Dans un vide intersidéral constellé de lumières éparses qui ne suffisent pas à éclairer son obscurité, un astéroïde file droit devant à l'aveuglette. Fragment d'une planète orpheline éclatée pour avoir croisé la route d'une de ses semblables dans le noir éternel.

L'astéroïde trace sa route, imperturbable, aussi longtemps qu'aucun obstacle ne l'en dévie ou ne le fait exploser à son tour. Sur des trillions de quadrillards de kilomètres, sur des milliards d'années-lumière. Vers l'infini et au-delà. Indifférent aux étoiles, aux planètes, gazeuses et rocheuses, géantes et naines, aux ceintures de ses semblables qui s'étalent sur des orbites entières, aux nuages de gaz et de poussières. À son bord, de la glace d'eau, des métaux rares, et même quelques bactéries et des spores de champignons. De petites choses microscopiques qui résistent à tout. Au vide intersidéral. Au zéro quasi absolu. Aux chaleurs infernales des étoiles et des explosions cosmiques. Aux ères géologiques de jeûne. Il passe entre les mailles de tous les filets.

Puis sur sa trajectoire surgit une planète incandescente de roches en fusion, de lave et de magma, tournant sur elle-même à vitesse vertigineuse.

L'astéroïde, aveugle, suit tout droit son chemin.

La planète incandescente, tout aussi aveugle, continue sur son orbite.

À l'intersection de leurs chemins cosmiques, le point de rencontre. Précis. Mathématique. Inévitable. Calculé ? Peut-être. Qui sait.

La collision. Programmée.

L'astéroïde explose, brûle dans l'atmosphère, se noie dans le feu, dans la lave, s'éparpille en poussière, en vapeur d'eau, renvoyés par le sol en fusion. La planète incandescente l'a absorbé. Réduit à néant. Malgré sa taille pourtant considérable.

Mais la vapeur d'eau, piégée par l'atmosphère, se forme en nuages, épais, qui se mêlent aux cendres de l'explosion pour masquer l'existence de la planète incandescente.

Refroidis par l'altitude, les nuages retombent en pluie. Les cendres en friction forment des éclairs qui relient un bref instant l'atmosphère et la lave. Et c'est un cycle infini, ininterrompu, qui commence. La pluie heurtant la lave s'évapore. La vapeur piégée en altitude se condense en eau. Et l'eau retombe sur le sol magmatique en gouttes de pluie, qui entraînent les cendres de l'explosion vers la lave au milieu des éclairs puis à nouveau s'évaporent. Et ainsi de suite. Sans interruption. Pendant des millions d'années.

À la longue, peu à peu, la planète se refroidit. Se solidifie. Sa rotation reste vertigineuse, mais se ralentit. Puis sur son sol solidifié, apte désormais à retenir les eaux, la pluie continue forme des coulées, des flaques. Des coulées qui dévalent les sols en pente puis se regroupent en ruisseaux, puis en rivières, puis en fleuves. Des fleuves qui à force de dévaler les pentes finissent dans les flaques qui se forment dans les creux, les anfractuosités, les ravins, les gouffres. Des flaques qui grandissent, grossissent, jusqu'à former des lacs, des mers, des océans. Puis petit à petit les nuages s'éclaircissent, se clairsèment, laissant la planète retrouver enfin la lumière de son étoile tutélaire, qui brille désormais dans son ciel selon l'alternance des jours et des nuits. La pluie devient discontinue. Ses averses s'espacent. Dans les eaux stabilisées, les minéraux des restes solidifiés du magma originel se dissolvent. Sous l'action du satellite qui lui sert de luminaire nocturne par réverbération de la lumière stellaire, vagues et marées mélangent incessamment la soupe originelle.

Dans ce mélange, tout au fond des eaux océanes apaisées qui les protègent par leur obscurité, les bactéries et les spores de champignons, qui ont résisté à tout, commencent à se nourrir et à se reproduire.

Ainsi naquit la vie.

Crédit image : © Juan Carlos Casado - Science Photo Library