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01.La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Prologue et Chapitre premier, Le Rêve de Santem

01.La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Prologue et Chapitre premier, Le Rêve de Santem

Pubblicato 27 gen 2023 Aggiornato 24 feb 2023 Cultura
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01.La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Prologue et Chapitre premier, Le Rêve de Santem

Je suis Nil, une planète qui ressemble à la Terre, bien distante cependant de l’horizon que vos astrophysiciens nomment « cosmos », une bulle dans un océan, en vérité.

Sur Nil, le temps de la vie humaine n’est pas le vôtre. Cent-cinquante ans chez vous y sont comme cinq chez nous. En toutes mes Terres habitées, certains ont vécu, vivent et vivront jusqu’à l’âge de trois mille ans. À vos yeux, ils sont immortels. Ce n’est encore qu’un bref passage, assez durable, cependant, pour que leur exis­tence, leur histoire, leur mémoire soient mieux appropriées à l’échelle d’une civilisation.

C’est moi, Nil, qui vous en fais le récit. Pour qui sait lire à travers mes espaces, ma faune, mes humanités, je suis une énergie vivante, source d’infor­mations. Quant à mes souvenirs, ils hantent l’esprit de ceux qui ont vécu et vivent en moi, archivant ce qui s’éprouve et se pense en eux. J’ai connu autant d’histoires de vie qu’il y eut d’âmes incarnées en ma demeure. Voici celle d’une famille qui, plus que toute autre, contribua à édifier et protéger jusqu’à ce jour la dernière des sept civilisations que j’ai vues naître, croître et décliner, avant de passer dans la suivante. De l’histoire de cette famille et de celui qui en fut le chef je fais ma propre légende. La légende de Nil se coule ainsi dans l’épopée d’un homme. Santem est le nom de cet homme. Une bataille inaugura sa célébrité dans l’Archipel de Mérode comme sur le continent du Nord, auprès de ses alliés des Terres bleues, les Nassugs, ainsi que chez leurs ennemis des Terres noires, les Aspalans, puis, sur toute l’étendue de Nil…

 

Le premier Livre de Nil

Les Diamants de Sarel-Jad

 

 

 

Prologue

De moi, Nil, qui vous conte ma légende, sachez que l’invasion des Terres bleues par les hordes d’Aspalans était, de tout temps, redoutée par les Nassugs. Mais elle n’en fut pas moins imprévue et terrible. À travers la peine qu’en éprouve Lob-Âsel-Ram, Sage parmi les sages, il me semble entendre les cris des hommes exhortant leurs enfants à prendre les chemins de forêt, tandis que les femmes jurent qu’elles ne quitteront pas le foyer. Je vois les enfants courir à travers les futaies, se réfugier dans des cahutes de bucherons. D’autres tentent de gagner les hauteurs, s’interpellent pour ne pas se perdre. En une nuit les Aspalans ont déferlé sur les villages en semant la terreur ! Ils y instaurèrent une impitoyable dictature, sans même que les Nassugs aient pu organiser une résistance cohérente, et à peine étaient-ils installés sur les rives des Terres bleues qu’ils préparaient la suite : l’invasion de l’archipel de Mérode. Réduits en esclavage, les Nassugs étaient alors astreints à la construction de bateaux de guerre. Mais, par chance, certains parvinrent à fuir par la mer, vers le Sud, et c’est ainsi que Santem fut averti de ce qui se tramait.

Ses fils voulaient armer les gens de Mérode pour aller porter la guerre aux Aspalans sur mer et sur terre sans attendre l’invasion. Santem leur demanda de ne rien ébruiter jusqu’à ce qu’il ait réfléchi et proposé une décision. Jamais auparavant il n’avait senti autant d’urgence, et jamais il n’avait eu si présent le sentiment d’un enjeu vital de sa décision. Jamais, par conséquent, sa méditation ne fut aussi intense. Presque malgré lui, elle le conduisait dans une direction opposée à ses impulsions premières : Santem aurait aimé en découdre avec les Aspalans ; mobiliser contre eux tous les hommes valides de Mérode et mener une guerre totale. Cependant, sa raison lui disait autre chose. La voix s’en s’imposait à lui comme une obligation : il faut plutôt organiser une retraite totale ; déserter la côte de l’île principale, celle qui fait vis-à-vis aux Terres bleues, là où Santem et sa famille sont établis ainsi que les principales cités et activités ; prévenir les gens des petites îles de l’archipel et installer le camp de refuge dans la région centrale, celle des Terres volcaniques, habitées par des hommes pratiquant l’art de la forge. Oui, il faut se réfugier sur ces hauteurs isolées et construire des forts autour des fours à minerais.

C’est cette décision que Santem annonça à ses fils. Il leur demanda d’aller prévenir les gens de Mérode d’une attaque imminente et, surtout, de les convaincre de se rendre sur les Terres volcaniques, au centre de l’archipel, pour y organiser la résistance. Cependant, il garda l’un de ses fils, Oramûn, auprès de lui pour que tous deux aillent quérir sans attendre les marins qui, depuis Mérov, le port principal, devraient embarquer sur les navires de sa flotte marchande et la mettre à l’abri après y avoir chargé les réserves de blé, d’huile, de fruits secs, de poissons salés et de viande fumée. Toute la flotte devait être planquée dans un fjord à proximité des Terres volcaniques.

Et ainsi fut fait. Autour des Terres volcaniques la mer est dangereuse, traversée de courants puissants et jalonnée de tourbillons capables de briser des navires. Mais les marins connaissent bien cette zone redoutée, et ils parvinrent au fjord sans encombre. Santem décida que les réfugiés prendraient avec eux le minimum de vivres, car l’île est bordée de falaises abruptes et les sentiers pour se rendre sur les plateaux sont raides et étroits. On laissa ainsi l’essentiel des réserves dans les soutes des navires, et notamment les stocks de blé.

Le blé ! Son évocation rappela à Santem les premiers temps de son épopée. Il avait vécu dans une ferme située sur la grande île de l’Archipel de Mérode, entre deux villages, l’un de pêcheurs, l’autre de bergers. Puis un rêve à répétition était venu transformer son existence. Santem le gardait pour lui seul, jusqu’au jour où il résolut d’en parler à Masitha, son épouse…

 

Chapitre premier

Le rêve de Santem

 

— Je marche, à l’automne, dans la forêt des chênes. Des glands jonchent la terre humide. J’y perçois des petites pousses vertes. Puis je me trouve sur le chemin qui mène à la chèvrerie. C’est le plein été. Sur un bas-côté, de grandes herbes portent des épis chargés de tout petits grains. Je m’en approche si près que je les vois comme s’ils étaient énormes, ou moi, minuscule… 

Santem racontait son rêve à son épouse comme on confie un secret. Il avait été réveillé par les premiers chants d’oiseaux, un peu avant l’aube. Il s’était assis au seuil de sa maison pour contempler une mer étale, gris perle, et sentir les goémons printaniers dont l’odeur lui parvenait par intermit­tence. Sa nuit avait été peuplée d’émotions tendres, où s’étaient engrenées plusieurs scènes. Le premier rêve lui avait fait revivre une époque où ses enfants, à présent, adultes, étaient petits. Il jouait avec eux, veillant à ce qu’ils ne s’approchent pas de la falaise qui domine la mer, à la pointe de leur propriété. Malgré ses efforts, il ne parvenait pas à les compter tous les huit. Ça l’inquiétait…

Dans la réalité, Santem était parvenu à persuader ses enfants de rester dans la demeure familiale, car rien n’est plus cher à son cœur que de les savoir réunis auprès de lui. Ainsi se sent-il reposé, confiant, libéré des soucis et, pour tout dire, heureux. Outre le rêve qui, depuis longtemps, ne le quitte pas, lui revint en mémoire un autre rêve de cette nuit : après ses enfants, Masitha, sa femme. En dormant, il en avait ressenti la présence, la chaleur, le parfum ; et il se souvint : son désir s’était comme sublimé, rien qu’avec l’idée de pouvoir poser la main sur son corps.

Justement, Masitha s’est levée à son tour. Elle avait été réveillée par cette remarque de son époux jaugeant les zéphyrs matinaux :

— Ce sera de l’Ouest sur la mer, mais de l’Est en hauteur.

Elle rejoignit Santem devant leur maison de pierres ajustées les unes aux autres sans mortier. De part et d’autre du corps principal deux ailes sont réservées aux enfants : cinq fils et trois filles. Santem avait choisi d’établir sa vaste demeure dans la vallée, non loin d’une rivière qui descend d’Est en Ouest en ondulant jusqu’à la côte, et sépare deux massifs forestiers, l’un de chênes et arbousiers, l’autre de pins et genévriers. Son père s’était, aupa­ravant, construit une maison plus modeste, ainsi qu’une chèvrerie, un peu plus haut, sur le flanc de la colline. Un jour, il avait proposé à son fils de creuser ensemble une galerie souterraine, afin de relier les deux habitations. Il s’était montré si confiant et enthousiaste que Santem y consentit. Une année durant, ils y avaient œuvré. Pour assurer la jonction des couloirs, ils avaient dû pratiquer des cheminées, ce qui leur permettait d’estimer leur posi­tion respective et d’orienter leur progression en consé­quence. Aux forgerons des Terres volcaniques ils avaient commandé des outils robustes, manche en chêne, pioche large, d’un côté, pic dur, de l’autre. Santem se remémora la fierté mêlée de soulagement, qu’exprimait le visage paternel, lorsqu’ils se touchèrent la main après l’ultime pelletée d’excavation.

La même année, son père lui légua la responsabilité de la rivière et de ses berges. Déjà à cette époque la personnalité de Santem s’était imposée alentour. De haute et belle stature, Santem dégage une impression de force que rehaussent la douceur de ses gestes et le respect qu’il marque à ses interlocuteurs : il regarde chacun dans les yeux, se tient penché pour mieux écouter, se garde d’élever la voix, prononce chacune de ses phrases avec le souci de se faire comprendre. Des entretiens avec Santem, invariablement, les gens sortaient impressionnés.

Ainsi gagna-t-il la confiance des villageois, en même temps qu’une autorité volontiers consentie, si bien que le père estima que son fils pourrait désormais prendre la suite. De tradition, leurs ancêtres approvisionnaient les villages voisins en papyrus, cannisses et bambous. Ils s’étaient spécialisés dans la confection d’objets divers : nasses, pontons, radeaux légers. Même pour ces fournitures, ils ne se font pas payer par les villageois qui de longue date s’en étaient remis à eux pour estimer les besoins de chaque famille et pourvoir en conséquence. Plus que d’une fonction il s’agit d’une charge, laquelle confère à la lignée un statut à part.

Santem se tourna vers Masitha :

— Voilà longtemps que le rêve ne me quittait pas. J’y avais vu un message. Je ne me trompais pas.

Masitha s’abstint de presser son mari de poursuivre, car se taire est le bon moyen de faire parler son interlocuteur. C’est une des qualités que Santem admire chez sa femme : elle sait se garder de l’immédiateté, signe de raison. Toutefois, elle sentit qu’il serait désobligeant de rester plus longtemps silencieuse.

— Raconte-moi ton rêve, Santem !

Il acheva ainsi son récit :

— Les grains semblaient plus réels que si je les avais regardés à l’état de veille. C’était une impression forte, Masitha.

Santem regarda Masitha dans les yeux et lui sourit sans prononcer un mot. De son sac en vessie de bouc tannée à l’huile et fumée il sortit un épi qui fit aussitôt l’admiration de Masitha : elle n’avait jamais vu de sa vie des grains aussi gros.

— Où les as-tu trouvés ?

— Je ne les ai pas trouvés. Je les ai produits. Nul à ma connaissance ne l’a fait encore : pas davantage les nôtres, gens de Mérode, que dans les tribus barbares des Terres blanches ; non plus que parmi les Aspalans des Terres noires ou chez les Nassugs des Terres bleues. Masitha, voilà des années qu’à chaque printemps je mets des grains en terre, attends qu’ils lèvent et donnent des grains à leur tour. J’ai, chaque été, conservé parmi eux les plus gros, les plus tendres. Voici le résultat !

Enfouir des graines dans de la terre humide pour que se produise une germination qui se développera jusqu’à ce que les herbes ainsi obtenues produisent d’elles-mêmes des graines identiques à celles qui les ont produites ; puis sélectionner les meilleures jusqu’à stabiliser une nouvelle espèce : voilà des gestes qui n’étaient apparemment venus à l’esprit de personne avant Santem. De moi, Nil, de ma mémoire qui éveille et qu’abondent tous les esprits de la planète, comprenez qu’aucun peuple connu de lui n’avait jusqu’alors pratiqué l'agriculture un peu savante, bien que l’on sût domestiquer des animaux et tirer parti des plantes sauvages et des arbres fruitiers qu’il y avait là en abondance.

— Tu as donc gardé le secret durant tout ce temps. Même à moi tu n’as rien dit !

— C’est que je voulais être sûr de mon fait avant de t’en parler.

Cependant, Santem avait mis l’un de ses fils dans la confidence : Oramûn qui l’accompagne dans ses pérégrinations et avec qui il a pris l’habitude de partager ses projets.

— Maintenant, que comptes-tu faire de ta découverte ?

— Que tous les gens en profitent dans les villages alentour ! … Mais sans oublier notre famille. Pour cela j’aurai besoin de ton conseil, Masitha.

Masitha tenta de capter le regard de Santem dont les yeux semblaient se perdre dans la mer.

— Quand tu regardes la montagne, tes yeux sont bruns. Face à la mer, ils tournent au vert. Je ne les ai jamais vus aussi clairs... Puisque tu veux bien m’entendre, voici mon conseil, Santem : par Ohlân, Âsel et tous nos ancêtres, marchons dans les pas de ta race ; sache toujours donner avant d’avoir reçu ! Que nos filles se rendent aux deux villages voisins, celui des pêcheurs, en bas, celui des bergers, là-haut. Elles montreront les épis et les feront goûter aux villageois. Je te connais assez pour savoir que tu en possèdes en nombre. Après quoi nous aviserons.

Masitha et Santem décidèrent que leurs filles commenceraient par le village des pêcheurs. Ceux-ci apprécièrent le grain dont ils eurent vite réalisé la valeur gustative et nutritive. Bien que Santem fût connu et estimé pour sa générosité, les villageois ne s’attendaient quand même pas à recevoir un coffret garni d’épis tendres.

La deuxième fois que les filles de Santem se présentèrent sur la place du marché, les pêcheurs insistèrent pour qu’elles acceptent quelque présent en échange. Mais les jeunes filles refusèrent à nouveau poliment, disant que leur père les accompagnerait, la prochaine fois. Tous furent au rendez-vous et Santem leur fit cette proposition :

— Si vous avez la patience d’attendre l’été, je vous donnerai beaucoup de grain tendre : dix mesures de grain pour votre village.

— Mais que pouvons-nous faire pour toi en retour, Santem ?

Conformément à son principe, Santem n’avait pas présenté son offre comme un échange. S’il donne sans exiger une contrepartie, il lui est agréable de recevoir.

— Si vous souhaitez m’obliger, vous creuserez des sillons dans les berges meubles de la rivière depuis l’aval de la maison de mon père, là où se trouve l’ancienne chèvrerie, jusqu’à proximité de la mer. Vous vous arrêterez à l’endroit où l’eau devient saumâtre.

Sans chercher à comprendre, les gens du village se mirent au travail, le menèrent à bien, s’en retournèrent chez eux. Les graines levèrent, mûrirent, produisirent des graines qu’avec l’aide de sa famille Santem récolta nuitamment. Il en obtint vingt-cinq mesures. Alors, il donna au village les dix mesures promises, en provisionna cinq pour lui et les siens, en mit par ailleurs dix en réserve.

Qu’allait-il faire de ces dix mesures de surplus ? Les semer, bien sûr. Ou plutôt, demander aux gens du village de reproduire le travail effectué précédemment, mais à ceci près qu’il y avait maintenant davantage de grain à semer qu’auparavant ; donc, davantage de travail à faire. Santem fit alors appel aux bergers, les villageois de la montagne, pour assurer la récolte. Tandis que les pêcheurs s’occuperaient de la semence, les bergers se chargeraient de la récolte.

L’année suivante, les dix mesures de grain investies dans la terre en procurèrent cinquante.

À force de démarches persévérantes Santem avait obtenu des Conseils de villages l’autorisation d’exploiter les terres bordant de part et d’autre les nombreux cours d’eau qui, à intervalles réguliers sur toute la côte Ouest et Nord de la Grande Île de Mérode, vont se jeter dans la mer. Seules en étaient exemptées les zones de limon requises pour édifier des maisons de terre crue et laisser se développer en abondance les papyrus qui s’étendent librement au long des berges. Il sut convaincre les villageois de travailler ensemble à la culture des précieuses céréales, et ainsi devint-il puissant et respecté. Il était riche aussi, sans doute, quoi qu’il n’abusât pas de sa position pour accumuler du grain dont il n’aurait que faire pour sa consommation. Il n’en conservait pour lui et sa grande famille que ce qui est nécessaire. Le reste, il l’investissait aussitôt dans la semence.

Puis vint un temps où tous les villages alentour furent assez bien pourvus de céréales. De moi, Nil, qui vous conte ma légende, sachez qu’à cette époque, on consommait encore les grains tels quels, que l’humidité du sol rendait gros et tendres, agréables à manger sans plus de préparation. Santem fut alors pris d’une sorte de doute : quel intérêt de poursuivre ? Quel sens ? N’avait-il pas suffisamment rentabilisé sa découverte ? N’était-il pas parvenu à la situation la plus enviable ? Ne jouissait-il pas de tout ce qu’un homme peut honnêtement souhaiter : prospérité, reconnaissance, notoriété ? Et puis, que faire de plus sur la voie ainsi tracée, à présent que tous les gens du monde connu ont leur content de céréales ?

 

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Commento (1)

C'est formidable c'est histoire de Légende ! Merci infiniment pour ce voyage proposé Jean-Marc Ferry !

J'apporte ma pierre à l'édifice avec plaisir et engagement...

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