Et si, Et si!Si la nicotine devenait médicament ?
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Et si, Et si!Si la nicotine devenait médicament ?
Dans un domaine similaire, on se souvient au XIXe siècle du Club des Haschischins, lieu de rendez-vous prisé où se réunissait tout ce que Paris comptait de libres esprits : artistes, écrivains, peintres célèbres sous l’impulsion du médecin Moreau de Tours. Situé en plein cœur de l’île Saint-Louis, dans l’Hôtel de Lauzun, c’est là que les convives invités dégustaient, en refaisant le monde, des pâtisseries du nom de dawamescs, pâtisseries à base de haschich, produit doté, selon l’aliéniste Moreau de Tours, de toutes les vertus du monde !
Sans aller jusque-là, on connaît maintenant son effet sédatif sur la douleur chronique et le nombre de pays qui l’utilisent à de telles fins ne cesse de croître (Allemagne, Belgique, Italie, Royaume-Uni, Canada, États-Unis)…
Et pourtant ! Il s’agissait du cannabis.
La France sera-t-elle là encore bonne dernière pour étudier et mettre à profit les effets bénéfiques de la nicotine dans certaines pathologies?
Un peu d’histoire…
Depuis l’Antiquité l’homme est fasciné par les émanations de fumée des plantes brûlées qui s’élèvent dans le ciel, emportant avec elles des arômes enivrants.
4000 ans avant J.-C, les Chinois connaissaient déjà les vertus médicinales du chanvre (utilisé pour la constipation, le béribéri et même comme anesthésique). Près de 20 siècles avant J.-C, on retrouve une utilisation thérapeutique du chanvre dans d’anciens textes égyptiens. Il faut attendre quinze siècles avant notre ère pour retrouver les premières utilisations du chanvre par fumigations en Inde. Dans l’un des quatre Vedas, l’Arthava Veda rédigé entre 1400 et 1000 avant J.-C, le cannabis prend le nom de bhang et les fumigations constituent l’essentiel des rituels religieux de la période védique. Avec les siècles, la religion védique devient l’hindouisme. Le chanvre s’intègre dans la vie religieuse, sociale, culturelle et se rapproche des portes de l’islam.
Au IVe siècle avant notre ère, Hérodote nous raconte avoir croisé des Scythes accroupis devant des « tipis », brûlant le chanvre qu’ils cultivaient le long de la Volga, sur une pierre rougie dont ils en aspiraient la fumée avant de se mettre à chanter… L’usage se répand ensuite en Europe.
La pythie de Delphes respire les inhalations enivrantes et hallucinogènes de la jusquiame noire avant de rendre un oracle (à moins que ce ne soit le chanvre). Le philtre, offert, dit-on par Hélène à Télémaque pour le consoler de son amour impossible, n’était autre que du chanvre.
Plus près de nous, au Moyen-Âge, on respire les vapeurs des graines grillées de ces mêmes jusquiames pour calmer les névralgies dentaires. On en introduit même dans la bière pour rendre les consommateurs euphoriques…
Les siècles passent. Le vieux de la montagne, le cheik chi’ite Hasan ibn al-Sabbah, constitue au XIe siècle la secte des Hashâshîns, retirée dans une forteresse imprenable, Alamout, où il prépare ses hommes de main, avant de commettre un assassinat, en leur faisant fumer du haschich puis en les transportant, somnolents, dans ses jardins où les fedayin découvrent avant l’heure, la beauté du paradis qui s’ouvrira à eux, une fois morts, comme le décrit Mahomet. Ils se réveillent dans un environnement paradisiaque, entourés de femmes splendides, de mets et de boissons raffinées, invités à goûter à tous les délices que le prophète promet aux élus après leur mort…
Quant au tabac, sa provenance est toute autre et sa découverte bien plus tardive.
Laissons parler Charles Saffray dans son voyage à la Nouvelle-Grenade (1869-1870) :
« Les Gaulois et les Germains humaient la fumée de chanvre brûlé sur des pierres rougies au feu… C’est de la même manière que les Indiens de l’Amérique du Sud faisaient usage du tabac. Oviedo nous le fait connaître dans son histoire des Indes.[…] Ils recevaient la vapeur et fumée grâce à cet instrument, une, deux, trois et plusieurs fois, tant qu’ils pouvaient, jusqu’à ce qu’ils demeurèrent sans aucun sentiment.
Lors de la découverte du Nouveau Monde au XVIe siècle, les marins ramènent chez eux cette plante qui, on l’a vu, soignera les migraines de Catherine de Médicis.
Quels produits mystérieux contient donc le tabac qui produit ces effets ?
Quoi de plus banal que les plants de tabac !
Plantes annuelles de la famille des Solanacées - dont font partie entre autres la pomme de terre, la tomate, l’aubergine, le poivron -, elles sont tantôt comestibles, tantôt à usage médicinal - belladone – tantôt toxiques comme la troublante jusquiame noire.
Solanacée encore la redoutable mandragore qui secrète, comme toutes les solanacées, un alcaloïde pouvant être mortel, dont la tige bulbeuse représenterait le corps d’une femme, plante si chère à J.K. Rowling et son Harry Potter, encore dénommée plante des sorcières, car elle leur permettait de voler à califourchon sur leur manche à balai !
L’alcaloïde secrété par le tabac, la nicotine, est synthétisé dans les racines de la plante puis véhiculé dans les feuilles selon un gradient de concentration décroissant (concentration plus faible au sommet de la plante). C’est un puissant insecticide qui agit chez l’animal comme chez l’homme par inhalation, ingestion et même par simple contact avec la peau. La nicotine est extrêmement toxique pour l’homme, et même mortelle pour des doses élevées (aux alentours de 80 mg). Aucune consommation de cigarettes ou de e-cigarettes ne peut parvenir à une telle concentration, des malaises arriveraient bien avant une telle dose inhalée.
On sait depuis des décennies que la nicotine est la substance addictive dans le tabac. C’est elle qui rend très vite le sujet captif. Mais pas sous n’importe quelle forme. Pour créer cette addiction, il faut que le tabac soit grillé, permettant à la nicotine de se fixer en quelques secondes, via le passage pulmonaire, sur les récepteurs nicotiniques du cerveau stimulant la dopamine et créant ce bien-être.
La cigarette est donc le véhicule indispensable à cette dépendance.
Quels sont les méfaits de la nicotine ?
La nicotine crée avant tout une dépendance et ce n’est pas par hasard que les cigarettiers utilisent le tabac depuis toujours. Cette dépendance, ce patient captif, les intéresse au plus haut point.
L’addiction mise à part, ses effets concernent essentiellement les non-fumeurs et vont dépendre directement du nombre de récepteurs nicotiniques dans le système nerveux central. Ce nombre peut être 10 à 100 fois supérieur chez le fumeur et les effets de la nicotine chez ce dernier sont négligeables.
La nicotine augmente la fréquence cardiaque chez le fumeur (essentiellement quand il est en manque, à la première cigarette du matin) ainsi que la pression artérielle. Cet effet existe également chez le non-fumeur, mais il reste relativement minime chez le fumeur comme le non-fumeur.
Chez le non-fumeur, on peut noter en outre maux de tête, nausées, vertiges, vomissements, autant d’effets passagers qui s’atténuent très vite en fonction de la régularité de prise.
Quels pourraient en être les avantages ?
Tout fumeur connaît l’effet d’en « griller une » pour stimuler les capacités cognitives… tout comme son effet euphorisant, antidépresseur et relaxant.
La nicotine posséderait un effet protecteur (relatif) vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer et de la maladie de Parkinson. Des études prolongées seraient certainement intéressantes pour infirmer ou confirmer ces propos.
La prévalence très élevée du tabagisme chez les schizophrènes vient de l’effet atténuateur de la nicotine sur les médicaments prescrits créant un syndrome parkinsonien.
La nicotine a un effet bénéfique prouvé pour le traitement du blépharospasme (contraction involontaire de la paupière) et du syndrome de Gilles de la Tourette (tics faciaux) dont un célèbre ministre de la culture, il y a fort longtemps, était porteur.
La nicotine stimule le transit intestinal et la cigarette du matin favorise l’exonération…
La colite ulcéreuse (inflammation chronique du colon) répond favorablement au traitement par la nicotine sous forme de gommes.
Un cas de pyodermite gangréneuse (maladie cutanée infectieuse) a guéri par de la nicotine sous forme de gomme et la maladie est réapparue à l’arrêt du traitement…
Rappelons pour conclure la fameuse migraine de Catherine de Médicis améliorée par de la poudre de tabac inhalée où il faut y voir certainement l’effet vasoconstricteur de la nicotine sur les vaisseaux, décongestionnant peut-être une muqueuse inflammatoire (rhinite, sinusite).
Ce traitement impose évidemment que la nicotine soit délivrée sous forme micronisée, éventuellement à l’aide d’un gaz pulseur afin d’agir comme le ferait une cigarette grillée.
Tout est possible. Encore faut-il le vouloir.
Photo : Getty images