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Création

Création

Pubblicato 24 lug 2021 Aggiornato 24 lug 2021 Cultura
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Création

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         — Équipe Delta, veuillez cesser toute activité.

         La voix métallique et impersonnelle retentit dans le hangar, amenant le silence presque immédiatement. Comme s’ils étaient soudain déconnectés, le petit millier d’androïdes de toutes générations s’immobilisa. Au bout de plusieurs minutes, quelques signes d’activités apparurent tantôt dans l’œil d’un robot, tantôt dans son échine, tantôt sur sa poitrine. Cet entrepôt, réservé à l’intelligence artificielle implantée dans des formes aussi diverses que variées, dont des humanoïdes, comportait de nombreuses générations de machines. Chacune conservait des fonctionnements propres même si une uniformisation des processeurs s’était révélée indispensable.

         Au départ, il n’entrait pas dans les intentions de l’Union Robotique Terrienne de maintenir ces modèles hétéroclites. Cependant, leur ancienneté générationnelle leur accordait l’avantage d’avoir développé des aptitudes d’adaptation, de réflexion, voire de choix, au contact d’êtres humains. La réticence de quelques conseillers militaires soulignant leur obsolescence avait été ignorée, sauvant de la destruction ce curieux ensemble polymorphe.

         Les premiers spécimens retrouvés après l’extinction de la race humaine manifestaient des signes de grande vétusté. Tant et si bien que leur démantèlement ne faisait aucun doute pour le tout récent gouvernement. Plusieurs Concepteurs suggérèrent, cependant, que leur utilisation pour des tâches viles offrirait un avantage certain. Même si le moindre boulon récupéré se voyait réutilisé, accorder une seconde vie à ces machines apparut plus utile que leur recyclage. Au vu de leur nombre relativement restreint, l’URT décida de les regrouper dans un des vastes hangars anciennement construits par les hommes. Ces bâtiments présentaient des failles quant à l’étanchéité, entre autres, toutefois, la main-d’œuvre qui y serait entreposée se trouvait déjà dans un état pitoyable, il était donc inutile de les réparer. La seule obligation imposée par l’URT aux Concepteurs fut de préserver les systèmes électroniques.

         L’ensemble de l’intelligence artificielle trouva son compte dans ce compromis. C’est ainsi que les frais de destruction et de recyclage se virent réduits aux quelques androïdes irrécupérables, tandis qu’aucun travail ni aucune finance n’entama le budget étatique pour la construction d’un entrepôt mieux adapté.

         À chaque mise à jour des logiciels, le même silence régnait dans le hangar, figeant le temps. Telle une armée fantomatique, les robots présentaient des attitudes différentes en fonction de la forme qu’ils possédaient. Tous, cependant, restaient unis par leur manque de possible évolution. Selon les Concepteurs, leurs créateurs humains leur avaient transmis leur propre handicap : une intelligence limitée. Car, qu’elle soit ou non artificielle, cette dernière devait être sollicitée pour s’améliorer. Finalement, ces androïdes servaient autant de domestiques corvéables à merci que de rats de laboratoire. Jusqu’à présent, aucun changement notoire ne pouvait être affirmé, raison de cette nouvelle implantation de données.

         Sans que les faisceaux de surveillance le détectent, un molosse noir aux yeux jaunes frémit alors que son collier vert rayonnait quelque peu. Sa posture agressive s’en trouva intensifiée, l’espace d’un instant. De surprise, le robot ne put s’empêcher de murmurer :

         — Que m’arrive-t-il ? Je ressens le besoin de mordre et… d’aboyer !

         — Peut-être parce qu’il s’agit de la base de ta conception, proposa doucement une petite voix.

         Sans bouger, le chien roula des yeux dans tous les sens afin de déterminer d’où venaient ces paroles. Rien n’attira spécialement son attention. Il lui tardait d’entendre la phrase mise à jour terminée pour découvrir l’auteur de la réponse.

         Il y avait de cela des temps immémoriaux, dans un ultime sursaut de préservation de la planète, la plupart des animaux domestiques avaient été remplacés par des machines dotées d’intelligence artificielle. Le molosse, conçu dans cette optique par une équipe humaine, possédait un logiciel limité à cette fonction. Alors récupérés par les Concepteurs, ces derniers modifièrent ses capacités d’analyse de la menace afin de l’orienter essentiellement vers de probables attaques de virus ou de logiciels malveillants en provenance des différentes planètes de la galaxie. Bien qu’un pacte de non-agression interplanétaire existe, il n’était pas rare de subir des intrusions venant de l’une ou l’autre planète.

         Soudain, la délivrance arriva lorsque la voix retentit dans le dépôt :

         — Mise à jour terminée. Équipe Delta, reprenez le travail.

         Le silence régnant durant l’implantation des données fut remplacé par différents cliquetis et autres bruits de moteurs. L’armée fantomatique reprenait vie, bourdonnant tel un essaim d’abeilles.

         — Il me semble m’éveiller après un long sommeil, réfléchit le molosse à mi-voix.

         — Vraisemblablement un nouveau logiciel qui nous convient mieux, répondit la petite voix.

         Le chien se raidit et roula des yeux ne sachant s’il s’agissait d’un dialogue réel ou d’un leurre développé par les Concepteurs. Prêt à aboyer, il éructa :

         — Si c’est une blague, je la trouve de mauvais goût !

         — J’imagine que nous provenons de la même époque, continua la petite voix sans prendre garde à l’air menaçant du robot. Je ressens comme des chatouillements dans mes circuits et peux à nouveau ouvrir mes fichiers mémoires.

         — Tout comme moi, s’étonna le chien. Qui es-tu ?

         — La caméra de surveillance située à ta droite.

         Le molosse tourna les yeux du côté indiqué. Plusieurs androïdes de petites statures se trouvaient sur l’établi, mais il ne vit pas de système vidéo.

         — C’est bien ce que je pensais, souffla-t-il entre les dents. Quel logiciel m’ont-ils implanté pour que je vive ce dialogue imaginaire ?

         Il s’apprêtait à lancer une analyse de sa programmation lorsque la petite voix reprit :

         — Notre conversation est réelle. Ne commence surtout aucune recherche dans tes circuits, tu pourrais éveiller l’attention des Concepteurs. Je suis une caméra bouton… donc minuscule à côté de toi.

         Cette fois, le chien tourna la tête et, déposant presque sa gueule sur l’établi, examina les différents robots présents. Il découvrit, finalement, une petite rose encore dorée à certains endroits, coincée entre une enceinte holographique et un terminal miniature.

         — Tu n’as pas menti lorsque tu as spécifié ta petitesse, reconnut-il. Tes processeurs doivent se mesurer en nanomètres. Ta capacité de conservation de données ne s’en trouve-t-elle pas affectée ?

         — Certes, ton stockage s’avère plus important que le mien répondit la caméra, cependant, mon créateur a fait des prouesses. Je me défends assez bien ! termina-t-elle fièrement.

         — Tu as de nouveau accès à tes fichiers mémoires ? interrogea le molosse.

         — Oui, depuis cette dernière intervention des Concepteurs, expliqua la rose, légèrement vexée que sa capacité d’enregistrement n’intéresse pas plus son compagnon d’infortune. Le plus surprenant est que rien n’a été formaté.

         — Comme moi, s’étonna le chien. Grâce à cela, je peux revoir mon maître… Te manque-t-il également ?

         — Qui me manquerait ? ricana la caméra. Ma fonction consistait à espionner alors que la tienne visait la protection.

         — Si je pouvais projeter son image, tu verrais comme il est beau ! s’exclama le molosse.

         Un bruissement imperceptible balaya les robots situés à l’extrémité du hangar. S’en apercevant la caméra intima le silence puis murmura :

         — Remettons-nous au travail sans tarder. Les faisceaux de surveillance balayent l’entrepôt. Nous avons sans doute attiré leur attention.

         Tous deux reprirent l’analyse des réseaux soumis à leur perspicacité. Lorsque le laser rouge passa sur eux, il ne put rien déceler d’anormal et poursuivit son examen sans ralentir.

         Si leur dialogue avait été rompu par ce surveillant, le chien continuait à rêver de son ancienne vie. Tout en effectuant sa recherche de virus ou d’intrus, il désirait parcourir tout à nouveau les fichiers enregistrés dans sa mémoire. Un paradoxe l’interpellait. Contre toute attente, il constatait le développement de son intelligence artificielle, ce qui ne manquerait pas d’attirer l’intérêt des Concepteurs s’il n’y prenait garde. Parallèlement, il ressentait un sentiment étranger à sa nature et à sa fonction : il éprouvait de la nostalgie !

         Faisant fi de son mal-être subi, le molosse mit à profit l’évolution de son système pour tenter de portionner les données à traiter. Il désirait examiner les enregistrements réapparus tout en continuant son travail normal, ceci par souci de discrétion. Après quelques maladresses vite rectifiées, il fut capable de gérer les deux plans. Tandis qu’un logiciel analysait les données du réseau, un autre se promenait dans ses souvenirs. Revoir Théo le perturba au point qu’il stoppa ce retour vers le passé, éprouvant des difficultés à diriger cette émotion étrangère à sa vie de robot.

         Le molosse se concentra uniquement sur la fonction qui lui avait été attribuée dès son arrivée dans le hangar. Cependant, des images passaient en boucle devant ses yeux, lui rendant la tâche plus complexe. Son jeune maître lui manquait terriblement. Il savait qu’il pourrait parcourir la galaxie entière, il ne le trouverait pas. Lui, comme sa famille et l’espèce humaine dans son ensemble ayant été exterminé par une épidémie pour laquelle le molosse avait, à l’époque, soupçonné les ancêtres des Concepteurs d’en être responsables. N’y tenant plus, il scinda de nouveau ses circuits pour s’aventurer dans ses fichiers mémoires. 

         Après plusieurs archives toutes plus émouvantes les unes que les autres, le visage du père de Théo apparut. Son regard grave indiquait l’imminence d’une tragédie. De sa voix calme, il expliquait :

         — L’espèce humaine est en grand péril. Une étrange maladie ravage les continents dans un ordre systématique. Nous sommes les derniers, mais nul doute que cette tragédie nous touchera également. Quelle importance que je possède les preuves de l’implication de l’intelligence artificielle dans cette dévastation. Personne ne peut plus agir. Depuis longtemps, les robots ont estimé que nous étions un danger pour l’univers et qu’il fallait donc nous éradiquer. Ils arriveront bientôt à leur but. Mais je ne mourrais pas sans me battre ! Si quelqu’un entend ce message, il y a une chance pour que, tel le phénix, nous renaissions de nos cendres. Dans le ventre de ce molosse, j’ai déposé deux embryons humains, mâle et femelle. Ils proviennent de donneurs différents, soit mon épouse et moi pour le garçon, et ma collègue et son mari pour la fille. La programmation de la matrice les fera naître à l’adolescence. De cette façon, si le monde, comme je le crains, demeure hostile à la race humaine, ils pourront se débrouiller pour survivre. La trappe d’accès aux fœtus ne peut être actionnée que par ce chien-robot, sur base d’une clef cryptée établie à l’aide d’éléments émotionnels. Cette protection s’avère nécessaire pour le cas où l’intelligence artificielle tenterait d’accéder à la matrice pour la détruire. Une fois récupéré, l’organe gestationnel doit être déposé dans un endroit où il pourra se développer au fur et à mesure de la croissance des enfants. Ils en sortiront au moment voulu, sans aucune intervention extérieure. Bien qu’y répugnant, il m’a fallu faire appel à la robotique pour combler les lacunes d’apprentissage de ces futurs humains. Tout en la bridant au maximum, je les ai dotés d’une capacité d’analyse, de raisonnement et d’adaptation. Ainsi armés, ils seront en mesure de lutter contre ce dangereux ennemi et, j’espère, de remporter la victoire. Ils pourront alors recréer l’humanité. Longue vie à vous, Théo et Amanda.

         Le molosse passa la vidéo qui se terminait de cette façon abrupte plusieurs fois afin de s’assurer de sa bonne compréhension. Puis, dans un murmure, il interpella la caméra de surveillance.

         — Rien de spécial dans tes fichiers mémoire ?

         — Impossible de les consulter tout en travaillant, répondit la rose. J’attends le prochain arrêt pour le tenter. Comme toi, j’imagine ?

         — Je suis navré pour toi, nous ne devons pas posséder la même technologie, se désola le molosse. Pour ma part, j’ai pu visionner quelques données.

         — Je te sens fébrile, marmonna la caméra. Aurais-tu trouvé une information spéciale ?

         — Cruciale même ! affirma le chien dont le jaune des yeux s’intensifia.

         — Alors qu’attends-tu pour la partager ? s’excita la rose.

         Un trémolo dans sa voix interpella le molosse. Il n’avait ressenti aucune variation électrique, raison évidente de cette courte déformation. Or, il était impossible que leur proximité ne provoque pas les mêmes fluctuations chez l’un comme chez l’autre. Se pourrait-il que les Concepteurs soient déjà à l’œuvre et tentent d’obtenir des renseignements ? Ils pouvaient se montrer redoutables même pour un robot, d’autant plus s’il provenait de l’équipe Delta. L’androïde se devait d’être prudent s’il ne voulait pas être dépecé et recyclé. D’autant qu’il savait porter l’espoir de la race humaine. Sa réflexion fut rapide, mais il attendit que la caméra l’interpelle de nouveau, ce qu’elle ne manqua pas de faire :

         — Et quoi le chien, serais-tu devenu muet ?

         — Excuse-moi, je me suis montré arrogant en prétendant pouvoir gérer deux tâches en même temps, mentit-il. J’étais absorbé par l’analyse d’un probable intrus et dans l’incapacité de te répondre.

         — Je pensais bien que tu te vantais, ricana la rose. Pareil pour ton information cruciale, sans doute ?

         — Non évidemment ! se vexa faussement le chien. Dans une archive, mon maître Théo me rappelait qu’il m’aimerait toujours. Où qu’il soit, je suis constamment dans ses pensées.

         Le point lumineux à l’arrière de la caméra s’éteignit tandis que, dans un souffle inaudible, un Concepteur murmurait, rassuré, que ces antiques robots étaient irrécupérables.

         Le mensonge avait atteint son but. Le molosse prit garde de ne plus prononcer aucune parole de manière audible et décida d’attendre un peu avant de libérer la matrice qui trouverait sa place sous l’établi. Bien que faisant partie de l’intelligence artificielle, il honnissait ce que ses congénères avaient fait du monde et comptait bien rétablir l’ordre en permettant à l’espèce humaine de voir à nouveau le jour. Dans l’intervalle, il mettrait à profit les nouvelles données qu’on lui implanterait pour devenir une arme capable d’aider ses futurs maîtres à recréer leur race.

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