Rest' là maloya (2/5)
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Rest' là maloya (2/5)
Deuxième partie : Mélodie vagabonde (17)
Autobiographie
On l'aura compris, Rest' là maloya n'est pas une chanson à mettre au même niveau que les autres. Elle occupe une place à part. C'est une chanson tardive, écrite en métropole après longtemps de silence, longtemps de dérive, et enregistrée presque aussitôt, dans la foulée, le même souffle. Ce n'est pas une chanson qu'il a gardée avec lui dans la solitude et qu'il a polie peu à peu dans les rues et sur le sable de La Réunion, égrenant une note après l'autre, mais plutôt une fulgurance sortie de lui sans effort et mise en boîte quasi instantanément, qui parle du moment présent. Alain Péters a toujours eu cette facilité à inventer des mélodies, mais d'habitude les choses ne s'enchaînent pas aussi vite. L'enregistrement est toujours plus laborieux que l'écriture, mais pas cette fois. En compagnie de son ami Loy Ehrlich, il gagne en aisance et l'univers du studio ne lui pèse pas.
Contrairement à ce qui se passe dans tous ses autres textes, Alain Péters parle sans détour de sa vie et de son histoire. Bien sûr, il lui est souvent arrivé d'utiliser la première personne auparavant, comme dans Romance pou in zézère par exemple, mais c'était toujours un « je » poétique, dissimulé derrière des images, un autre, un singulier fantasmé. S'il parlait bien de lui et de son amoureuse, c'était de façon détournée, s'imaginant petite feuille poussée par le vent, et l'appelant « jeune fille », rien de vraiment personnel. Il lui était aussi déjà arrivé de parler de ses parents, dans Waïo Maman par exemple :
« Waïo maman, waïo papa
Waïo maman waïa
Waïo maman, waïo waïa »
mais ils étaient dépersonnalisés, transfigurés, et les mots étaient coupés de leur signification, comme le Bon Dieu dans la Complainte de Satan (1ère figure) :
« Oh ! Bon Dieu
Oh ! Bon Dieu
Pourquoi tu fais ça ? »
ou comme Ti Gus dans La Rosée si feuille songe. Il n'y a rien qui renvoie vraiment à la réalité. Ici, quand il écrit « mon p'tit maman gâtée », il s'agit vraiment de sa mère, Céliane Péters.
Grimpent là-haut la montagne
Pour bien comprendre les paroles de Rest' la maloya, il ne faut surtout pas faire abstraction du contexte qui a permis à la chanson d'exister.
Dans cette première partie, Alain Péters ne parle pas encore de lui. Il met en scène une équipe bigarrée de quatre cavaliers fantastiques montés à l'assaut d'on ne sait trop quel moulin :
« Pierre, Paul, Jacques ecqu' Joseph
Carreau, pique, cœur, sembl' trèle
Té partis fait campagne
Pou sait pas quel Charl'magne
Garottés d'in bel' pagne
Grimpent là-haut la montagne
Comme seule résolution
Fane zot' dépitation ».
Pierre, Paul, Jacques et Joseph
Carreau, pique, cœur et trèfle
Étaient partis faire campagne
Pour on ne sait quel Charlemagne
Drapés dans de beaux pagnes
Ils grimpèrent là-haut sur la montagne
Avec comme seule résolution
Fuir la dépitation.
Il utilise une fois de plus la parabole pour présenter les personnages d'un jeu de cartes donnant leur vie pour des rois légendaires et distants, des fous plutôt que des cavaliers, vêtus de couleurs vives et gravissant les montagnes pour affronter des ennemis dont on ne sait même pas s'ils existent, des monstres intérieurs.
éclat/éclatement
Alain Péters se fracture en quatre éléments, quatre couleurs, quatre dimensions, quatre sphères, plutôt qu'il ne s'imagine accompagné de trois compères. C'est lui, et lui seul, paré de l'un de ses costumes de scène flamboyants cousu sur-mesure par sa maman, qui doit affronter ses démons intimes quitte à dévisser de la montagne et se fracasser la tête dans les abîmes ou s'envoler. Il sait pourquoi il doit se battre : pour fuir la dépitation, c'est-à-dire l'amertume. Il s'agit donc de ne pas s'apitoyer sur son sort, de ne plus se laisser aller et de bien se saper. Enfile le costume et joue le rôle, à force cela viendra naturellement. C'est une promesse qu'il se fait à lui-même, la promesse de se reprendre en main.
« Zot' té baignent d'in l'incompréhension
Qu' l'était vraiment totale
D' mounes té qui dit
Ça band' là pas normal'
Vautrés d'sus la plage La Réunion
Ou bien d'in cité béton
Quantité la morale
Zot' té y avalent »
Ils baignent dans une incompréhension
Vraiment totalement
Tout le monde dit
Que ces gars-là ne sont pas normaux
Vautrés sur une plage de La Réunion
Ou bien dans une cité en béton
On leur fait avaler quantité
De leçons de morale.
Le sentiment est le même à Paris qu'il était à La Réunion : personne ne le comprend, et à la plage comme à la ville, le décor n'y change rien. Ce qui domine, c'est l'incompréhension, le désaccord, dans le sens musical du terme, le manque d'harmonie. Alain Péters en revient à ses thèmes de prédilection, le wati-watia, ladilafé, les commérages, le jugement tranché des gens qui critiquent sans savoir de quoi il retourne. Ni l'esprit, ni la lettre ne changent par rapport à d'autres chansons. Ce qui change en revanche, c'est le point de vue. C'est à ce moment-là de la chanson que l'on voit poindre l'autobiographie. La parabole initiale des chevaliers et du jeu de cartes laisse petit à petit la place à des éléments réels, comme s'il zoomait sur sa propre vie. Il se protège encore toutefois en utilisant le pluriel : « ça band' là », cette troupe.
Comme là maloya, Eric Ausseil rest' là même.