introduction part. 2
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introduction part. 2
A contre-courant
Alain Péters n'a pas mené une vie de musicien ordinaire qui se rend au studio, part en tournée, accorde des interviews. Il s'est toujours tenu à l'écart du système. Pourtant il fait bel et bien partie d'un ensemble qui l'a façonné, et qu'il a transformé en retour. Aucun artiste, si libre et indépendant soit-il, n'est jamais coupé du monde ni de l'histoire, même si sa volonté la plus farouche est de s'en échapper. Vouloir s'échapper du système, c'est justement la preuve qu'on en fait partie. C'est un travail éreintant pour l'esprit et ingrat, un travail perdu d'avance. Alain Péters a subi cet écartèlement toute sa vie. Il a créé une œuvre résolument nouvelle, mais qui plonge ses racines dans l'histoire lointaine de l'île de La Réunion et de l'esclavage, dans le passé du monde, travaillant un matériau ancien pour en faire quelque chose d'inédit capable de s'envoler, entre terre et ciel. On décèle dans son œuvre de grandes lignes de force travaillant la chair et les mots.
Il voyage en solitaire
Il faisait de la musique dans son coin, chez lui ou dans les rues, jouant de la guitare, chantant, sifflant, déclamant parfois des poèmes comme illuminé et se perdant dans une errance farouche. Ses amis l'ont accompagné dans les bons moments comme dans les mauvais. Ils l'ont poussé à enregistrer ses chansons pour garder une trace, pour montrer, pour dire, pour témoigner. Ils l'ont gardé en vie, lui redonnant de l'espoir quand il voulait tout abandonner. Lorsqu'il est décédé, ils ont poursuivi son travail. Ils ont continué à porter ses chansons sur scène ou en studio. Un immense effort collectif de sauvegarde a été fait. Aujourd'hui, sa musique est toujours bien vivante et accessible. Alain Péters est reconnu et apprécié, même si c'est dans un cercle assez restreint d'amateurs, une niche comme on dit dans le jargon commercial. Peu importe, Diogène lui aussi vivait dans une niche, cela ne l'a pas empêché de faire parler de lui.
Souffler sur des braises
Les chansons qu'il laisse après lui sont peu nombreuses, mais le volume n'est pas une preuve de talent. En près de vingt ans d'écriture, il n'a produit que vingt-cinq titres, patiemment ciselés : quatre instrumentaux, cinq poèmes de Jean Albany, quatorze chansons et deux textes sans musique. Ce n'est pas la plus petite œuvre du monde, mais on ne doit pas en être loin. Ce répertoire squelettique, il l'a joué aux quatre coins de l'île, à Paris, sur scène ou en plein air, promenant inlassablement son carnet de chant avec lui. C'est son identité. C'est là qu'on peut rencontrer le vrai Alain Péters. Son œuvre donne de lui une vision bien plus cohérente que les éléments fragmentés qu'on trouve habituellement dans les articles et les livrets. C'est la matière la plus solide sur laquelle s'appuyer. Il faut tenter de rassembler les éclats de lumière flottante pour redéfinir les contours du soleil, ramasser les morceaux et reconstituer la boule à facettes. Ce bricolage fera apparaître alors, comme des pépites dans le limon de la rivière, des trésors inouïs cachés juste derrière les petites histoires. Car les chansons d'Alain Péters sont bien plus profondes et complexes qu'elles n'y paraissent au premier abord. Si beaucoup est donné, il y a encore bien plus à découvrir.
Illustrations publiées avec l'aimable concours d'Eric Ausseil (à retrouver ici).