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Errances et errements

Errances et errements

Veröffentlicht am 1, Juni, 2023 Aktualisiert am 1, Juni, 2023 Musik
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Errances et errements

 

Troisième partie : rayonnement du maloya (10)

 

Pour Alain Péters, tout s'est arrêté le 12 juillet 1995. Enfin tout s'est presque arrêté. Toute sa vie et tout son parcours, tous les souvenirs qu'il nous laisse se tiennent dans ce « presque ».

 

Subjectivité du temps

La vie d'un homme est une chose complexe. D'un côté, il y a la biologie, qui est plutôt linéaire : un début et une fin, un temps donné de façon statistique, l'espérance de vie, comme si on avait une réserve de points au démarrage, un capital dont on disposerait à notre guise. Libre à chacun de le préserver ou de le brûler. D'un autre côté, il y a tout ce qui n'est pas palpable, non linéaire. Certaines minutes semblent parfois durer des heures et à l'inverse des journées entières peuvent fondre à toute allure. Certains trouvent le temps long, d'autres ne s'ennuient jamais. Certains ressentent le besoin de s'user, d'autres de s'économiser, laisser aller ou entretenir son corps et son esprit. Ce qu'on fait de ses émotions ou de sa mémoire dépasse la linéarité du temps biologique : il y a des bonds en avant et des retours en arrière en permanence, des accélérations et des ralentissements. Cette vie-là, qui se joue dans les connexions neuronales et les pulsions endocriniennes, dépasse largement la mesure de l'existence. Elle peut se prolonger. Ou plutôt le résultat de ces connexions et de ces pulsions peut se prolonger.

En ce qui concerne Alain Péters, la vie biologique s'achève par un arrêt cardiaque mais son héritage spirituel, l'empreinte qui laisse derrière lui, ne fait que commencer. Il bénéficiera d'une meilleure diffusion, et donc d'une plus large audience, après sa mort que de son vivant : il a sorti plus de disques depuis 1995 que lors de toute sa vie de musicien. C'est un peu triste que cela se soit passé ainsi mais c'est également une chance : la chance pour nous de pouvoir encore découvrir son œuvre longtemps après lui.

 

Plongée dans l'histoire

En écrivant ces mots, j'ai aussi voulu rendre hommage à l'effort collectif de personnes, d'associations et de labels qui ont sauvegardé au fil des années l’œuvre rare et confidentielle d'Alain Péters, précieuse au-delà de toute transaction économique. J'ai voulu y participer à ma manière, en l'abordant par un autre biais, celui de l'écriture. Je me suis plongé dans l'histoire, celle de La Réunion, de l'esclavage, celle de la musique, du maloya, celle, intime, d'Alain Péters, afin de déchiffrer le contexte dans lequel un tel personnage est venu s'inscrire. J'ai retrouvé au gré de mes recherches les témoignages directs de ceux qui l'ont connu ou simplement rencontré, les photos, les images d'archives. J'ai développé mes propres réflexions, qui m'ont conduit à voir apparaître des ressemblances entre la trajectoire éphémère d'Alain Péters et celle d'autres artistes. À chaque fois j'ai suivi ces chemins.

Cela peut ressembler parfois à des digressions, à des errances, des errements, voire des erreurs, mais ce n'est pas le cas. Je considère que ces détours font partie intégrante du cheminement. Aller à l'efficacité ou à l'économie ne m'intéresse pas. Au contraire, je crois qu'il y a beaucoup à apprendre du croisement et de la comparaison. On grandit toujours de la rencontre. La Réunion en est un bel exemple. Même si deux artistes ne se sont jamais rencontrés, n'ont peut-être même jamais entendu parler l'un de l'autre, on peut arranger des retrouvailles, improviser un bœuf et voir ce qui se passe. On a le droit. Aucun artiste n'est seul dans son coin, isolé sur son île. Tous s'inscrivent dans un lent processus qui les dépasse, étoiles, planètes ou poussières dans une galaxie.

J'ai choisi enfin de revenir aussi souvent que possible à la source, aux fondements, c'est-à-dire à l’œuvre d'Alain Peters, à sa musique et ses chansons. J'ai voulu raconter de l'homme juste assez pour permettre de mieux appréhender son héritage.

Et à propos de croisement, merci encore et toujours à Eric Ausseil.

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