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7-Un enfant qui n'est pas le sien

7-Un enfant qui n'est pas le sien

Pubblicato 16 gen 2021 Aggiornato 16 gen 2021 Curiosità
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7-Un enfant qui n'est pas le sien

Accueillir un enfant qui n'est pas le sien, l'éduquer, l'aimer et l'aider à se construire, ce n'est pas si aisé. L'amour ne résout pas tout. Surtout quand cet amour vous renvoie à la personne que vous avez en commun, à qui vous devez votre filiation et qui vous exècre : votre père.

Oui, nous avons le même père, mais c'est tout.

Pas de passé commun, pas de souvenir, pas la même éducation et surtout, pas la même vision de ce père. Pour moi, un père absent, violent, insécuritaire, charmeur, terrifiant, menteur, voleur, voyageur, drôle, enjôleur, théâtral. Pour elle, le seul parent qui s'est occupé d'elle et de sa jeune sœur après le décès brutal de leur mère, à l'âge de 10 ans. Cancer foudroyant à 40 ans. Leur mère, d'origine khabile, était une femme parisienne distinguée, cadre dans une grande entreprise, ouvertement athée bien qu'issue d'une famille musulmane. Le père, lui, fut dès ce moment-là l'unique repère, la bouée, l'oxygène, le rire, le déni de la mort, la fuite, les jeux, le plaisir, les colères et les cris, l'irresponsabilité face aux événements, les projets insensés, le cruel manque d'argent, l'exil en Afrique, le déracinement.

Toutefois, et ceci est valable pour toutes les deux, notre père est un homme malade mentalement, colérique, instable, qui est le chaînon par lequel la bipolarité est passée de ma grand-mère à moi.

Et cette enfant est arrivée chez nous. Hélène avait 17 ans, elle avait envie (et besoin?) de partir d'Afrique, d'un pays extrêmement pauvre dans lequel son père les avait embarquées, elle et sa sœur, quatre ans auparavant, fuyant Paris, la tombe de leur mère, le chômage, les dettes, les ennemis, la justice et se rêvant millionnaire au pays des mendiants. En partant, elle a donc laissé derrière elle son père et sa jeune sœur de 7 ans sa cadette avec qui elle était fusionnelle, autant dire tout ce qui lui restait. Et voilà cette jeune femme, qui aujourd'hui a fêté ses 18 ans, lycéenne en internat la semaine, et chez nous le week-end. Quel changement de vie pour elle, et pour nous !

Cette enfant est pleine de contradictions. Moi, malheureusement, je vois surtout sur son visage et à travers tout ce qu'elle ne dit pas, l'immense vide laissé par sa mère qui a cruellement manqué dans la construction de son identité. Une gamine forte pourtant, à la fois mature (elle a quasiment élevé sa sœur) et irresponsable, incapable de se gérer, remplie de rêves et de peurs diverses et puissantes mais pour la plupart infondées. J'y vois une peur de la vie, la peur de vivre. Ou plutôt une grande peur de mourir.

Un psy ? Le père n'a pas jugé que la situation de l'époque méritait un tel soutien pour ses filles de 5 et 10 ans.

Elle pourrait être tellement différente ! Mais je souhaite l'aimer pour ce qu'elle est. Et c'est difficile. Difficile de ne pas avoir de complicité de sœur, par exemple faire les magasins, parler de son petit copain ou passer des moments sympas en cuisine... Difficile de ne pas pouvoir jouer le rôle de la maman qui prodigue conseils avisés et câlins, ou qui donne des ordres et pique des colères justifiées. Difficile quand elle me fait me sentir "naze" simplement parce que je suis une adulte et elle encore ado, mais qu'elle se sent "grande". Difficile d'avoir le mauvais rôle mais pas le scénario ! A moi d'inventer les dialogues, souvent tendus, les attitudes, parfois distantes, les sujets de discussion, quelquefois conflictuels.

Ce n'est pas ma fille. Je ne l'ai pas éduquée. Elle ne peut pas me ressembler, avoir été pétrie par mes valeurs, être sensible à mes centres d'intérêt. Je ne me reflète pas en elle. Elle me renvoie malgré elle l'absurdité d'une époque, celle entre autre de la télé-réalité, où les filles en mini bikini , yeux noirs et lèvres rouges, se trémoussent autour d'une piscine, feignant l'ivresse en buvant des cocktails sans alcool devant des gars qui, tout en réajustant leur micro, louchent sur leurs seins, espérant ouvertement recueillir l'amour virtuel des téléspectateurs et les quelques milliers d'euros de la finale.

Pour vous donner un exemple, je dirais qu'elle est pas méchante, pas mauvaise, juste un peu bête dans le sens qui ne réfléchit pas trop, ou même qui ne sait pas comment on réfléchit, parce que personne ne lui a jamais appris. Je ne crache pas sur l'école qui fait ce qu'elle peut, mais qui n'a malheureusement pas réussi à lui apprendre comment on pense. Notre plus grande frayeur, à mon mari et moi, aura été l'épisode des attentats de Charlie Hebdo. Je résume sa pensée en essayant de ne pas la trahir: "Pourquoi ces mecs-là ont ils dessiné le prophète, c'est un manque de respect, ça ne se fait pas, voilà à quoi ça mène de s'attaquer à la religion, ça énerve certains, c'est normal, y'a des choses qui se font pas, ils l'ont cherché quand même. Ils ont qu'à dessiner autre chose, mais on touche pas à la religion c'est sacré. " Je prends un instant pour laisser tourner dans votre cervelle affolée la multitude de questions que cela soulève, en tant que citoyen, en tant que parent, que famille d'accueil etc.

Et nous d'expliquer calmement, de parler de la déclaration universelle des droits de l'homme, de la constitution française, du Droit, de la Liberté d'expression, du terrorisme... devant une jeune femme qui aura bientôt accès aux urnes électorales et qui entend ces mots et ces concepts presque pour la première fois, les yeux rougis par l'émotion, étonnée de cette confrontation d'idées qui la font vaciller dans ses convictions de supermarché (pas casher)...

Qui fabrique les citoyens de demain ? Où est ma responsabilité ? Jusqu'où dois-je aller dans son éducation, comment puis-je la protéger des idéologies extrémistes par exemple ? En fait je n'ai plus le temps car elle est déjà trop grande. On me dit qu'il faut la laisser faire ses propres expériences, ses propres choix.

Elle est si jeune.

J'ai peur pour elle.

Comme une mère.

15 mars 2015

Par Laurent Folco

https://www.artmajeur.com/fr/laurent-folco83/artworks/11385092/portrait-cubiste

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