Journée d'enfer dans l'Au-Delà - Chapitre 1
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Journée d'enfer dans l'Au-Delà - Chapitre 1
Simple avertissement avant de débuter la lecture : il est ici fait mention de la religion, mais si vous êtes fervent croyant, cette histoire n'est pas vraiment faite pour vous. En outre, il est recommandé d'avoir l'esprit ouvert pour une lecture agréable.
Chapitre 1 - Alcoolos et divertissement
— Cain ! Tu déconnes ou quoi ? C’est ça, ta foutue rédemption ?
La tête renversée au-dessus du dossier du sofa, l’intéressé mit un certain temps à se redresser. Il ouvrit péniblement ses yeux bleus, et au fur et à mesure que sa tête reprenait une position verticale, ses cheveux blonds commencèrent à tomber sur son front, une mèche blanche se balançant sous son nez. Il eut à peine le temps de voir une crinière châtain clair avant qu’on lui arrache ce qu’il tenait dans la main.
— Non mais c’est quoi ce bordel ? continua la voix de dragonne qui commençait à lui vriller les tympans. Tu picoles maintenant ? Allez, debout, vieux légume !
— Piitiééé, Tara ! implora Cain en posant une main sur son crâne. Arrête de hurler !
Sa meilleure — et seule — amie le considéra avec un mélange de désespoir, de compassion et d’exaspération. Ses cheveux étaient attachés dans une petite queue de cheval, et ses yeux gris étaient à peine visibles sous ses paupières plissées. Elle portait un pantalon et une chemise qui avaient l’air d’avoir vécu les deux Guerres mondiales, en dessous d’une veste en cuir plus récente.
— Tu m’expliques ce que tu fabriques ici ? interrogea Tara d’un ton de maman autoritaire. Tu essaies de remplacer ton cerveau par de l’hydromel ?
— J’avais juste besoin d’un peu de tranquillité pour réfléchir, tenta le blond sans conviction.
À peine finissait-il sa phrase qu’un homme était propulsé sur la table devant lui et la faisait tomber dans un grand fracas. Tout autour d’eux, il y eut de grands éclats de rire, avant que les conversations ne reprennent comme avant.
— De tranquillité ? répéta la jeune femme en haussant un sourcil presque agressif. Dans un bar rempli de démons alcoolos ? Mon cul en nouilles, oui !
— OK, OK, je veux juste me saouler, ça te va ? répliqua Cain avec impatience. Et toi, qu’est-ce que tu fais là ? Tu me surveilles, Nanny ?
— Non, répondit Tara en croisant les bras. Figure-toi que ça fait plus de trois heures que je suis à la recherche de Cléo ! Tu ne sais pas où elle est encore passée ?
— Cléo ? Si, je sais. Elle est ici aussi, sans doute en train de draguer une belle fille.
— Bon, c’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle, soupira son amie d’un air pincé. Au moins, je ne dois plus la chercher, mais maintenant, il faudra que je ramène deux alcoolos…
Elle se laissa tomber à côté de lui sur le sofa, et prit une longue gorgée du verre qu’elle lui avait confisqué.
— Tu peux me dire pourquoi tu picoles ? demanda-t-elle en croisant les jambes. Je pensais que tu essayais de te racheter sérieusement. Je suis pas certain que ce soit un comportement « adéquat » selon tes critères.
— Mouais, laisse tomber la rédemption pour ce soir, s’te plait, marmonna Cain en passant une main dans ses cheveux. Pour que je puisse réussir, il faudrait qu’on arrive à entraîner plus de monde dans ce projet. Mais avec toutes les baltringues ici-bas, on y est pas prêts d’y arriver…
— T’es dans un monde de démons, crétin, rétorqua Tara avec un rictus. Faut pas s’attendre à des gens super vertueux.
— J’ai beau essayer de parler de simples règles pour améliorer nos conditions de vie, on a même réussi à publier un article dans le journal, tout le monde s’en fout !
— Relax, mec ! relativisa la démone en haussant les sourcils. Ce numéro est sorti ce matin seulement, laisse-leur le temps de percuter. T’es le premier qui parle d’établir des règles de communauté depuis que je suis ici.
— D’ailleurs, je t’ai jamais demandé, mais ça fait combien de temps que t’es là ?
— Euh… marmonna la jeune femme en fronçant les sourcils sous la réflexion. Une bonne trentaine d’années, je dirais. Je sais plus trop, j’fais pas très gaffe.
— Ah, quand même, soupira Cain avec un maigre hochement de tête.
— Eh, je suis très jeune par rapport à d’autres ! Cléo est carrément née ici, je sais même pas quel âge elle a. Certains ont plusieurs centaines d’années, et je pense qu’il y en a même une qui en a un bon millier !
— Merde ! jura son ami avec une grimace. Alors moi avec mes trois ans, j’ai vraiment l’air d’un bébé !
— Je te l’fais pas dire, se moqua Tara. Bon, viens, on va rentrer. On finira bien par trouver des démons intéressés par ton idée dans les jours qui viennent. En attendant, il nous faut une bonne nuit de sommeil… et de l’aspirine pour ma pauvre tête. On chope Cléo et on part !
— D’accord, marmonna Cain en se levant péniblement.
Il n’était pas stable sur ses pieds, mais il devait pourtant se reprendre. Il récupéra sa veste sur le dos du sofa et l’enfila avant de se glisser entre ses congénères pour retrouver la troisième membre de leur colocation. Ce ne fut pas très compliqué, car dans un coin du bar, une ambiance électrique semblait avoir instauré un calme glacial.
— J’t’ai dit de foutre le camp ! gronda une voix grave et menaçante. Tu veux finir en lasagne ou quoi ?
— Ouais, ouais, répliqua une voix féminine ennuyée et impatience. Cause toujours, tu m’intéresses ! Mais si tu m’payes un petit verre, j’te laisse ma place…
Échangeant un regard inquiet, Tara et Cain fendirent la foule pour rejoindre le lieu de la dispute. Ils avaient reconnu la voix de Cléo qui, sans aucun doute, venait de foncer dans le pétrin la tête la première. La démone, toute de cuir vêtue, était installée sur sa chaise comme sur un trône. Ses longs cheveux noirs tombaient dans son dos, à l’exception de quelques mèches rebelles qui tombaient devant ses yeux gris. Face à elle se trouvait un homme grand et imposant, qui était manifestement très en colère. Même Cain, qui en Enfer que depuis peu, savait que ce type n’était pas recommandable. Il l’avait déjà vu plusieurs fois et avait appris que Raphaël était une véritable ordure qui contrôlait une bonne partie du quartier, y compris ce bar.
Mais bien sûr, il fallait que Cléo foute les pieds dans le plat et le provoque !
— Eh, mais attends ! s’exclama le démon avec fureur. T’es la connasse qui avait mis le bazar la dernière fois ! Dégage maintenant avant que je te défonce !
S’il y avait bien une chose qui avait surpris Cain à son arrivée ici, c’était le vocabulaire en Enfer. La panoplie d’insultes et des gros mots des démons battaient tous les records ! Mais il s’y était habitué au fil du temps et à présent, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Cependant, sentant que la situation empirait, il se décida à agir avant de déclencher une guerre civile dans l’établissement. Il se précipita devant Cléo, s’interposant entre elle et Raphaël, abandonnant tout instinct de survie.
— Désolé, monsieur, lança-t-il du ton le plus inoffensif et le plus lèche-botte possible. On allait partir de toute façon…
— Oh que non, on part pas ! répliqua la démone d’un ton féroce.
— Tu ferais mieux de déguerpir avant que je change d’avis et que je t’arrache les membres, gronda l’usurier.
— Oh, mais vas-y, mon mignon, ronronna sa colocataire avec un sourire provocateur. Viens me montrer ce que t’as dans le ventre, que je te le fasse recracher !
Il n’en fallut pas plus pour démarrer une baston générale ! Sautant sur l’occasion de pouvoir se défouler, les démons bondirent de leurs chaises, attrapant le col du premier venu pour débuter une distribution de salades de phalanges.
Cain se retira de la trajectoire de Raphaël qui fonçait sur Cléo. Il avait beau être sympa, il n’allait pas prendre les coups pour elle ! Autour de lui, tout le monde se bousculait pour frapper, alors que quelques malheureux prenaient la fuite en courant dehors.
— Viens !
Une main agrippa son bras et le tira vers le comptoir en bois. Tara sauta souplement par-dessus, imité par le blond. Au moment où il atterrissait de l’autre côté de leur barricade, une bouteille volait en éclat contre le mur. Il plaqua ses mains sur sa nuque pour la protéger du verre.
— Quel boulot de merde !
Les deux amis tournèrent la tête vers le barman, lui aussi réfugié avec eux. Il avait l’air à deux doigts de hurler de rage, ses cheveux noirs serrés dans ses poings. Ses yeux marrons se posèrent sur les deux démons, comment s’il essayait de savoir s’ils étaient là pour se battre ou non.
— Vous… commença-t-il en haussant un sourcil suspicieux.
— Non, répondirent en chœur Cain et Tara en secouant la tête.
— On zieute une occasion de sortir, compléta la jeune femme en jetant un coup d’œil par-dessus le comptoir.
Au moment où un homme traversait le bar pour s’écraser contre une étagère, elle s’accroupit à nouveau. Son visage était tordu par une grimace de haine.
— Cette emmerdeuse nous a plantés là ! gronda-t-elle pour couvrir le bruit des luttes.
— Qui ça ? s’étonna Cain sans oser se renseigner visuellement. Cléo ?
— Bien sûr, Cléo ! hurla Tara avec rage. Elle vient de foutre le camp et elle nous laisse sa merde ! Je vais la tuer et l’envoyer dans l’Enfer de l’Enfer !
— Bonjour ! Il y a de l’animation ici, ne trouvez-vous pas ?
En entendant cette voix anormalement enjouée, le blond redressa la tête pour regarder vers le plafond. Son nez se retrouva à moins de deux centimètres de celui d’un autre homme, et ses yeux bleus croisèrent deux iris dorés. Ses cheveux roux frôlèrent son menton, avant que l’inconnu ne se relève d’un coup pour contourner le comptoir.
Ne craignant manifestement pas de prendre un projectile perdu, il resta debout, s’appuyant sur le bar. Il était grand et mince, et la première chose que Cain remarqua fut sa tenue élégante. Une chemise rouge flamboyant, une cravate noire, un manteau et un pantalon noir, et avec les chaussures cirées s’il vous plaît ! Il portait des gants noirs, dont le bout des doigts était argenté. La seconde chose qu’il remarqua fut les deux curieuses oreilles rousses qui surmontaient sa chevelure ainsi que la sclérotique noire, avant de s’arrêter sur le sourire ravi.
— TOI ! hurla le barman en oubliant toute discrétion, sa voix tremblante de fureur. Qu’est-ce que tu me veux, enfoiré ?!
Pendant une seconde, le démon ne sembla pas le reconnaître, plissant les yeux, avant de les rouvrir sous la compréhension.
— Oscar ! lança-t-il avec un sourire plus prononcé, s’écartant pour laisser passer un verre vide sous son nez. Cher ami, quel plaisir de te voir !
— J’t’ai demandé ce que tu foutais ici ! s’impatienta son interlocuteur sans s’adoucir.
— Je passais dans le quartier et j’ai remarqué l'agitation ici. C’est très divertissant de regarder les gens se battre en buvant un bon verre de whisky !
Cain haussa un sourcil sceptique, ne comprenant pas ce qu’il y avait de drôle à ça. Il se tourna vers Tara, espérant qu’elle aurait trouvé un moyen de partir. Mais elle n’était pas en train de regarder par-dessus le comptoir. Ses yeux gris étaient fixés sur le démon, le visage figé dans une expression de terreur.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? interrogea le blond avec inquiétude en la prenant par les épaules. Tara ! Hé oh ! C’est ce type qui…
— Ta gueule ! s’écria la jeune femme avec précipitation en plaquant ses mains sur sa bouche. Ferme ta gueule !
— Tiens donc, continua l’inconnu en examinant le duo avec curiosité. Je vous ai déjà vu quelque part, j’en suis certain. Où cela pouvait-il bien être ?
— Nulle part, répondit la démone d’une voix presque étranglée. On…
— Eh toi !
Un homme s’approcha du comptoir d’un air confiant et agrippa le col du rouquin d’un air menaçant. Cependant, son rictus narquois s’envola rapidement lorsque son visage se décomposa.
— Le… démon… renard, bafouilla-t-il avec épouvante en le lâchant comme s’il s’était brûlé.
Il n’avait pas parlé très fort, mais cela suffit pour immobiliser tout le bar. Tout le monde tourna la tête vers eux, devenu subitement silencieux. Le démon en question agita une oreille dans un tic agacé, bien que son sourire persistait et que ses sourcils n’étaient pas froncés.
— Toi, déclara-t-il d’une voix chargée de menace, sa tête basculant sur le côté dans un craquement sonore. Tu as osé me toucher, et tu viens d’interrompre mon divertissement…
— Je suis désolé !! s’exclama son interlocuteur en reculant, totalement paniqué. Je ne voulais pas…
Même sans être face à lui, Cain remarqua que la couleur dorée des yeux du démon se changea en rouge vif. Mais il dut interrompre son observation admirative lorsque la silhouette du barman se dressa devant lui pour attraper le tissu de son épaule.
— Faut pas rester, souffla-t-il en le relevant d’un coup.
Il n’eut pas à aider Tara, car cette dernière avait bondi sur ses pieds pour prendre la fuite. Elle sortit la première, suivie par son ami traîné par le dernier du groupe. Ils s’éloignèrent en courant dans la rue, sans se retourner pour regarder derrière eux. Cain ne savait pas pourquoi ils partaient aussi vite, mais l’expression de la jeune femme lui disait clairement que c’était sérieux. Ils cavalèrent pendant deux bonnes minutes sans s’arrêter, avant de ralentir, à bout de souffle.
— Hep ! Par ici !
Cléo surgit d’une petite ruelle adjacente, leur faisant signe de la rejoindre. Ils la suivirent, avant de s’installer à même le sol pour récupérer des poumons utilisables.
— Ben alors, vous avez vu le diable ou quoi ? lança-t-elle en s’adossant au mur, un grand sourire sur les lèvres. Diable, démon, vous avez compris ?
— La ferme, répliqua froidement Tara, sa poitrine se soulevant rapidement.
— Et c’est qui, lui ? continua Cléo comme si elle n’avait pas entendu, désignant le barman.
— On aurait dû commencer par ça, soupira celui-ci en haletant, lui jetant un rapide coup d’œil. J’m’appelle Oscar, et je bosse dans le putain de bar où tu as démarré une bagarre générale !
— Ça va, c’est pas comme si ça n’arrivait pas du genre tous les jours ! s’impatienta la démone en croisant les bras d’un air rebelle.
— En soi, je me fous des dégâts ! grogna Oscar. Mais t’as tellement foutu le bordel que le démon renard a rappliqué !
Cléo perdit son rictus à son tour, et sembla comprendre qu’elle avait fait une grosse boulette. Contrairement à Cain qui avait l’impression d’être le seul à ne rien capter.
— J’ai dû manquer un épisode, lança-t-il avec un soupir, quelqu’un veut bien me dire qui c’est, ce type ?
Le barman tourna la tête vers lui, comme s’il venait de sortir la plus grosse idiotie du siècle.
— Tu rigoles, j’espère, grommela-t-il avec mauvaise humeur. T’as forcément entendu parler de ce connard !
— Tu es là depuis seulement trois ans ! intervint Tara en se frappant le front. Bien sûr que tu ne le connais pas !
— Trois ans ? répéta Oscar en haussant un sourcil, considérant Cain avec surprise. Ah ouais, t’es un p’tit nouveau, toi !
— Bon, c’est qui, ce mec ?! s’impatienta le blond en croisant les bras, vexé.
— Il s’appelle Samaël, expliqua son amie avec calme. Mais on le connait sous le surnom de démon renard.
— Comme dans Naruto, murmura Cain pour lui-même.
— C’est quoi, ça ? interrogea Cléo avec curiosité.
— Oublie, c’est un truc d’humain, répondit-il avec un vague signe de la main. Vas-y, Tara, continue.
— En fait, je le connais que de réputation. Tout ce que je sais, c’est qu’il est extrêmement dangereux, et qu’il vaut mieux le fuir le plus possible. Un conseil : ne fais jamais de marché avec un psychopathe comme lui ! Il fait partie des démons les plus puissants des Enfers, et d’après les rumeurs, il s’est très vite imposé.
— Oh que oui, intervint sa camarade en perdant sa bonne humeur habituelle. J’étais là quand il est apparu !
Tout le monde se tourna vers Cléo, d’abord surpris, puis curieux. Interceptant leurs regards, elle se résolut à raconter ses souvenirs.
— La plupart des démons qui arrivent ici se font écraser par les plus anciens. En général, c’est pour leur faire comprendre qu’ils sont le dernier maillon de la hiérarchie. Cain, tu vois de quoi je parle…
Le blond hocha simplement la tête en silence, mais ne l’interrompit pas.
— Les petits nouveaux, c’est un moyen facile de récupérer des âmes, et donc de gagner en puissance. Berner quelqu’un avec un pacte devient plus difficile quand il a gagné en expérience. C’était vers 1905 qu’il est arrivé, je devais avoir six ou sept ans. Samaël a réussi, très peu de temps après son arrivée, à s’approprier des âmes pour gagner du pouvoir. Il a évincé voire tué des démons très importants. À ma connaissance, il n’y a jamais eu de photo de lui dans le journal. Pour avertir les démons du danger qu’il représentait, ils l’ont surnommé le démon renard, reconnaissable avec ses cheveux et ses oreilles.
— Mais là, ça faisait près de cinq ans qu’on n’avait plus entendu parler de lui, reprit Oscar d’un air grognon. Il aurait pu foutre le camp plus longtemps, il m’avait pas manqué !
— Trouvés !
Le petit groupe sursauta, et Cain sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale. En tournant la tête, ils purent voir le démon renard à l’entrée de la ruelle, son impitoyable sourire collé aux lèvres.
Dessin original d'Elysio Anemo