On ne me la fait pas à l’envers.

Des Rennes volants, une hotte d’où tous les cadeaux du monde dégoulinent… Il faudrait au Père Noël accorder six secondes par enfant la nuit du 24, je l’ai lu dans le journal. De ce que je sais, tous les sapins des maisons de la terre sont garnis. On n’a jamais entendu un môme se plaindre de ne pas avoir eu de jouet parce qu’il n’était pas sage. Bêtises, ça ! Un moutard, ça n’est jamais vraiment sage et pourtant, les paquets s’entassent toujours dans le salon.

J’ai beau avoir neuf ans, préférer la poésie aux calculs, il n’aurait jamais le temps d’aller de cheminée en cheminée, c’est logique ! Et comment fait ma copine Lise dans son appartement pour être aussi gâtée que moi ? Vous pouvez m’expliquer ?

Noël dernier, je m’étais assoupie à côté de la cheminée, pour le prendre en flag, comme ils disent, et bien, non seulement mon pyjama rose était devenu tout noir, et en plus de ça, il n’est ressorti du conduit qu’un pigeon qui avait froid, et ne l’a vite plus eu.

Mais je n’étais encore qu’une gamine… Parce que tout le monde sait que le Père Noël peut aussi se brûler les bottes.

Je tire vivement les rideaux de ma chambre et me réfugie sous la couette. Contempler le ciel, c’est pour les petites filles.

Ce que j’aime le plus moi, à Noël, c’est l’attente.

Je suis blottie dans mon lit avec Ciboule, mon lapin, mon corps au chaud, mes mains au-dessus de la couette, j’attends qu’elles soient assez froides pour les joindre avec le reste, c’est le petit frisson de la température qui grimpe. Je sais que la magie opère quelque part, et c’est finalement ce qui compte. Le bois crépite, les parents dorment à côté. Demain, à cette heure, le salon débordera de tendresse et d’emballages cadeaux. J’attends avant de dormir car le moment préféré est là, il est dans ma tête, il est doux, chaud, il sent le gâteau dans le four, le chapon farci, le jus de pomme, la cannelle. J’imagine un peu les paquets, mais les jouets, c’est la virgule dans la phrase, c’est le goûter dans le cartable, le château de sable en été…c’est beau mais encore plus rapide que l’attente. Et je profite en avance.

Mes paupières se ferment un peu, l’envoûtement de la nuit me gagne mais non, je pense à demain, à la déco de table, à la fumée des bougies soufflées, la cire fondue sur la nappe en papier. Je pense aux invités qui seront pris dans leur discussion de grands, et qu’à ce moment là je n'existerai pour personne mais que j’aurai des frissons de les voir, de savoir qu’on passe le même moment. Il y aura des odeurs, des lumières partout, pas de neige, (ce n’est que dans les films et je m’en fiche). On n’aura plus faim dès l’entrée, car maman m’aura dit de ne pas trop me gaver, et je ne l’aurais pas écoutée (vous voyez bien qu’on n’est pas sage). Mais ce sera beau car je crois que c’est fait pour ça. Ce sera beau car tout le monde sera heureux, que la maison sera jolie et que tous les murs sentiront bon.

L’ivresse du sommeil m’emporte… j’ai hâte.

Margaux Chatelin