Quelques jours plus tard - Appartement d’Avery

La lumière de mon téléphone éclaire ma chambre plongée dans l’obscurité, mais ce n’est toujours pas le message que j’attends. Cela fait plusieurs jours que Jaxon ne m’a donné aucun signe de vie. Un simple « vu » en gras et noir est apposé en bas de notre conversation. C’est quoi déjà la règle ? Pas plus de trois messages à la suite ? Je commence à me demander si tout cela n’a été qu’une parenthèse dans sa vie. À quoi m’attendais-je, après tout ? Ce n’est pas comme si j’étais quelqu’un d’important.

Pourtant, je n’arrive pas à me défaire de cette expérience unique que j’ai vécue. Depuis que je me suis isolée chez moi, il est rare que de telles choses m’arrivent. Les moments comme celui-ci, où la musique et les échanges sont réels, sont presque inexistants dans ma vie. Bien que le métal fasse partie intégrante de mon existence, je suis de plus en plus en retrait. Les concerts et les rencontres sont devenus des souvenirs lointains.

Il y a pourtant une petite chose qui m’a redonné un peu de vie. J’ai lancé un projet, à la base simplement pour me distraire : une communauté en ligne autour du metal. Ce qui avait commencé comme un exutoire pour une fille un peu perdue, noyant son chagrin dans les réseaux sociaux, a pris une ampleur inattendue.

Ma page Twitter, qui comptait à peine quelques abonnés au début, affiche aujourd’hui plus de 10 000 personnes, entre simples passionnés et artistes émergents. J’ai réussi à créer une réelle communauté, tout en préservant mon anonymat. C’est fou de voir tout ça, de sentir cette connexion avec des gens qui partagent les mêmes passions que moi. Mais au fond, cela ne m’empêche pas de me sentir aussi seule.

Le sujet du jour : la venue de Crimson Shadow au Eclips Metal Fest. Un frisson me parcourt l’échine rien qu'à l'évocation de ce nom. L'actualité du groupe est souvent controversée. Entre les frasques de leur chanteur, Damian Stones, et le manque de sécurité lors de certains de leurs concerts, Crimson Shadow ne manque jamais de faire la une des tabloïds, mais pas toujours pour les bonnes raisons.

En attendant, la toile s'emballe à l'idée de revoir Damian Stones sur scène après une longue pause du groupe. On dit qu'il aurait rejoint un centre de désintoxication pour traiter ses problèmes d'alcoolisme, ce qui alimente encore plus l'attente et les spéculations des fans.

Je scrute les commentaires sur les posts Twitter, l’excitation grandissant à chaque nouvelle publication. Certains fans semblent impatients de revoir Crimson Shadow, d'autres, sceptiques, se demandent si Damian sera vraiment à la hauteur après une telle pause. Personnellement, je n’ai jamais été une grande fan du groupe, mais le nom "Crimson Shadow" me fait toujours un nœud dans le ventre, surtout après ce qui m'est arrivé ce jour-là au concert.

Un soupir s’échappe de mes lèvres. Ce n’est pas la première fois que je me retrouve à me perdre dans les méandres d’Internet à propos de ce groupe. Mais cette fois, il y a quelque chose de plus, quelque chose que je ne peux pas expliquer. Un malaise qui me serre la poitrine à chaque fois que je vois le nom de Damian Stones. J’ai beau essayer de me concentrer sur autre chose, il revient toujours, comme une ombre persistante.

Je quitte l’application et me laisse tomber sur le canapé, mon regard vagabondant autour de la pièce. La solitude est un cocon douillet, mais il y a des moments où elle devient trop lourde, trop oppressante. Et c’est exactement ce que je ressens aujourd’hui.

Je retourne sur mes messages, mais il n’y a toujours aucune nouvelle de Jaxon. Peut-être qu'il a tout simplement disparu de ma vie, comme ça, sans prévenir. Pourtant, cette pensée me rend légèrement triste. Après tout, il ne s’agissait que d’une conversation anodine entre une fan et son idole.

Je pousse un soupir et scrolle sur la page Instagram du groupe. Une nouvelle photo vient d’être postée : Jaxon Ryder, concentré, se tient dans une cabine d’enregistrement, un casque couvrant ses oreilles. Une autre photo montre Connor Hayes, le batteur, assis dans un canapé avec Hannah Blake, leur claviériste et choriste, blottie dans ses bras.

Je retourne sur Twitter pour voir les réactions des fans. Les commentaires s’enflamment déjà, oscillant entre compliments sur l’esthétique des photos et spéculations sans fin. Certains parlent du travail acharné du groupe en studio, mais une bonne partie des discussions tourne autour de Connor et Hannah. Je poste rapidement une remarque à leur sujet, en ajoutant un clin d’œil. Leur complicité affichée ne fait qu’attiser les rumeurs sur une éventuelle relation, des rumeurs qui alimentent régulièrement les conversations sur les réseaux depuis plusieurs mois.

La nuit tombe doucement, enveloppant mon appartement dans une ambiance propice à la créativité. C’est toujours à ce moment de la journée que mon inspiration se réveille. Je me dirige, boitillante, vers mon bureau, allume mon ordinateur, et commence à chercher de nouveaux groupes à intégrer dans ma playlist. Pourtant, même cette distraction n’arrive pas à me faire oublier Jaxon. Il occupe une place tenace dans mes pensées, malgré moi.

Il y a quelques jours, j’ai découvert un petit groupe local nommé Fallen Reverie. Ils n’ont encore qu’une centaine d’auditeurs sur Spotify, mais leur présence sur les réseaux est déjà prometteuse : près de 2 000 abonnés sur Instagram et une actualité bien remplie. Avec un nouvel EP fraîchement sorti et des concerts prévus dans plusieurs bars de New York, ils semblent prêts à se faire un nom. Ils ont d’ailleurs remarqué mon contenu et ont aimé quelques-uns de mes posts. De fil en aiguille, je leur ai proposé de leur consacrer une vidéo.

Mes vidéos suivent une structure bien rodée : trois questions essentielles pour présenter les groupes émergents. Depuis quand le groupe existe-t-il ? Quelles sont leurs influences musicales ? Et enfin, quels sont leurs projets pour l’avenir ?

Je m’installe et prépare mon matériel. Après avoir soigneusement écrit mon script, je lance l’enregistrement sur mon logiciel audio.

— Salut les fans de metal ! On se retrouve aujourd’hui pour parler de Fallen Reverie.

Ma voix résonne dans la pièce, accompagnée par le rythme familier du processus. Quelques ajustements, une prise ou deux à refaire, et le tout est prêt pour le montage. Je souris malgré moi : plonger dans ce monde, c’est une échappatoire, mais c’est aussi une manière de me sentir connectée à quelque chose de plus grand.

C’est à ce moment précis qu’une notification tant attendue illumine mon téléphone.

Salut Avery ! Désolé, je n’ai pas eu une minute à moi. On a passé des heures en studio à enregistrer "Scars and Stories". J’ai hâte de te faire écouter la maquette.