J’avais trente-trois ans en 1980 et mon fils aîné en avait neuf. À cette époque, je commençais à m’initier à l’Analyse Transactionnelle. J’avais déjà cette habitude – toujours vivace aujourd’hui – de chanter en marchant dans la rue. Un jour, mon fils, d’un air indigné, m’interpella :

« Papa, ce n’est pas sérieux de chanter comme ça dans la rue ! »

Cette remarque, et d’autres du même genre, m’ont rapidement permis de saisir une idée clé de l’Analyse Transactionnelle : on peut manifester un état du moi Parent en étant enfant, et un état du moi Enfant en étant parent.

C’est d’ailleurs pourquoi l’on écrit Parent, Adulte et Enfant avec une majuscule : pour distinguer ces états du moi des simples âges ou rôles familiaux. Manifestement, mon fils avait déjà intégré des normes qui n’étaient pas les miennes. Et pourtant, la fameuse croyance populaire dit : « Tel père, tel fils. »

Or, l’état du moi Parent est un réservoir composite. Il agglomère des références multiples : des messages transmis dans l’enfance, des injonctions culturelles, des valeurs sociales et morales, parfois aussi des idéaux ou des modèles. C’est lui qui clarifie la frontière entre ce que nous jugeons bien ou mal.

La famille – biologique ou adoptive – constitue souvent le premier terreau :

« Nous sommes travailleurs », « nous aidons toujours les plus pauvres », « nous faisons partie de l’élite », « nous sommes honnêtes », « nous prenons la vie du bon côté », etc.

Mais d’autres sources influencent également ce Parent intérieur : les normes religieuses ou politiques, les camarades, les enseignants, les œuvres d’art, les héros (ou anti-héros), les réseaux sociaux, et bien sûr les expériences marquantes, heureuses ou traumatisantes.

Ce tissage complexe et vivant peut donner naissance, selon les cas, à des attitudes rigides et toxiques, ou à des postures bienveillantes et épanouissantes. L’un des grands apports de l’Analyse Transactionnelle est de montrer que nous avons la possibilité de « reconfigurer » notre Parent intérieur, en exposant notre système de normes à des expériences nouvelles, enrichissantes, capables d’ébranler des certitudes devenues obsolètes.

À des fins pédagogiques, l’AT distingue deux grandes fonctions dans l’état du moi Parent :

Le Parent normatif incarne notre système de valeurs, d’opinions et de convictions. Il peut être protecteur lorsque les normes sont souples, adaptables, et facilitent le vivre-ensemble. Mais il devient persécuteur lorsqu’il se rigidifie, se focalise sur les défauts ou impose ses règles sans nuance.

Le Parent nourricier (ou aidant) aide à grandir, à progresser. Il peut alors être bienveillant, en apportant conseils et encouragements ajustés. Mais il peut aussi se faire sauveur, omniprésent, envahissant – et étouffer l’autonomie de l’autre sous prétexte d’aider. L’enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions.

Ce modèle paraît dichotomique, mais il s’agit plutôt de spectres aux frontières poreuses. Entre la protection et la persécution, entre la bienveillance et le sauvetage, entre la critique constructive et la dévalorisation, entre le conseil utile et l’ingérence, se dessinent des nuances infinies.

Comprendre l’état du moi Parent, c’est porter un regard lucide sur ce que nous avons intégré, souvent sans en avoir conscience. C’est reconnaître que nos certitudes ne sont pas toujours les nôtres, mais parfois l’écho de voix anciennes : celles de nos familles, de nos institutions, de nos héros ou de nos blessures.

Je vous invite à faire du tri, à choisir ce que vous souhaitez conserver, transformer ou abandonner. Reconfigurer votre Parent intérieur, c’est apprendre à poser des repères souples plutôt que des règles rigides, à proposer sans imposer, à protéger sans étouffer. C’est, en somme, passer de l’héritage subi à la transmission choisie.