Cœurs de savons
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Cœurs de savons
Légende ou histoire vraie dans un lointain passé…
Elle habitait une maison toute simple, seule, près des bois. Chaque jour, elle regardait par le carreau unique au-dehors. Ses yeux couleur noisette étaient emplis d’une profonde tristesse. Elle ne voyait pas la beauté de la vie qui foisonnait devant
elle, les petits oiseaux qui voletaient de branche en branche, gazouillant de leur chant de liberté, les corolles des fleurs qui chaque année s’ouvraient au printemps, les papillons qui se posaient tranquillement dans le cœur des reines du bal, les abeilles qui s’activaient, pattes jaunies pour récupérer le trésor floral… Non, elle ne voyait rien de tout cela. Elle paraissait, tel un fantôme, derrière la vitre de la fenêtre, visage pâle, les lèvres fines et serrées. Le monde tournait sans elle et elle le regardait, en simple spectatrice.
Quand elle n’observait pas ce qui se passait aux alentours de sa maison, elle s’affairait à fabriquer des bougies sculptées ou pour Monsieur le Curé, de beaux cierges et, des petits savons en forme de cœur, de toutes les couleurs, aux senteurs de miel, de lavande, de rose… Chaque semaine, elle en fabriquait et les rangeaient avec soin dans une pièce prévue pour les stocker et à chaque début de mois, un jeune homme gentil et bossu venait frapper à sa porte.
- Bonjour Marie, je viens chercher des savons et des bougies pour Monsieur le Curé.
- Viens mon Sébastien, tu vas voir, j’en ai encore fait de beaux savons et qui sentent très bons et j’ai réservé des grands
- cierges et quelques petites bougies pour l’Église !
- Les gens au village adorent tes savons et ils ne sont pas chers. Ils m’ont encore pris tout le stock. À l’Église, on croirait que les bougies se consument plus vite entre les prières et les chants. Enfin, Monsieur le Curé a besoin de nouvelles bougies pour la messe et il parait qu’un mariage se prépare aussi et deux baptêmes !
- Ah ! De qui donc ?
- Il va baptiser les jumeaux de la mère Mathilde…
- Et ce mariage ?, tu ne me dis rien.
- Je ne sais plus, Monsieur le Curé parlait si vite.
- Hum, me cacherais-tu quelque chose, mon Sébastien ?
- Non, fit-il, en baissant le regard.
- Qu’as-tu ?
- …
- Tu ne veux pas me le dire ?
- Si, mais, c’est que j’ai peur de votre réaction.
- Qui va se marier, dis-moi ?
- C’est le fils de Primo …
- Stefano ?
- Oui.
Marie devint soudain encore plus pâle. Elle tendit une caisse en bois remplie de petits savons en forme de cœur et un sac en toile rempli de bougies.
- Tiens, je crois que ça ira pour cette fois.
- Laisse-moi seule, maintenant.
- D’accord, fit le jeune homme gentil et bossu.
Il chargea son âne qui était resté attaché à un piquet en bois, près de la maison et il repartit en direction du village. Marie referma sa porte. Son cœur n’était pas un savon. Elle ressentit une profonde douleur dans la poitrine et tout à coup, elle le
souhaita comme ses savons, qui peu à peu après usage se faisaient peau de chagrin jusqu’à disparaitre entièrement.
Il y a quelques années de cela, elle avait rencontré le beau Stefano et en était tombée follement amoureuse. C’était d’ailleurs réciproque. Seulement, le père de son amoureux ne voyait pas d’un bon œil cette union et envisageait des noces plus utiles disons car les affaires passaient avant toutes choses. Malgré leur amour naissant, il leur fit bien des misères et réussit même à éloigner son fils Stefano pour qu’il fasse de brillantes études. Marie fut ainsi séparée de lui.
Blessée, elle s’isola et à la mort de sa pauvre mère, Isabeau, elle reprit son petit commerce dans la demeure familiale. Les jours passèrent. Stefano ne revint pas. Il avait dû l’oublier. Elle ne se consacra alors plus qu’à ses créations et à leur vente par l’intermédiaire de Sébastien. Sortir et aller au village étaient au-dessus de ses forces.
La nouvelle du mariage prochain de Stefano réveilla en elle une vive douleur. Dès lors, elle ne fit plus un seul savon en forme de cœur, au grand désespoir des villageois. Mais ces derniers acceptèrent de voir leurs savons changer de forme et être plus carrés. Cela changeait. Seulement, une commande spéciale fut demandée par la famille des futurs époux, de belles bougies blanches en forme de rose et des savons en forme de cœur.
- Marie, c’est moi,
- Sébastien ?
- Pourquoi reviens-tu si tôt ? Je t’ai donné tout ce qu’il te fallait, il me semble.
- J’ai une nouvelle commande.
- Ah. Dis-moi.
- On me demande des bougies en forme de rose et des savons en forme de cœur.
- Je ne fais plus de savons en forme de cœur, tu leur diras.
- C’est -à-dire.., c’est une commande spéciale.
- Spéciale ?
- Oui.
- Qui me fait cette commande ?
- La famille de Stefano.
Marie sentit son cœur se déchirer à nouveau. Elle regarda Sébastien et lui annonça qu’elle refusait de faire des savons en forme de cœur, même pour un mariage. Elle griffonna un petit mot sur un papier et lui tendit en réponse à la famille.
Sébastien repartit vers le village. Stefano était revenu de ses études, le cœur plein d’espoir. Il allait trouver un bon travail et dirait à son père qu’il allait épouser Marie. Cependant, son père ne l’écouta pas. Tout était prévu, il épouserait Solange, la fille du notaire et ce dernier avait une place pour faire entrer Stefano dans son activité. Primo ne toléra pas de refus de la part de son fils qui, triste, se résigna, le cœur brisé.
Le jeune Stefano sembla accepter son destin. Les préparatifs de la cérémonie commencèrent. Chacun s’activait à une activité particulière pour rendre l’évènement beau et inoubliable. Seulement, le petit mot de Marie arriva. Primo grogna, insatisfait. La
fiancée trépigna, très mécontente. Quand à Stefano, il resta de marbre mais insista pour régler l’affaire. Il fit croire que tout se passerait comme prévu pour cette commande de savons et de bougies, griffonna à son tour un petit mot pour Marie et demanda à Sébastien de le lui remettre dans les plus brefs délais. Le jeune homme gentil et bossu ne se fit pas prier de cette course et courut jusqu’à la petite maison isolée.
- Marie !
- Encore toi !
- Oui, j’ai une lettre pour toi de la part de Stefano.
- Stefano ?
- Oui. Et il lui tendit le petit mot.
Marie le déplia avec soin, la main tremblante.
« Il ne peut y avoir de savons en forme de cœur, sans amour. Réserve-moi des petits savons carrés. Donne-les à Sébastien. Il te donnera de quoi payer la commande. »
Marie se résolut à donner toute la commande de Stefano, ne comprenant pas ce revirement de situation et sa résignation. Elle imaginait déjà la colère de Primo. Elle alla dans la petite pièce aux senteurs printanières et en ressortit avec une cagette en bois de petits savons carrés. Sébastien prit la précieuse commande et comme Stefano l’avait écrit, il tendit une petite bourse à Marie.
- C’est pour te payer la commande de la famille.
- Merci, fit Marie, la voix faible.
Puis, Sébastien repartit, encore une fois. Se retrouvant seule, Marie, referma la porte de sa maison, ses larmes coulaient sur ses joues pâles. Elle jeta à terre la petite bourse. Cette dernière ne fit pas le bruit habituel, celui des cliquetis de pièces… Marie en fut surprise. Elle ramassa alors le petit porte-monnaie en toile grossière et à sa grande surprise, le trouva particulier… Une forme de cœur, se tenait sous le tissu. Elle ouvrit et découvrit un petit savon en forme de cœur avec des lettres gravées dessus
« Je t’aime ». Il y avait un autre petit mot dans le petit sac : « voici mon cœur, mon amour. Rejoins-moi dans la forêt. » Son
cœur bondit dans sa poitrine. Elle comprit enfin.
Il ne fallut pas même quelques secondes à Marie pour sortir de sa maison, laissant la porte grande ouverte et courir en direction du petit bois Fleuri. Elle arriva très vite dans la clairière et vit Stefano. Ce dernier, lui sourit. Elle se précipita dans ses bras.
À cœurs battants, rien d’impossible. La forêt garda le secret de leur retrouvaille. Mais personne ne les revit jamais.
L.G.
image de couverture : https://pixabay.com/photos/soap-heart-red-orange-fruit-fall-2726400/