Chapitre 25 - Douleur
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Chapitre 25 - Douleur
Il est 10h00.
Hormis Shailly blessée, et Kaya , plus solitaire que jamais, nous déambulons en groupe, spectateurs d'un ballet silencieux. Les paysans déconstruisent patiemment leurs échoppes, laissant derrière eux le parfum des épices et le souvenir d'une foire animée.
Sous ce ciel de plomb, Son se rapproche de l’un d’eux.
_ Son : “ Je vais vous aidez madame. “
_ Paysan : “ Comme c’est gentil jeune homme. “
Fidèle à lui même, j’observe cette scène sans surprise. Un regard complice se connecte entre nous tous. Dévoués, nous décidons d’aider en retour.
Les outils rangés, nous nous enfonçons dans les méandres de la route, laissant nos pas nous porter au gré du vent. Je les suis, spectateur attentif d'une conversation qui danse entre les mots.
Inconsciemment, nous arrivons à proximité du “Secteur Haut” où résident les bourgeois. Deux gardes figurent dans notre champ de vision.
Passant relativement proche d’eux, nous entendons légèrement leur discussion.
_ Garde 1 : “ Ca faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu un cas comme celui- ci. “
_ Garde 2 : “ En effet, d’habitude on retrouve beaucoup de corps éparpillés, sans pour autant avoir un terrain dévasté. “
_ Garde 1 : “ De plus, compliqué de savoir de quelle Zone la victime venait.“
_ Garde 2 : “ Ouai, j’ai vu un brassard à son poignet, mais dans un piteux état. “
A cet instant précis, Maïko se stoppe immédiatement.
Les gardes enchaînent leurs dialogues.
_ Garde 2 : “ Ce qui me choque le plus c’est ce grand individu non loin de la victime. Impossible à identifier, il était beaucoup trop carbonisé. “
_ Garde 1 : “ Ça devait être un sacré champ de bataille. J’aurais pas aimé être à leur place. “
Inquiète et soif de réponse, Maïko se rue en leur direction.
_ Maïko : “ Excusez moi ! Pouvez-vous répéter s’il vous plaît ! “
_ Garde 2 : “ Hein ? “
_ Maïko : “ Vous avez dit avoir vu un brassard. Il était de quelle couleur ?? “
_ Garde 2 : “ Ahhh… Hmmm… Je ne sais plus très bien. “
_ Garde 1 : “ Nous n’avons pas vraiment fait attention à cette information. Mais plus j’y réfléchis, plus je suis convaincu que la victime ne faisait pas partie de notre village. “
L'angoisse se resserre autour de Maïko, l'obligeant à poser une dernière question, cruciale.
_ Maïko : “ Décrivez moi le physique de la victime ! “
_ Garde 1 : “ Hmm… une femme au cheveux brun, mi-long, je dirais. “
_ Garde 2 : “ Ah ! Mais j’y pense. Arrivé à destination, le levé du soleil commençait tout juste, et, la première fois qu’on l’a aperçu, son iris était encore très clair. “
_ Garde 1 : “ Maintenant que tu le dis c’est vrai. J’ignorais que ce phénomène existait. “
Ces annonces floues, pourtant lourdes de sens et chargées d'une gravité oppressante, nous révèlent avec un pincement au cœur que la victime de cet affreux drame n'est autre que la vénérable Moana.
Elle balbutie, incrédule.
_ Maïko : “ Non… Ça ne peut pas être vrai… “
Puis, tel un volcan en éruption, elle laisse échapper un cri déchirant, un hurlement de douleur et de rage qui résonne dans toute le village.
Ces résonances inattendues troublent la quiétude des paysans, leurs regards s'enquérant de cette étrange apparition. Nos tentatives pour apaiser cette frénésie sont vaines. Les paysans, témoins impuissants de cette agitation inexplicable, se contentent d'observer, démunis face à cette force indomptable.
Avec insistance, les supplications de Son ne parviennent pas à calmer la tempête qui fait rage au fond de Maïko. Dans un élan de révolte incontrôlée, son coude vient frapper le visage de Son, un geste aussi involontaire que douloureux.
Un silence s’installe. Après ce geste non maîtrisé, Maïko s’interrompt immédiatement et commence à culpabiliser de l’avoir frappé.
_ Son : “ Crois moi je te comprends. Tu ne peux pas imaginer à quel point ça m’a foutu les boules concernant Jenna. Malheureusement… si on veut aller de l’avant, nous ne pouvons pas flancher maintenant. En leur mémoire… on se doit de survivre ! “
Puis, Maïko s'effondre à genoux, et enfouit son visage dans le tissu doux du t-shirt de Son, libérant un torrent de larmes.
La scène, d'une poignante émotion, brise le cœur de Kona, cédant au larme également. Ses larmes, comme une étincelle, allument celles de Son en retour. Seul un voile sec retient les nôtres, Hazel et moi. Mais la colère, une flamme sourde, nous consume tout autant.
Plus tard dans la matinée, les deux cavalières poursuivent leur avancée dans la forêt après leur courte nuit. Soudain, les jeunes femmes tombent devant une scène inattendue.
_ Ay : “ Gwen regarde par là ! “ dit-elle, en pointant du doigt
Le cheval stoppé, elles descendent et se rapprochent. Des corps inanimés se dressent.
_ Ay : “ Qu’est-ce qui c’est passé ici ?? “
Dans la foulée, une précipitation se profile.
_ Ay : “ Qu’il y a t-il Gwen ? Tu as trouvé un indice ? “
_ Gwen : “ En plus d’être inanimés, les corps sont brûlés. “
Guettant scrupuleusement le corps en question, une anomalie se dévoile.
_ Gwen : “ De la poudre blanche ? “ pense t-elle, touchant de ses doigts la joue du cadavre
Puis se relève, le dos tourné vers sa partenaire.
_ Gwen : “ Moana est responsable. “
Le pas hésitant en avant, la docteure écarquille ses pupilles.
_ Ay : “ Tu en es sûr ?? “
_ Gwen : “ Certaine. Je connais sa Source car elle me l’a divulgué de retour au village. Elle m’a fait une petite démonstration et ces particules sur mes doigts sont identiques. “
_ Ay : “ Vu les armes blanches à proximité d’eux, elle s’est sûrement fait agresser par des Reclus. “
_ Gwen : “ Oui. Donc elle n’est pas loin. Dépêchons nous. “
Se hâtant vers le cheval, prête à s’élancer, la docteure reste stoïque.
_ Gwen : “ Que fais-tu ? Nous n’avons pas de temps à perdre. “
_ Ay : “ C’est bizarre. Les corps sont brûlés mais vu leur état, je suis presque sûr que ça fait plusieurs jours que l’incident est arrivé. “
Elle se redresse d’un bond, monte à cheval en retour et fond à travers les bois. Les mots, jaillissant de sa bouche au rythme des sabots, tambourinent la terre.
_ Ay : “ Leur peau est complètement desséchée. De plus, les cellules dans leur muscles ayant cessé, leur corps se raidit environ trois heures après la mort. De ce fait, un pic de rigidité du corps entier se constate dans les 9 à 12 heures suivant le décès. Ils procurent ces mêmes symptômes. “
_ Gwen : “ Tu as réussi à diagnostiquer tout ça juste en touchant un corps ? “
_ Ay : “ Ça peut surprendre mais mes premiers exercices de médecine étaient sûrs des cadavres. Je voulais être capable, plus jeune, de savoir les causes d’un décès et les symptômes qui s’ensuit. “
_ Gwen : “ Drôle de départ comme pratique. Et tes parents étaient d’accord ? “
_ Ay : “ Certainement pas. Comme je ne pouvais pas débuter sûr un corps humain, j’ai commencé sûr des animaux de petites tailles, et je m’absentais toujours en trouvant une excuse pour commencer ma pratique. “
_ Gwen : “ Donc tu les a… “
_ Ay : “ Tuer ? Non, j’attendais patiemment dans un buisson que plusieurs animaux mordent à l’hameçon. Arrivé sûr place, ils se bataillent pour la nourriture déposée et de mon côté, je récupère le cadavre avant que des vautours ne rappliquent. “
_ Gwen : “ Ça revient au même. “
_ Ay : “ Tout est relatif. “
Gwen tourne légèrement la tête, tenant toujours les rênes, le visage impassible malgré ces propos.
_ Gwen : “ Ce n’est pas très éthique venant d’un futur médecin. “
_ Ay : “ Qui a dit que j’étais éthique ? De toute façon, on ne peut pas ressusciter les morts. Autant en tirer profit pour la science. “ dit-elle, avec un cynisme désabusé.
Ne captant pas le point de vue de sa partenaire, Gwen redresse sa tête, abandonnant l’affaire.
_ Gwen : “ Tant que tu ne m'empoisonne pas un jour pour tes pratiques, ça m’est égal. “
_ Ay : “ Pourquoi je ferais ça haha ? Tu… “
La phrase suspendue dans les airs s'interrompt brutalement par le fracas d'un arbre géant s'écrasant lourdement vers eux.
_ Ay : “ Qu'est-ce que… “
_ Reclu 1 : “ Tsss, loupé. “
_ Reclu 2 : “ T’a vraiment un timing de merde. “
_ Reclu 1 : “ Ferme là, avant que je te découpe. “
La poussière se dissipant peu à peu, plusieurs silhouettes apparaissent devant elles. Un groupe de Reclu, tous armés jusqu’au dent.
_ Ay : “ Putain, c’est clairement pas le moment... “
_ Reclu 3 : “ C’est que vous-êtes mignonnes mesdames, ça vous dirait de jouer un peu avec nous ? “
Un froncement de sourcil se dessine.
_ Ay : “ C’est l’une des raisons qui me fait détester cette Forêt. Les déchets sont omniprésents. “
_ Reclu 4 : “ Hein ? Qui traitre-tu de déchet sale p*te ? “
Un regard dénigrant s’installe en puissance. Voulant en finir rapidement, la docteure descend du cheval, se préparant au combat.
Mais subitement.
_ Gwen : “ Excusez moi, avez vous aperçu des gosses ainsi qu’une jeune femme avec un brassard dans le coin ? “
Les mots, une fois prononcés, suspendent le temps. Immobiles, les visages reflètent la stupéfaction, la docteure y compris.
_ Ay : “ Qu’est-ce qu’elle nous fait là ?? “
Et puis, dans un éclat de rire collectif, la réalité reprend ses droits.
_ Reclu 1 : “ Cette fille est tarée où quoi ? “
_ Reclu 2 : “ Khakhakha je crois qu'elle n'a pas saisi la situation. “
Un Reclu, armée d’un fouet, se dresse devant elle.
_ Reclu 4 : “ Si tu veux une réponse… Alors laisse toi faire !! “
_ Ay : “ Gwen ?? “
Dans la foulée, le brigand armé tombe raide inconscient.
Subjugués, chacun s’échangent un regard.
_ Reclu 3 : “ Il vient de se passer quoi là ? “
_ Reclu 5 : “ J’en sais rien mais elle ne va pas s’en tirer comme ça ! “
Dans un élan frénétique, chacun brandit son arme, hurlant leur soif de sang et fonce en direction de la tutrice, toujours statique.
Mais à quelques enjambées d'elle, le sort bascule. Les Reclus s'effondrent les uns après les autres.
_ Reclu 2 : “ Je n’arrive plus… à… à respirer… “ dit-il, se tenant fermement sa gorge à deux main
_ Reclu 6: “ Je vois… je ne vois plus rien !! “
_ Reclu 3 : “ Ahhhh virer moi ce serpent de mon bras !! “
_ Reclu 1 : “ Alors c’est toi qui a tué ma fille ce jour ? “
Sans un battement de cil, le Reclu transperce l'un des siens d'une lame acérée, puis, dans un tourbillon de sang et de terreur, fauche ses compagnons, avant de retourner l'arme fatale contre lui-même.
Dans ce déferlement aussi surprenant que incompréhensible, la docteure reste bouche bée.
_ Ay : “ C’était quoi tout ça ?? Je n’ai rien compris ! “
Dans la tranquillité la plus totale, un demi-tour s'exécute, saisissant les guides de son destrier, prête à partir.
_ Gwen : “ Qu’est-ce que tu attends ? Partons. “
Sans tarder, les questions fusent.
_ Ay : “ Eh explique moi ce qui vient de se passer ! Tu continues la route comme si de rien n’était. Je suis narguer moi ! “
_ Gwen : “ C’était ma Source. “
Un souffle court et un grincement de dents témoignent de son agacement grandissant.
_ Ay : “ Je me doute bien ! Développe ! “
_ Gwen : “ Ma Source est l’Illusion cosmique. “
_ Ay : “ L’illusion... cosmique ? “
_ Gwen : “ C’est difficile à expliquer mais pour faire court, je rentre en état de “veille” mes cibles qui sont dans mon champ de vision, puis, ils perçoivent des hallucinations suivant l’environnement, à l’instant présent. “
Tenant fermement Gwen pour ne pas tomber du cheval, la docteure retire l’une de ses mains pour la poser sous son menton.
_ Ay : “ Hmm j’ai dû mal à visualiser le délire. “
_ Gwen : “ Si ça peut t’aider, c’est comme si la cible rêve éveillée et se bat contre ses pires cauchemars. “
_ Ay : “ Oh ! Je comprends mieux, ça explique leur réaction. “
Puis, un éclair illumine ses pensées, la projetant dans une réalité nouvelle.
_ Ay : “ Mais alors tu es… “
_ Gwen : “ Oui. Je suis de Classe hypnose, de Type N. “
_ Ay : “ Impossible !? Cette combinaison a une probabilité de 5% ! C’est la seule combinaison où nous n’avons aucune information à notre époque ! “
Les questions, aiguillonnées par une soif insatiable de réponses, se succèdent à un rythme effréné.
_ Ay : “ Comment as tu obtenu cette combinaison ?? C’est héréditaire ?? “
_ Gwen : “ Non. Personne n’était de Classe hypnose dans ma famille. “
_ Ay : “ Donc c’est simplement de la chance ?? “
_ Gwen : “ Possible. “
_ Ay : “ C’est juste fou. Depuis le début, cette fille peut manipuler n’importe quel adversaire sans bouger le petit doigt, simplement avec ses yeux. “
Puis, un souvenir resurgit.
_ Ay : “ Alors, à notre première rencontre, elle aurait pu m’abattre à tout instant. Je comprends pourquoi elle était si sereine. “
Un léger ricanement se fait entendre.
_ Ay : “ Décidément, tu ne cessera jamais de me surprendre. “
_ Gwen : “ ? “
_ Ay : “ Laisse tomber. Dépêchons-nous de retrouver tout le monde. “
_ Gwen : “ Oui. “
Toujours la course effréné et perdue dans leurs pensées, le temps s’étire, impitoyablement. Les cavalières, démunies, désespèrent au mystère de cette disparition inexplicable. L'absence totale de trace des orphelins les plonge dans une angoisse croissante.
_ Gwen : “ Je comprends pas. Nous venons de râtisser toute la Zone, et toujours pas la moindre présence des orphelins. “
_ Ay : “ Même en ayant posé des questions aux gens durant tout notre parcours, impossible de tomber sur Moana également. “
_ Gwen : “ Depuis toute la journée on navigue sans succès. Je commence à ne plus savoir quoi faire.“
Le ciel, paré des couleurs chaudes du crépuscule, se reflètent dans les eaux tranquilles du lac.
La tension, palpable dans l'air, à l'image des jeunes filles figées sur les berges du lac, se tiennent avec le cheval, les yeux mi-clos, semblant partager leur anxiété. Et puis, comme un éclair au cœur d'un orage, une information cruciale jaillit.
_ Ay : “ Maintenant que j’y pense… Jenna est venue me voir l’autre jour. Et elle m’a parlé d’une potentielle visite à mon ancien campement. “
_ Gwen : “ Comment ça ? “
_ Ay : “ Elle ne m’a pas donné plus de précision, mais je lui ai prêté ma carte. “
_ Gwen : “ Tu penses que le groupe a décalé dans la Zone Médiane ? “
_ Ay : “ C’est pas impossible, même si ça reste peu probable. Ils n'ont aucun moyen de locomotion et puis, partir en pleine nuit… “
Des yeux s'écarquillent.
_ Ay : “ Non attends ! Et si tout était lié ?? “
_ Gwen : “ Explique moi. “
_ Ay : “ Je me faisais la réflexion qu'en pleine nuit c’est impossible de se déplacer. Sauf que la période de la pleine lune s’est terminée la même nuit de leur disparition. “
Les yeux de Gwen, pourtant impassible de nature, s’écarquillent copieusement.
_ Ay : “ J’ignore encore pourquoi ils se retrouveraient dans une autre Zone, mais avec ces éléments listés, les probabilités augmentent ! “
Les pupilles rivées au ciel, Gwen serre son poing, impuissante face à la pénombre qui s’installe progressivement.
Un besoin impérieux de repos les oblige à marquer une pause. L'attente les brûle, mais un rayon d'espoir luit dans leurs yeux.
Le lendemain matin, les jeunes femmes, rongées par l'impatience, se préparent à reprendre leur quête, emportant avec elles l'espoir fragile de revoir les orphelins.