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31. La Légende de Nil, Jean-Marc Ferry, Livre 1 : Les Diamants de Sarel-Jad, Chapitre XI, 4 

31. La Légende de Nil, Jean-Marc Ferry, Livre 1 : Les Diamants de Sarel-Jad, Chapitre XI, 4 

Pubblicato 25 giu 2023 Aggiornato 25 giu 2023 Cultura
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31. La Légende de Nil, Jean-Marc Ferry, Livre 1 : Les Diamants de Sarel-Jad, Chapitre XI, 4 

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Zaref se mit en marche vers le Nord-Est ; d’abord, par les tranchées étroites qui bordent la grande plaine, à l’Ouest, puis par les crêtes des montagnes qui la dominent, au Nord. Ôm et Ferghan le suivent de loin. Ils traversèrent derrière lui la forêt de grands résineux et, lorsqu’ils parvinrent au niveau des crêtes, s’offrit à leur vue le paysage inouï d’une « forêt » de dômes rocheux, comme des gigantesques stalagmites à ciel ouvert ; en fait, des formations très anciennes de fossiles marins, trace d’une époque où Sarel-Jad était sous les mers. Le père de Zaref avait donné à son fils et à Nïmsâtt une explication : l’eau avait dû se retirer, peut-être, sous l’effet de glaciations aux pôles, à moins qu’un mouvement de plaques tectoniques n’ait surélevé les terres jadis immergées. Les blocs de calcaire auraient, ensuite, durant des millénaires, été sculptées par les pluies, jusqu’à présenter cette apparence d’obélisques immenses, serrés les uns contre les autres. Ferghan est médusé par le spectacle. À cette altitude, cepen­dant, le vent froid appelait le jeune couple à rechercher un abri pour la nuit.

Ôm et Ferghan suivirent ainsi Zaref, neuf jours durant. Au dixième jour, cependant, Zaref va bientôt atteindre la côte septen­trionale qu’il aperçoit depuis la crête. Il connaît un chemin escarpé qui descend jusqu’au rivage, ce qui représente encore environ trois heures de marche. Il allait l’emprunter, lorsqu’il entrevit, assez loin sur la mer, une lumière. Un navire s’apprête à accoster ! Zaref soupçonna une arrivée des amis de Santem. Ont-ils l’intention de s’établir sur ces Terres sauvages pour les coloniser ? De s’emparer des pierres ? De le neutraliser, lui, Zaref, de quelque manière ? La probabilité du danger est trop forte pour qu’il soit encore question de suivre le plan initial : il lui faut provisoirement renoncer à transborder les pierres vers un navire, et rejoindre ses Aspalans avant qu’ils ne gagnent le lieu prévu du rendez-vous pour l’embarquement. Peut-être les retrouvera-t-il à temps pour avec eux effectuer la capture de jeunes Sils et les mener aux Terres noires.

C’est pourquoi, à leur surprise, Ôm et Ferghan virent Zaref rebrousser chemin. Aurait-il perçu quelque chose d’inquiétant ? Ôm fait signe à Ferghan de surveiller Zaref en se dissimulant au mieux, tandis qu’elle se rendra rapidement à l’endroit où il se trouve maintenant, afin de comprendre la raison du demi-tour. Elle a vite fait de réaliser, revient vers son bien-aimé qui pense immédiatement à Oramûn. C’est lui, à n’en pas douter. Allons l’accueillir, tant pis pour la filature ! Zaref ne perd rien pour attendre. Au contraire : avec Oramûn et ses hommes, il y aura de bien meilleures chances de l’empêcher enfin de nuire.

Ce que Ferghan n’a pas subodoré, c’est qu’en allant accueillir Oramûn sur le rivage, il y reverrait son père, Rus Nasrul. Ôm se tient un peu en retrait, la tête penchée sur le côté, selon sa manière, et c’est Oramûn qui la présente à Rus Nasrul, occupé à serrer son fils dans ses bras en le dévisageant avec tendresse, comme s’il ne l’avait pas vu depuis des années. Cependant, Ferghan a hâte de mettre son père et son ami au fait de la situation présente, situation d’urgence, à son avis : Zaref est là, à Sarel-Jad. Il vient de rebrousser chemin en les apercevant depuis les crêtes. Il a marché plusieurs jours durant, depuis la bordure Nord-Ouest du massif méridional, là où les Sils ont cru trouver un lieu sûr. Il a rencontré Nïmsâtt qui, apparemment, l’aurait chassé du village. Mais pourquoi est-il parti vers le Nord avec empressement ? Pourquoi a-t-il ensuite fait demi-tour comme un fuyard ? Ferghan a conscience du fait que sa jeunesse ne l’autorise guère à donner des conseils, mais son intuition lui sonne l’urgence comme une corne d’alarme : il faut sans attendre suivre la piste de Zaref, afin de prévenir ses exactions avant la catastrophe. À vrai dire, Ferghan n’a pas besoin de déployer de grands talents rhétoriques pour convaincre. Cependant, l’équipage réclame un repos mérité. Nasrul donne aux hommes la permission de bivouaquer sur la rive, mais seulement pour une pause d’assez courte durée, tandis qu’eux ne prendront de repos que plus tard.

Ce fut une bonne décision, en effet. Les quatre marchèrent toute la nuit, mais sans apercevoir Zaref. Nasrul vit que son ami était épuisé et que la jeune fille tombait de sommeil. Une pause de quelques heures leur permit de récupérer un peu, après quoi ils se remirent en marche, Ferghan prenant la tête. Il leur fallut dix jours pour atteindre le village. Or avant même de l’apercevoir, des clameurs se font entendre qui plongent Ôm dans une apparente torpeur. C’est sa façon d’écouter. Les regards des trois compagnons convergent vers elle. Elle décrypte les sons émanant du village et reconstruit la situation : des hommes ont attaqué le village, ils se sont emparé de garçons et de filles, ils ont tué des femmes et des hommes, ils brûlent des huttes, explique-t-elle à Ferghan. Ôm est tombée à genoux, écroulée de chagrin. Ferghan se précipite. Son père l’arrête presque de force et avec autorité le persuade de demeurer en retrait. C’est lui, Rus Nasrul, qui règlera l’affaire.

De moi, Nil, qui vous conte ma légende, sachez que la scène qui suivit restera gravée dans les mémoires des Sils à travers les générations. Une brigade d’une trentaine d’Aspalans entourait des prisonniers sils attachés les uns aux autres, tandis qu’enfants, femmes et hommes du petit peuple assistaient, impuissants, à cette misère, éperdus de détresse. Nïmsâtt est parmi eux. Un Aspalan, visiblement, le chef de la troupe, parle avec… Zaref que Nasrul reconnaît sans peine, mais ignore. Il s’avance vers le chef des Aspalans, plonge son regard métallique dans les yeux du brigand et, sans élever la voix, le somme de détacher les Sils. Les autres Aspalans se figent, ils mettent la main à leur ceinture, là où ils tiennent dague, couteau, hache, matraque, corne d’appel. C’est vers la dague que leurs doigts se dirigent. Nasrul se tient droit, presque détendu. Un calme absolu émane de sa personne sur qui tous, maintenant, ont les yeux rivés. Le chef de la bande sent que sur lui aussi, sur sa réaction, les attentes se tournent. Son honneur est en jeu. Rus Nasrul lui impose le respect. Son absence évidente de peur va faire monter la sienne sous peu, si ne n’est déjà fait. Pourtant, il doit à ses hommes et à Zaref de se montrer à la hauteur. Après tout, il a l’avantage : Nasrul est seul ou à peu près, il n’est accompagné que de deux hommes dont l’un est tout jeune, ainsi que d’une fille qui pourrait être du village. Ces considérations encouragent l’Aspalan à braver le regard de Nasrul. Il ébauche même un sourire qui se voudrait assuré :

— Ce sont nos prises, elles nous appartiennent comme tout butin de guerre, ainsi qu’il en va depuis toujours chez les Aspalans. Nous allons les emmener avec nous et vous ne nous suivrez pas, ni toi ni tes amis. Ou nous vous frappons sans plus d’avertissement.

Le regard de Nasrul se vida alors de toute expression. La mort se lit à présent dans ses yeux, et c’est d’ailleurs la lecture qu’en fait l’Aspalan.

— Le dernier avertissement, c’est moi qui te le donne. Tu libères ces garçons et filles. C’est tout de suite, ou tu meurs.

L’Aspalan réalisa que, contrairement à ses estimations, c’est Nasrul et non lui, qui a l’avantage. Car Nasrul, c’est clair, ne craint pas la mort. Il n’a aucune peur. Il exécutera sa promesse sans sourciller et sans difficulté, avant même que les hommes n’aient eu le temps d’intervenir. L’Aspalan voit qu’à présent Nasrul est intensément concentré à guetter le moindre mouvement qu’il lui viendrait à l’idée de tenter : « un mauvais geste, même imperceptible, et je suis mort ! ». C’était une évidence, si bien qu’avec une infinie lenteur, et sans quitter Nasrul des yeux, l’Aspalan leva le bras pour faire signe à ses hommes de libérer les Sils. Nasrul continue de fixer son adversaire, tandis que d’un geste de la main il fait signe à Oramûn de se rapprocher. Ôm, cependant, rejoint Nïmsâtt, accompa­gnée par Ferghan qui, se ravisant, se met dans les pas d’Oramûn pour se poster près de lui, aux côtés de son père. La scène n’est toutefois pas achevée, car Zaref va s’insurger contre la situation. Lui ne se laissera pas impressionner par Rus Nasrul, et il apostrophe ainsi le chef de la bande :

— Depuis quand un chef Aspalan se laisse-t-il humilier par un adversaire qui n’a pour lui ni le nombre ni la force ? Depuis quand prends-tu tes ordres d’un vaincu, un prisonnier qui n’a même pas eu le courage de se libérer et qui, maintenant, se met comme un chien au service des anciens ennemis ? Depuis quand…

Mais la phrase fut interrompue par le revers d’une main, celle d’Oramûn, qui vint gifler violemment le visage de Zaref ; et avant même que ce dernier n’eût le temps de se relever, Ferghan était sur lui, couteau sorti, le tranchant posé sur sa gorge, comme si le fils n’attendait qu’un signe du père pour accomplir le geste. Mais Oramûn, qui a l’esprit pra­tique, fit comprendre à Ferghan qu’il vaudrait mieux suspendre l’exécution jusqu’à ce que les Aspalans quittent les lieux. Une fois qu’ils se seraient tous retirés et suffisamment éloignés du village, on relâcherait Zaref. Enfin, peut-être. De toute façon, ces hommes, bien que scélérats, ont encore trop de fierté pour revenir sur la reddition qui venait d’avoir lieu. Ils voient que Rus Nasrul par son sang-froid vient de l’emporter dans la confron­tation. Ce serait faire offense à leur chef que de lui octroyer mauvaise réparation par une action à trente contre trois. En silence, les Aspalans détachèrent les Sils malgré les regards furieux que leur jetait Zaref (qui, cependant, n’ouvrait plus la bouche), et c’est à ce moment que l’équipe de Rus Nasrul, une vingtaine d’hommes aguerris, parvint aux abords du village. Prestement et sans bruit, chacun prend position, les arbalètes déjà pointées sur les bandits. Il est clair que la première volée de flèches pourrait avoir raison de la moitié d’entre eux. Le chef de la bande rencontre le regard de Zaref, mélange de rage contenue et d’impérieuse supplique, où se lit l’attente d’être libéré. L’Aspalan, par un geste expressif de simple forme, quête auprès d’Oramûn l’autorisa­tion de reprendre Zaref. Il reçoit une fin de non-recevoir, puis il se tourne vers son vainqueur, afin de savoir si sa troupe et lui peuvent repartir sans être inquiétés. Nasrul reste de marbre. Seuls ses yeux signifient qu’ils sont invités à déguerpir au plus vite. Les Aspalans de Zaref obtempèrent sans se faire prier, toujours ciblés par les arbalètes.

Nïmsâtt se porte à la rencontre des trois « héros », mais c’est d’abord vers Zaref qu’elle se dirige jusqu’à presque le toucher. Elle le toise d’une expression indéchiffrable, puis lève les yeux vers Rus Nasrul. Son cœur bat fort, une émotion non ressentie auparavant. Elle entend à peine les mots de présentation prononcés par Ferghan. L’émotion s’accroît encore, lorsqu’elle entend cette voix dont la cha­leur contraste avec le glacé du regard, et presque par surprise elle est submergée par la passion d’être à lui.

 

 

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