c’est comme dépoussiérer l’intérieur de soi et ouvrir des fenêtres rouillées depuis longtemps. La lumière éclaire chaque recoin du grenier où nos souvenirs étaient relégués. Nous les regardons pour la première fois en face, les yeux grands ouverts, sans peur de nous brûler.
Au moment où le chemin de cet homme, qui avait accompagné le mien sur des sentiers parallèles sans que nous nous croisions réellement, s’est désolidarisé, j’ai réalisé pleinement combien il comptait pour moi. Bien plus que je n’aurais osé me l’avouer il y a encore quelques jours, puisque la question ne se posait pas alors. Toujours derrière un combiné, sa voix en fil d’Ariane, je le percevais comme immuable. Pourtant, maintenant que j’apprenais son départ, l’idée de le perdre me paraissait incongrue. Et résonnait dans mon esprit, en embuscade, aux moments les plus insensés. Sous la douche, dans les bras de Dorian, sur le trajet de la crèche, ou lorsque mes paupières se ferment pour la nuit et que mes pensées vagabondent entre terre et ciel. Comme un de ces refrains qui accompagnent mon quotidien en une incontrôlable obsession. Comme des notes fredonnées au piano, alors qu’on ignorait jusqu’alors être capable d’en jouer. Je tourne en boucle, nage en rond au fond de mon bocal en tempête, ressasse les phrases que je n’ai pas su trouver, ou pu poser. Comme si une virgule, un silence ou un mot avait pu faire mouche et changer les choses.
Je tente de me raisonner, de me rappeler qu’il s’agit d’un banquier parisien, un de ces êtres bénis des dieux qui n’a probablement jamais craint le lendemain ni redouté la fin du mois, en comptant les aurores comme on énumère les moutons, en attendant l’éphémère soulagement de la paie mensuelle. Il est l’antithèse exacte de la femme que je suis, un simple fantasme qui m’attire uniquement parce qu’il est mon Yang, Mon opposé parfait. Pourtant, rien ne semble apaiser la griffure causée par ce départ que je n’ai pas su anticiper. Elle devient le bruit de fond de mes heures de solitude et de mes moments de transit entre deux obligations de ma vie aux multiples facettes. Qu’aurais-je pu dire ou faire de plus ? Probablement rien. J’avais franchi des frontières tacites, ouvert mon cœur sur un simple carton de Bristol, assurément plus que pour certaines personnes qui avaient pourtant partagé mes draps. Et c’était juste le silence, fracassant de violence, qui me revenait en boomerang. L’absence de réponse, le vide de tout, rythme douloureusement les jours qui s’étiolent dans une cinématographie bien huilée mais ridiculement dissonante. C’était juste un banquier, après tout ! Non ?
Une nuit, peut-être une ou deux semaines après avoir écrit cette missive qui ne me ressemble pas tout à fait, alors que l’appartement est plongé dans la presque obscurité et que le sommeil pointille mes heures, je me lève d’agacement. A pas feutrés, je me faufile sur la terrasse, guidée par les lueurs de mes lampes de sel éparpillées, pour m’abreuver de nicotine et tromper éphémèrement l’ennui. Au passage, j’attrape mon portable et le plaid douillet qui traîne sur le canapé. Je m’en drape, puis cueille mes cigarettes et mon briquet avant de me glisser dehors. Il fait frais, l’air est piquant, mais la nuit est belle. Les étoiles scintillent dans un ciel clair et pur. Les Rennais semblent dormir. Le silence m’enveloppe, et je ne perçois que le bruissement du vent dans les pins du jardin partagé. Prenant garde à ne pas trébucher sur ma toge improvisée, je m’assois sur un des fauteuils en bois, inspire l’oxygène et la fumée, ferme les yeux et me laisse porter un instant. J’aime ces moments hors du temps, ces pauses dans la nuit, ces minutes où je n’ai plus d’étiquettes, de casquettes, de rôles à tenir. Une fois repue des effluves mêlés de la nuit citadine et du tabac blond, je déverrouille l’écran de mon téléphone pour en vérifier brièvement les notifications. Mon doigt glisse machinalement, zappe, quand soudain, un nom suspend mon geste et coupe ma respiration. Je cligne des yeux et fronce les sourcils pour m’assurer que je suis bien éveillée, puis tapote fébrilement sur l’écran froid pour voir apparaitre en grand le visage d’Emmanuel Martin, qui m’a ajoutée à ses contacts sur les réseaux sociaux. Un sourire incontrôlable étire les commissures de mes lèvres. Finalement, je ne m’étais peut-être pas trompée, je comptais sans doute un peu pour ce Monsieur.
La raison voudrait que je retourne me coucher et grapille quelques heures de sommeil avant que ce foutu réveil ne sonne pour annoncer une nouvelle journée, jumelle de la veille. L’hémisphère cartésien de mon cerveau me somme d’éteindre ce portable et de filer sous la couette, mais l’hémisphère gauche, plus émotionnel, plus curieux aussi, gagne la partie. Je me lève, me fais chauffer un thé pour me nicher dans ma loveuse et parcours les centaines de photos de lui disponibles sur la toile. Chaque image me faisant découvrir un aspect nouveau de cet homme, dont je n’avais vu qu’une photo commerciale sur le web, révélant des pans secrets de son existence. Il était différent de ce que j’avais imaginé, maintenant qu’il s’incarnait autrement que dans un combiné, et ce que je percevais de lui ce soir au travers son intimité virtuelle me procurait un sentiment de chaleur dorée. Comme si, en me faisant entrer dans son cercle d’amis numériques, j’avais été promue. Je n’étais déjà plus une simple cliente, même si je pressentais quand même depuis longtemps faire partie de ses préférées. Et puis, je me suis interrogée sur l’attitude à adopter face à cette main numérique silencieusement tendue à travers la distance. Au hasard, j’ai choisi une des photos récentes, y ai déposé un cœur, presque nonchalamment.
Le lendemain matin, à l’heure où le café passait dans le percolateur, notre relation évoluait vers une amitié un brin ambiguë, qui me faisait légèrement décoller du sol. Des petits messages parsemés, des clins d’œil sur la toile et de longues conversations téléphoniques, tous les lundis soir comme un rituel tacite entre nous. Une habitude prise sans même nous en rendre compte et à laquelle aucun de nous ne manquait jamais à l’appel.
Dorian connaissait l’existence de ce fameux banquier qui avait une étrange place à part dans ma vie. Il avait assisté à certaines conversations et avait déjà perçu cette forme de séduction vocale, cet attachement informulé. Entre remarques mielleuses, bouderies salées et petites crises de jalousie amères, je pris l’habitude de n’appeler Emmanuel que lorsque j’étais seule. Je me détournais de plus en plus de cette relation pansement, qui commençait sérieusement à m’irriter. J’évitais Dorian de plus en plus souvent, inventant des excuses, des prétextes, des rendez-vous, et me sentant paradoxalement terriblement coupable de ne pas pouvoir lui rendre ses sentiments, sans vraiment réussir à lui expliquer pourquoi. Je ne comprenais pas pourquoi il m’était si difficile de me laisser aimer par un homme présent, prêt à faire évoluer notre relation en un battement de cils, alors que je me sentais liée à un autre dormant à des kilomètres de là, sans l’avoir jamais touché. C’était compliqué à souhait et extrêmement perturbant, mais peut-être, après tout, que j’aime les aspérités et la confusion mille fois plus qu’une vie bien ordonnée. Toujours est-il que la présence d’Emmanuel dans ma vie, tout comme la mienne dans la sienne, grignotait du terrain chaque jour davantage, et j’adorais ça. J’avais le sentiment de tout pouvoir lui dire, sans qu’il ne me juge jamais. Sa voix m’apaisait, m’enveloppait, quand nous étions ensemble, chacun de son côté de la ligne téléphonique, unis par un lien invisible mais presque palpable, qui ne se suspendait qu’en pointillés. Et il prenait de la place, dans mes pensées, dans mes minutes, sans que je ne définisse vraiment le rôle qu’il m’était possible de lui donner dans une vie déjà si chaotique, décousue et emplie de secrets. Ça n’avait pas vraiment de sens, mais je n’imaginais pas renoncer à lui. Il était une sorte de confident au timbre de velours à qui je pouvais me raconter, sans filtres, sans rougir ni trembler puisque je me sentais protégée par les kilomètres qui nous séparaient.
Je n’écoutais que sa voix sans friture sur la ligne, sans que n’entre en jeu la communication non verbale ou la séduction de deux corps qui s’apprivoisent. Je connaissais son visage, sa silhouette, mais n’étais pas attirée par ces aspects purement physiques, puisqu’il était lui, presque mien par tous nos secrets échangés.
Je n’arrivais pas non plus à tirer un trait radical sur Dorian, parce qu’il m’ancrait dans la réalité mais aussi parce que je savais qu’il était très amoureux et qu’il faut bien avouer que c’est très réconfortant de se laisser aimer. Je tenais à lui, indéniablement, et rechignais par-dessus tout à faire souffrir quelqu’un qui m’avait tout donné, avait supporté sans broncher mes frontières, mes règles du jeu. J’oscillais encore et toujours en funambule, sur ce fil tendu entre deux mondes ; entre deux galaxies ; entre deux destinées. Cette valse aurait probablement pu durer longtemps avant que je ne trébuche pour la première fois depuis le début de cette relation épistolaire, mais pas seulement.
Lors d’un de mes appels rituels avec Emmanuel, comme à mon habitude, j’enchaîne les cigarettes et lui raconte le train-train du week-end, ainsi que les multiples perfidies de William, bien décidé à me compliquer la vie. Emmanuel, qui connaît bien l’animal, a un esprit d’analyse pragmatique qui me manque parfois. Discuter de mes plans stratégiques avec lui m’est souvent très utile. Au fil des mois, il est donc devenu mon oreille préférée, dans laquelle je dév
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