De la précarité
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De la précarité
05 Fev 13
On peut se poser nombre de questions sur l’Afrique. Sur son état de développement, sur les conditions de vie des africains, sur sa place dans le concert économique des Nations. Souvent reviennent les mêmes mots : pauvreté, guerres ethniques, corruption, misère, état sanitaire déplorable … Je ne veux pas prétendre parler au nom de l’Afrique, celle-ci englobe des réalités bien trop différentes. Je ne vais pas non plus parler au nom de l’Afrique Centrale, qui bien qu’elle ait une géographie et un héritage colonial communs, englobe elle aussi des réalités dont je ne maitrise pas les nuances. Je veux juste vous parler du Congo, de ce que j’y vois et de ce que j’en comprends après 2 mois passés ici, et qui n’est qu’une ébauche de réflexion sujette à débats.
Première question : le Congo est-il pauvre ? Assurément pas. Le sol regorge de ressources premières, qu’il s’agisse d’eau, de végétation, de fruits et légumes, d’arbres de bois précieux, ou de pétrole … Comme le reste de l’Afrique centrale, on n’est pas vraiment confronté aux problèmes de sécheresse et d’âpreté des conditions de vie, car la nature ici est généreuse et la végétation très florissante. Quand on survole ces pays, on est frappé de voir combien la végétation est boisée et dense. Les fruits poussent dans les arbres en grande abondance, il n’y a qu’à se baisser pour les ramasser.
Les Congolais sont ils pauvres ? Non plus. Chacun ici possède une parcelle pour se loger, des habits propres pour s’habiller, les adultes et les enfants sont ronds et bien portants, ils ne semblent absolument pas mourir de faim ou être sévèrement carencés. Chacun possède son téléphone portable, voire deux ou trois pour chaque opérateur. Au CTA, je donne bien plus souvent des conseils pour maigrir plutôt que surveiller la reprise de poids de mes patients.
Et pourtant. Mettons de côté les dirigeants de ce pays, à l’image de leur président Sassou Nguesso qui possède en France l’un des patrimoines les plus extravagants qui soit. Mettons aussi de côté toute cette classe aisée supérieure, assez nombreuse tout de même, qui roule en 4X4, possède son home cinéma, son telephone ou sa tablette tactile, et va régulièrement manger dans un resto ou sortir dans les lieux branchés de la ville. Si l’on s’intéresse à la masse populaire, ce n’est assurément pas le terme de pauvreté qui me vient en premier à l’esprit. Pourtant, ils subissent au quotidien des difficultés dues au manque criant de moyens. C’est pourquoi je trouve que le terme le plus approprié est celui de précarité.
La majorité des Congolais vivent dans une précarité ambiante, qui les oblige à raisonner au jour le jour sans planifier le lendemain. Celui qui n’a pas de travail fixe se lève tous les matins en quête d’un travail pour la journée. Souvent ils ne mangent que un ou deux repas par jour, sautant le déjeuner, pour économiser un repas. Quand un mini-bus ou un taxi possède une banquette de quatre, on y monte à cinq ou six pour payer le transport moins cher. Ils rechargent leur téléphone de 500F en 500F (env. 70cents), tous les jours, pour ne pas manquer d’argent si besoin. Quand survient un problème nécessitant finances (santé, panne, accident, contentieux à régler), ils font le tour de la famille et des amis pour récolter l’argent. A l’image de mon gardien Aubin, rondouillard et bien portant, à qui je demande s’il a passé un bon week-end, ou de Claude au CTA, s'il a passé de bonnes vacances. « Oh non, tu sais en ce moment, il y a pas l’argent, alors je n’ai pas bougé de chez moi. Quand tu as un petit 5.000 en poche (7,5e), ça va tu peux sortir un peu, mais quand y’a pas l’argent, tu restes chez toi et tu fais rien ».
Alors cette vie au jour le jour marque en profondeur les esprits et les manières de vivre. Quand il y a l’argent, on s’empresse de le dépenser pour profiter un peu, et on verra bien de quoi demain sera fait. Les hommes vont dans les ngandas enchainer les bières (2,3,4 bouteilles de 65cl de bière ça commence à cogner !) tandis que les femmes vont se faire tresser deux fois dans le mois, acheter un vêtement pour elles ou un jouet à l’enfant, et un peu de poisson fumé pour le dîner. S’il y a plus d’argent, ils achèteront peut-être un lecteur DVD ou une nouvelle télé. Tout le monde se débrouille, tant bien que mal, pour que malgré les difficultés financières quotidiennes, ils puissent avoir le sentiment de mener une vie paisible et se divertir de temps en temps. Ici, on ne planifie pas, on ne construit rien à long terme ; on essaye de vivre comme on peut au jour le jour en déjouant les aléas du quotidien.
Comment leur reprocher alors de souvent manquer d’ambition ? De chercher à gagner de l’argent vite fait et de ne rien construire dans la durée ? La pauvreté n’est pas forcément là, mais la précarité, elle, est bien ancrée dans les esprits, amenant à une logique de survie où l’obsession de l’argent est au centre. Et tout ça fait le terreau des politiques où la démocratie s’achète et se vend, de l’exploitation capitaliste à outrance, et de l’envahissement du marché par les produits chinois de mauvaise qualité mais bon marché.
Je pense souvent à cette célèbre scène de Germinal dont j’ai le vague souvenir, où une famille de mineurs est accueillie dans une maison bourgeoise qui veut faire une bonne action en leur offrant du pain. Quand les dames demandent au père de famille avec quoi il compte accompagner le pain, il explique qu’en ce moment les temps sont durs et qu’il ne peut pas acheter de viande ou de beurre. Et elles de s’exclamer, de le réprimer et de le conseiller avec condescendance : « Mais voyons, Monsieur, il faut économiser pour pouvoir assurer dans les moments plus difficiles, plutôt que de dépenser votre argent n’importe comment ! »
Commentaires d'un lecteur camerounais
En reponse a mon dernier article, voila la reaction d'un Camerounais d'origine vivant depuis plusieurs années en Europe , elle enrichit la reflexion que j'ai initié. Merci J.J d'avoir pris ce temps.
PS : hesitez pas a me laisser vos beaux commentaires vous aussi !! Ils sauront etre apprecies...:-)
Mais voyons, Monsieur, il faut économiser pour pouvoir assurer dans les moments plus difficiles, plutôt que de dépenser votre argent n’importe comment ! » Faut-il être cartésien ou vivre au jour le jour ? Pourquoi nous Européens (je suis entre deux ça me va bien) sommes-nous cartésiens ? Retour au passé : Europe – continent froid, sol peu généreux (n’allons pas plus loin) premier constat Il faut se réchauffer – conséquence, travailler pour se réchauffer (par nature c’est dans la contrainte que nait l’instinct de survie), étudier les saisons pour l’agriculture (oui il faut manger). Alors, de génération en génération, nous transmettons le savoir et le savoir-faire garants de notre survie et de notre confort quotidien. De nos jours, tout ça a pris une autre dimension (consommation à outrance) avant on coupait le bois pendant les jours meilleurs pour garantir le confort d’hivers (lorsque homme blanc coupe beaucoup bois c’est que hivers sera rude). Oui on n’avait pas le choix il fallait prévoir d’avance ou on crevait en hivers de froid et de famine. L’Europe a gardé cette culture de la projection que l’Afrique n’a jamais développé pour cause, comme tu le soulignes toi-même « Le sol regorge de ressources premières, qu’il s’agisse d’eau, de végétation, de fruits et légumes, d’arbres de bois précieux, ou de pétrole ». Tous les jours de l’année les ancêtres ont eu à manger, ils n’ont pas eu des problèmes de froid, les cases étaient plus pour des questions d’intimité que pour être au chaud. Cette culture du vivre au jour le jour s’est perpétrée de génération en génération puis (choc) vint le colon je ne reviens pas sur l’histoire que tu as dû consulter (civilisation et autres…). Je saute les décennies pour atterrir au 20éme siècle. constat : l’Africain souffre du complexe d’identification apparente. Il veut ressembler à l’homme Blanc sans toutefois épouser les habitudes de fonctionnement de ce dernier. Là, commence la galère ou la précarité de l’Africain. Il a le choix soit d’intégré le nouveau monde avec son fonctionnement (pas un fonctionnement hybride comme il le fait actuellement), soit vivre comme ses ancêtres (je doute fort, il est bien tard). Aujourd’hui l’Africain est dans une bricole de fonctionnement ou le paraître l’emporte sur l’être. L’Africain doit faire sa révolution intérieur, s’approprier à nouveau de ses valeurs, de son histoire. La réponse à tout cela, pour ma part n’est pas politique (parce que la politique appliquée en Afrique est une importation, elle ne peut fonctionner .il faut la repenser dommage je n’ai pas la potion magique), elle est individuelle à chaque Africain et il est de notre responsabilité, nous, Occidentaux (citoyens du monde) de les accompagner vers l’appropriation de leur fierté. Le mot pauvreté, je suis content du fait que tu ne l’attribues à ce peuple, parce que la pauvreté peut être matériel, affective ou sociale dans ce cas nul n’est épargné même nous Occidentaux avons la nôtre. En ce qui concerne les richesses minières je n’attribue aucune valeur à tout ça si dans un pays un peuple ne détient pas la technologie d’exploitation des ressources (c’est comme si j’avais un lingot d’or en plein désert et qu’il me fallait une bouteille d’eau pour étancher ma soif).je m’arrête là. je continuerai si tu le souhaites prochainement. Merci encore pour ton grand témoignage et à très bientôt.