Un bref regard sur les Tchadiens
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Un bref regard sur les Tchadiens
Voici un article que j'aurai aimé écrire avant, mais pour lequel je ne pense toujours pas posséder une maitrise suffisante du sujet.
Notre vie ici se résume principalement à l'UP et à la base vie, au personnel soignant et aux expats. Nos règles de sécurité ne nous permettent pas de côtoyer nombre de lieux de vie des habitants de Moissala, nos fréquentations se limitent à notre entourage professionnel qui pour la plupart ne sont pas de Moissala mais des grandes villes alentours, de Koumra, de Sarh, de N’Djamena, ce qui donc ne nous permet pas d'être introduits dans les vies quotidiennes et d'observer les us et coutumes de plus près. Aussi ne pourrais-je évoquer que des considérations d'ordre assez général, à mon regret.
Le Tchad est très majoritairement, à 80%, un pays d'agriculteurs et d'éleveurs. Il existe quelques grandes villes, N’Djamena compte par exemple 1,3 millions d'habitants pour une population totale de 11 millions, mais la majorité de la population vit en zone rurale. Il y a les agriculteurs, sédentaires, plus au sud où les terres sont fertiles, et les éleveurs, des peuls, plus nomades qui circulent dans le pays. Cette distinction est régulièrement à l'origine de conflits en saison sèche, les éleveurs selon les conditions descendant vers le sud et envahissant les terres agricoles pour faire paître leur bétail.
Ici, dans la région du Mandoul, les gens sont surtout des agriculteurs ; ils cultivent le mil, le mais et l'arachide pour leur consommation locale, le coton pour le revendre et gagner un peu d'argent. Les gens ayant peu de moyens, les infrastructures étant quasi inexistantes (routes bitumées, électricité, essence), cette agriculture reste exclusivement manuelle, à la houe et la machette, et appuyée par des animaux de trait. Pour compléter les revenus, un peu d'élevage, quelques bœufs, quelques chèvres, quelques poules, parfois quelques cochons.
On ne peut pas dire que ces gens soient dans le dénuement, mais leur accès au développement est plus que limité ; développement au sens large j'entends, moyens de circulation et de communication, accès à l'eau et l’électricité, accès à l'éducation et aux soins primaires, accès aux techniques modernes agricoles et aux biens courants de consommation, ouverture sur le reste du pays, le reste du monde, sur ce qui s'y passe. Ce n'est pas la pauvreté qui règne dans cette région au sol fertile, mais plutôt une fragilité des populations face aux accidents de la vie, que nous constatons tous les jours au niveau de la santé. L'espérance de vie ici est inférieure à 50 ans.
De nombreuses ethnies cohabitent au Tchad (comme dans tous les pays d'Afrique), avec plutôt des populations arabes au nord et des populations noires au sud. Musulmans et chrétiens cohabitent un peu partout dans des proportions de 60-40% ou 70-30%, et inversement. Les langues et dialectes sont multiples (caractéristique là aussi de l'Afrique) et rien qu'à l'UP il faut trouver l'infirmier qui parle le Mbaï, celui qui parle le Ndaï, lui qui parle le Sarah, l'autre qui parle l'Arabe, celui là encore qui parle un patois dérivé de l'arabe...Pour ma part, je me limite à l'apprentissage des rudiments du Mbaï, c'est bien assez. Très peu maîtrisent le français dans les villages, il s'agit d'une langue dont l'apprentissage est réservé à ceux qui sont allés à l'école. L'Arabe et le Français sont ainsi les deux langues officielles du pays.
Ces différents groupes de population semblent vivre plutôt en paix les uns avec les autres, hormis ces rivalités entre éleveurs et agriculteurs. Ou peut être s'ignorent-ils simplement, tant que chacun peut vaquer librement à ses occupations. Les gens ici ne semblent pas malheureux ; ils y mènent une vie tranquille, au rythme lent et quelque peu ennuyeux, à l'image de ces commerçants qui passent leurs journées assis sur une chaise à l'entrée de leur boutique, regarder passer les gens dans l'attente de l'éventuel client. Les sources de distractions sont limitées, ce qui explique les attroupements au moindre incident, la ferveur et l'affluence à la messe du dimanche matin, la foule assistant aux matchs de foot l'après midi. Sur leur temps libre, les plus aisés vont siroter une bière dans les quelques bars de la ville ; les moins riches se regroupent dans des cabarets, le jour comme le soir, où une maman sert des bolées de Bili Bili ou de Douma, boisson à base de mil fermenté, à la saveur entre l'aigre et l'amer, mais permettant de s'alcooliser à prix modique.
Quant aux nationaux qui travaillent pour MSF, ils font souvent partie de l'élite locale, ce sont ceux qui ont eu une éducation ayant dépassé le niveau élémentaire, ceux qui maîtrisent le français, ceux qui viennent des grandes villes, ceux qui ont une ouverture un peu plus large sur ce qui se passe dans leur pays, dans le monde, ceux qui ont accès à des technologies modernes et à internet. Il existe déjà un fossé entre eux et les populations que l'on soigne. Côtoyer et travailler avec une ONG occidentale creuse encore plus ce fossé. Ils regardent avec un œil critique, parfois amusés, parfois dépités, parfois résignés, l'état de développement de leur pays et le niveau d'éducation des populations locales, et déplorent la faible disponibilité des biens et des services que la mondialisation voudrait rendre universelle.
Faut il leur vouloir un meilleur accès à tout ce dont nous disposons dans nos pays développés ? C'est en tout cas ce que l'ensemble du monde de l'humanitaire cherche à apporter, selon différents angles d'attaque. Qu'en feront-ils, quelles en sont les conséquences culturelles et économiques, et quels remparts ont-ils pour se prémunir des travers de la modernisation que nous connaissons bien ? C'est là l'autre grande question.