

1.Comme une plume au vent
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1.Comme une plume au vent
Le jour où les oiseaux se sont tus
Chapitre 1, Comme une plume au vent
- Moi je vous le dis bande d'ignares, vociférait l'ivrogne en brandissant son verre à moitié vide, si vous continuez dans cette lancée, on va tous crever avant la fin du siècle !!
Autour de lui des éclats de rire résonnèrent entre les murs étroits de la taverne, plongeant la salle dans un vacarme assourdissant. C'était une petite auberge assez vieillotte se composant d'un unique comptoir central où s'accoudaient pesamment les usagers pour discuter, ainsi que de quelques tables disparates qui ne servaient pas vraiment à manger. La pièce était toujours bruyante, l'odeur entêtante de l'alcool flottait désagréablement dans l'air mais cela ne semblait pas déranger les clients, qui n'arrêtaient pas de parler et boire, du matin au soir, sous la lueur jaunâtre des vieux néons.
- Mais tais-toi donc Crow ! répondit un autre en riant assez fort pour dominer le vacarme ambiant. Tu racontes toujours n'importe quoi puisque tu n'es jamais sobre et tu n'en rates jamais une pour venir te bourrer ici !!
- Ouais, il a raison vieux, acquiesça un jeune homme à la bouche pâteuse et aux yeux injectés de sang, tu nous soûles avec tes histoires à dormir debout et tes prophéties à deux balles. Laisse nous picoler tranquille et va plutôt trouver du taf au lieu de jacasser dans nos oreilles, espèce d'oiseau de mauvais augures !
- Vous n'êtes vraiment qu'un ramassis d'écervelés ! répliqua l'intéressé en englobant la salle goguenarde d'un grand geste des bras. Je ne prédis rien, je me contente simplement d'ouvrir les yeux là où tous les ferme : ce monde est en ruine ! C'est moi qui vous le dis, vous ne savez pas à qui vous avez à faire....
- Si fait ! pouffa une bonne femme aussi enrobée qu'un lard. Tu n'es qu'un vieux fou qui a pour seuls biens une bouteille de gnôle et ce qui reste d'une casquette !
À cet instant, le brouhaha devint tel que la tenancière apparut sur le seuil, ses poings luisants de graisse sur les hanches et le regard sévère. C'était une petite femme d'une quarantaine d'années, assez sèche et qui tenait d'une main de fer ce petit établissement aussi bruyant qu'accueillant. Quand son regard calculateur se posa sur le dénommé Crow, elle fit la moue et cria quelques mots par-dessus son épaule à l'intention de son unique employé tandis que l'ivrogne continuait de vociférer à tout va que l'humanité courait à sa perte. Mais personne ne l'écoutait, balayant ses prédictions avec des gestes agacés, et ses paroles étaient tout simplement emportées à l'instar d'une plume au vent.
Pourtant, il y avait dans la taverne deux petites oreilles curieuses qui l'écoutaient avec avidité, buvant ses élucubrations aussi farouchement que les autres usagers vidaient leur verre. Mais ces petits yeux observaient l’ivrogne de loin, cachés dans l'ombre du comptoir, aussi silencieux qu'invisibles.
Le perturbateur devait avoir une quarantaine d'années. La peau ébène, des cheveux laineux en bataille grisonnants sur les tempes et un indéchiffrable regard las constamment voilé par l'alcool. Son large front était précocement ridé par les années et un éternel nuage soucieux assombrissait ses traits. Quiconque l'observant bien aurait remarqué cette expression amère et deviné qu'il traînait un lourd passé. Mais personne ne s'attardait sur lui et tous ne le voyaient que comme un simple fou sans histoire.
L'exaspération des autres usagers croissait rapidement et les visages goguenards se changeaient peu à peu en rictus agacés. Bientôt, deux grands gaillards aux mines patibulaires se levèrent et s'approchèrent de Crow avant de l'empoigner fermement pour le jeter rudement à l'extérieur et de refermer la porte derrière lui. Le quadragénaire resta de longs instants sonné, immobile sur la chaussée, avant de papilloter des yeux et de reprendre ses esprits. Soupirant tristement il finit par se relever pesamment et, époussetant son vieux pantalon usé, il posa un regard las sur la ville.
Il devait être quatre heure de l'après-midi. Le soleil, encore haut dans le ciel dardait sur la Terre ses rayons ardents et se reflétait agressivement sur les vitres des bâtiments environnants. C'était une ville sans fantasy, de béton, d'acier et de verre. Une ville sans visage, artificialisée à outrance et sans vie. Les seuls éléments qui brisaient la monotonie du gris des rues identiques étaient les lampadaires et les faux arbres qui se dressaient vicieusement vers les cieux. La plupart du temps les avenues étaient vides, les habitants préférant s'abriter du soleil le jour et profiter des distractions offertes par le gouvernement la nuit. Alors la ville demeurait le plus souvent silencieuse, sans vie et toujours propre. À la fois accueillante et édulcorée, comme dans un rêve étrange dont personne ne voulait se réveiller.
Crow n'aimait pas cet environnement synthétique et aseptisé où tout était morne et fade. Il se souvenait avec nostalgie du pays de son enfance où l'on pouvait encore sentir la caresse de la brise sur son visage, voir un ciel constellé d'étoiles et entendre le doux chant des oiseaux. Aujourd'hui, malgré la présence de plusieurs milliers d'habitants et le confort permis par les gouvernements, il se sentait douloureusement seul et atrocement démuni. Il avait fait une croix sur son passé, vivotant dans l'instant présent, et appréhendait l'avenir de ce monde dénaturé.
Quand il émergea enfin de ses pensées, il se rendit compte que la nuit allait tomber. Alors, passant une main caleuse un son visage ruisselant de sueur, il se défit de son masque d'ivrogne qu'il arborait en public pour adopter sa sempiternelle expression sombre et se prépara à y aller. Mais il eut à peine le temps de faire un pas qu'il se retrouva face à une fillette d'environs sept ans qui lui arrivait à la taille et qui lui barrait hardiment la route. Toute petite et frêle, aussi chétive qu'un avorton, elle fixait l'homme de ses grands yeux éveillés et intelligents. Son large front pensif était dissimulé sous une cascade de cheveux noirs hirsutes et elle toisait effrontément cet inconnu qui la dominait de toute sa hauteur.
Levant les yeux au ciel, Crow voulut la contourner, mais aussi vive qu'une grive, elle vint de nouveau se planter devant lui.
- Que me veux-tu ? finit-il par demander, agacé.
- Pourquoi tu dis qu'on va tous mourir ? commença la petite fille d'une voix fluette. C'est vrai ?
Étonné, le quadragénaire observa la fillette qui ne le lâchait pas de son regard effronté.
- Parce que ma maman dit tout le temps que tu es fou et que tu as de l'alcool à la place du sang. C'est de vrai ?
Cette fois, Crow ne put retenir son hilarité et la petite adopta un air froissé avant de croiser les bras, boudeuse.
- Pourquoi tu ris le vieux ? Je n'ai rien dit de drôle.
- Tu ne manques pas d'air toi. parvint-il à articuler entre deux éclats.
- Pourquoi j'en manquerai ? Il y en a plein autour de moi.
L'hilarité de l'homme redoubla d'intensité et la petite fille vexée lui tira dédaigneusement la langue.
- Tu es un sacré phénomène toi. Qui es tu et où est ta mère ?
- Je m'appelle Merle et ma maman est la tavernière.
- Eh bien Merle, dit alors Crow qui avait retrouvé sa mine sombre, j'ai bien ri avec toi mais il est temps que tu retournes au près de ta mère et que tu me laisses.
Sans autre cérémonie, il voulut reprendre son chemin mais la petite qui n'avait pas dit son dernier mot ne le laissa pas faire un pas.
- Et toi, tu es qui le vieux ? C'est vrai que tu es fou ?
Souriant étrangement, l'intéressé se mit bien droit et énonça d'une voix claire :
- Je me nomme Ulrich-Emanuel Ndeke, mais tout le monde m'appelle Crow...
Le toisant dédaigneusement, la petite fille fit la moue avant de répondre le plus tranquillement du monde.
- C'est trop long. Je préfère le vieux.
Consterné, l'homme ne put s'empêcher de se tourner pour voir si la mère de ce spécimen n'était pas loin. Mais la tenancière était introuvable et sa fille semblait être livrée à elle-même, comme une plume au vent.
Puisque ladite Merle continuait de le fixer, Ulrich-Emanuel – mal alaise – lui demanda ce qu'elle pouvait bien attendre de lui.
- Ce que je veux, dit-elle en posant résolument ses poings sur ses hanches et en levant bien haut son menton, c'est que tu me dises pourquoi tu racontes qu'on va tous mourir. Je veux que tu me parles de l'ancien monde et pourquoi il a disparu. En fait, je veux tout savoir.

