

"Le Déni", extrait 1 : la cathédrale de Cologne
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"Le Déni", extrait 1 : la cathédrale de Cologne
Caro tourne la tête pour regarder la cathédrale.
- J'ai toujours aimé les cathédrales gothiques. Ce sont les plus belles.
Siggi fait de même.
- Oui. Celle-ci est vraiment impressionnante.
- Quand on pense qu'elle a mis six cents ans à être construite...
- Oui... presque six cent cinquante, même. La construction a commencé au treizième siècle et s'est terminée au dix-neuvième. Ça fait réfléchir... à beaucoup de choses. Autant de patience. Autant d'endurance. Autant de persévérance.
- Je me souviens d'un article que j'ai lu à son sujet il y a longtemps. Son auteur la trouvait froide, et il attribuait cette froideur justement à tout ce temps qu'il a fallu pour la construire.
- Ah bon ?
- Oui. Il trouvait qu'on avait juste fait perdurer le projet pour la seule et unique raison qu'on l'avait commencé, mais qu'à force de durer trop longtemps, il avait fini par perdre toute réelle justification. Qu'à la limite, il aurait été plus justifié de raser tout ce qui avait été fait à un moment donné, beaucoup plus tôt, et de recommencer tout à fait autre chose depuis le début. Apparemment, on a envisagé plus d'une fois de le faire au cours des siècles. À tel point que l'auteur de l'article ne comprenait pas comment et pourquoi ça ne s'est jamais fait.
Caro se tait quelques secondes, puis reprend.
- Après tout, l'une des grandes raisons pour lesquelles ce chantier a duré si longtemps est qu'il est resté pratiquement à l'arrêt pendant presque trois siècles parce qu'à force d'être énorme et d'avoir pris du retard, il était encore inachevé à une époque où le gothique n'était plus en vogue. À partir de la Renaissance, c'était le style dans lequel il ne fallait surtout plus construire. L'auteur de l'article attribuait cette impression de froideur que lui donnait la cathédrale de Cologne au fait que les bâtisseurs qui ont continué puis terminé sa construction ne l'ont fait que des siècles plus tard, à une époque où le gothique redevenait en vogue, certes, mais quand même de guerre lasse, juste parce qu'il le fallait, qu'ils n'en avaient pas vraiment envie mais qu'ils ne l'ont fait que parce que pendant trois cents ans, ceux qui n'avaient plus voulu continuer le chantier l'ont simplement laissé en plan parce qu'ils n'avaient rien d'autre à mettre à la place, pas d'autre projet pour le remplacer, ou pas de projet qui mettait assez de monde d'accord, pas assez d'idées ou pas assez d'envie, ou pas assez d'argent aussi, et parce qu'ils n'ont pas eu le courage de ne laisser que du vide après avoir mis tout à bas, parce que démolir, ça coûte aussi, parce que ce qui était déjà construit servait déjà comme église de toute façon, et parce que trois cents ans après, quand le style gothique est enfin revenu à la mode, c'était le moment ou jamais d'en finir enfin avec ce chantier-là une bonne fois pour toutes, mais que les bâtisseurs du dix-neuvième siècle n'avaient plus la ferveur de leurs ancêtres, et que cela se voyait. Que cela se ressentait.
Siggi tourne son visage vers Caro.
- Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? Tu es d'accord avec lui ?
Elle continue à fixer la cathédrale d'un air pensif.
- Je ne sais pas... Aujourd'hui la cathédrale est terminée depuis presque un siècle et demi, donc c'est difficile à dire... Aujourd'hui on y voit un monument du passé, un témoignage d'un art passé et de toute une époque, et tout le monde ne connaît pas son histoire, donc c'est difficile de juger.
Il sourit en coin.
- Et surtout, une fois qu'elle est là et surtout à partir du moment où elle est terminée, la plupart des gens la tiennent pour acquise. Tout simplement.
- De toute façon, les églises, quelles qu'elles soient, ne sont plus guère fréquentées aujourd'hui. Ça n'aide pas à en donner une impression chaleureuse. Et puis, en parlant de chaleur, toutes ces immenses bâtisses avec leurs plafonds super hauts, en chauffage, elles doivent coûter un bras, une jambe et un poumon.
Il tourne à nouveau son regard vers l'immense bâtisse gothique.
- À moi, cette cathédrale parle de tout à fait autre chose.
Elle tourne à son tour les yeux vers lui.
- Et elle te parle de quoi ?
- De persévérance. De résilience. Elle me dit de ne jamais renoncer. De ne jamais abandonner. Chaque fois que je doute, elle me dit de m'accrocher. Chaque fois que je chute, elle me dit de me relever. Chaque fois que je n'en peux plus et que je veux abandonner, elle me dit de tenir. Elle me dit que la victoire est toujours au bout du chemin pour celui qui sait garder la foi.
- Elle te dit vraiment tout ça ?
Il tourne son visage vers elle.
- Elle me le dit par son histoire.
Elle laisse passer une seconde.
- C'est pour ça que tu viens souvent ici ?
- Oui. Entre autres.
Il tourne à nouveau les yeux vers la cathédrale.
- Ici dans ce café. Sur le parvis. Sur la place où tu verras la maison numéro 4711, où l'on fabrique encore la véritable Eau de Cologne. Partout dans les parages. Je la regarde, et elle m'apaise. Pour un temps.
La voix de Caro s'assourdit.
- Et... ça t'arrive souvent ?
Siggi la regarde à nouveau.
- Quoi ?
Elle hésite.
- De... d'avoir besoin d'être apaisé ?
Il retourne la tête vers la cathédrale, et elle voit sa pomme d'Adam monter et redescendre à travers la peau de son cou.
- Plus souvent que tu l'imagines.
Crédit image : © Hans Berger, Google Maps

