En ce jour de 1969, le Vieux regardait la télévision, comme tout le monde. Il retenait son souffle, entraîné par un rêve ancestral. Il comptait les échelons un par un et,  l’instant ou l’homme mit pour la première fois le pied sur la Lune, il comprit que quelque chose d’important venait de se passer. Pourtant cela n’empêcha pas l’eau de déborder sur le gaz et le chien du voisin de faire des trous dans la pelouse.

Eh bien, il était le nouvel Armstrong et il avait devant lui l’orange bleue de Paul Eluard. Ses patins imprimaient leurs marques dans la poussière lunaire et, si son corps ne semblait pas plus léger que de coutume, son cœur, lui,  l’était.

Finalement, la Lune, ce n’était pas la mer à boire. Il se demandait s’il aurait l’occasion de découvrir quelque chose d’intéressant à ramener aux copains. Là du coup ils seraient épatés. A tout hasard il ramassa une petite pierre et la mit dans sa poche quand, soudain, il aperçut un homme tout de blanc vêtu, de grands habits larges parsemés de taches noires. Il s’appuyait nonchalamment sur un grand bâton. L’homme les regardait s’avancer et, quand ils furent suffisamment près, il s’adressa au Vieux et à la fleur.

« Bonjour mademoiselle, bonjour monsieur. On me nomme Pierrot.»

Le Vieux s’approcha encore et le considéra d’un air étonné.

« Ah, c’est vous Pierrot ?

— Eh oui, Pierrot de la Lune, c’est moi. Mais d’où venez-vous donc comme cela ?

— Euh… moi de la Terre et la rose de… du ciel quoi !

— Du ciel ? Belle région ma foi, et je peux dire que je la connais comme ma poche !

— Ah bon ?

— Eh oui, pensez, j’y travaille depuis une éternité !

— Ah ? Et que faîtes-vous ?

— Je suis le gardien des constellations. La nuit je les veille, quand elles dorment, on va essayer de ne pas les réveiller en parlant trop fort, et la journée je les

surveille pour qu’elles ne se perdent pas.

— Ah ? Et que font-elles ? s’enquit le Vieux.

— Vous savez, les constellations sont encore des enfants. Elles s’amusent entre elles et ne font attention ni à l’heure qui tourne, ni à leur place dans le ciel. Vous imaginez-vous qu’un soir vous ne les reconnaissiez plus depuis la Terre ? Quel remue-ménage cela ferait ! Alors, je fais bien attention qu’elles soient toutes là, chaque soir au coucher.

— C’est un rude travail, dit le Vieux, en pensant à tous les points lumineux qui peuplaient encore le ciel au petit matin lorsqu’il se rendait à son fourneau.

— Rassurez-vous, je ne suis pas tout seul. »

Et il montra du doigt un trait qui se déplaçait au-dessus de sa tête.

« Une étoile filante », pensa le Vieux.

— Tous les bergers ont des chiens non ? Elle c’est mon étoile du berger. Aimeriez-vous les voir comme vous ne les avez jamais vues de la Terre ? demanda Pierrot, en parlant de ses constellations.

Quand, plus tard, le Vieux se remémorera son voyage il se souviendra sans doute de ce jour-là comme un des plus beaux jours de sa vie. Toute la journée les constellations avaient joué, s’étaient chamaillées, avait ri, on aurait cru les entendre, et lui les avait regardées, fasciné, comme un enfant qui regarde le ciel, la mer ou l’éternité pour la première fois.

Il se souviendra certainement de cette folle cavalcade de Pégase, du Centaure et de la Licorne autour de l’univers, faisant naître des nuages d’une poussière d’étoiles derrière eux, nuages qui vous aveuglaient à chaque passage.

Il n’aura sans doute pas oublié non plus cette envolée magistrale de l’Aigle, du Corbeau et de l’Oiseau du Paradis, que l’ardeur et la fougue des chevaux célestes

dérangeaient dans leur quiétude.

Plus tard encore, quand le Lion, le Loup et le Capricorne se bousculaient la Chevelure de Bérénice, qui semblait être une gerbe d’étoiles dans leur gueule, juste sous l’œil du Vieux et de Pierrot.

« Voyez, dit Pierrot, le Paon, solitaire, qui nous observe. Peut-être aurez-vous la chance de le voir faire la roue !»

On ne sait pas assez sur la Terre, mais le ciel a sa mer, une mer qui abrite  autant de poissons que les nôtres, et même, mais oui, une Baleine, un Dauphin, un Navire.

Les souvenirs s’imbriqueront sans doute un peu dans la tête du Vieux…

Il y avait aussi la Grande et la Petite Ourse, l’Indien et sa Flèche, le Cygne et la Colombe. Il y avait aussi…

Il y eut enfin, souvenir délicieux au crépuscule, la Lyre, jouant une petite musique de nuit pendant que Pierrot donnait le bonsoir aux unes, racontait une histoire aux autres.

« Tu sais, dit la Rose, je n’ai plus qu’un pétale.

- Je sais, » répondit le Vieux.

Panodyssey - Chapitre 8/8 : L'hôpital - Erwann Avalach