Tout ce qu’on demandait aux murs, c’était de ne pas être tombés 10/10
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Tout ce qu’on demandait aux murs, c’était de ne pas être tombés 10/10
Angelo pense toute la nuit et toute la journée à cette femme qui lui vouait une telle attention. Il ne comprends pas pourquoi, et pourtant il sent que Anna ne lui accorde pas tant de valeur pour complaisance. Elle montrait une grande confiance en lui. Une confiance qu’il ne s’était jamais accordé lui même, mais que pourtant ne lui semble point déplacée. Il a comme l’impression de se voir pour la première fois. Sous une lumière totalement différente, mais plus vraie. Et d’être bien plus l’homme qu’il qu’il se voyait avec les yeux d’Anna, que tout ce qu’il avait aperçu de lui-même tout le long de sa vie. Il pose la tête sur le chassi de la porte et il regarde les murs de la chambre. Il essaie de se souvenir comment ils étaient derrière ces toiles si belles. Il arrive à peine à se remémorer de comment était cette pièce avant que Anna l'occupe. Et pourtant il le connaissait par coeur ce crépi de plâtre, sali plus par le vide des jours que par les nuitées des clients. Il lui semblait morne au point qu’il avait jugé inutile même d’y accrocher un quelconque petit tableau récupéré dans un grenier ou dans une des tantes maisons désaffectées d’après la guerre. Il ne s’était jamais trop inquiété de cela, presque tous les chambres des auberges comme le sien étaient ainsi. Il trouvait même pathétique l’effort que faisaient certains de les enjoliver. Il aimait la vérité. La vérité est un luxe que très peu de personnes peuvent se permettre. Ces murs en disaient une, et c’était la seule vérité qu’il pouvait dire avant que Anna vienne recouvrir ces lieux d’un ciel dessiné de ses doigts: on était à la fin d’une guerre, une terrible guerre. Tout ce qu’on demandait aux murs, c’était de ne pas être tombés. Il le dit à Anna. Exactement comment il venait de le penser.
— Oui, et n’être pas tombé c’est un mérite. Immense.
dit-elle en caressant le mur comme s’il était un être vivant, en chair et en os, qu’elle voulait remercier de quelque chose. De quelque chose d’immense. Justement. Il regarde le mur, sous ses doigts. Et il rêve de la même caresse sur lui. La guerre avait rendu dures ses joues. C’était le seul mot qui lui venait à l’esprit, en se regardant dans le miroir, le matin. Il ne sait pas pourquoi, mais un besoin soudain de dire quelque chose de personnel à Anna le prend. Il murmure:
— J’ai eu peur et froid, pendant toute la guerre. Peur et froid.
Anna s’approche, il lui caresse le visage, longuement, doucement, bien plus tendrement qu’il aurait osé espérer un second avant. Il retient le souffle autant qu’il peut. Il a peur qu’elle arrête. Mais elle continue, puis elle murmure:
— Mais, tout comme les murs, tu n’es pas tombé Angelo. Et c’est immense.
Il pose la tête sur son cou. Comme un enfant. Anna le prend par la main, le fait s’asseoir à ses côtés, elle serre sa tête entre ses bras et elle le berce. Comme un enfant.
L'Aubergiste, inédit 2019