Panodyssey - Chapitre 3 - Ludivine Lhortolary

Je passe la porte qui mène aux appartements des femmes, et me retrouve dans un long couloir blanc, ressemblant horriblement à celui d’un hôpital …

Je regarde le numéro inscrit sur ma clef : 77. Et, bien évidemment, le numéro le plus proche de la porte est le n°1.

Je longe donc ce couloir angoissant, et après quinze minutes supplémentaires, je trouve ma chambre qui se trouve être la dernière. Il n’y a aucun autre appartement en face du mien, comme s’il venait tout juste d'apparaître. Ce qui ne me surprendrai qu’à moitié.

Je me mets face à la porte.

C’est bête, mais j’angoisse. Je me dis que si je passe le pas de cette porte, toute cette situation deviendra réelle.

Je prends mon courage à deux mains, glisse la clef magnétique dans la porte et l’ouvre en grand.

Sans même regarder à l'intérieur, je rentre vivement et claque la porte d’entrée. J’y pose mon front. Ma respiration est rapide, ma tête tourne et je sens la bile remonter le long de mon oesophage. La crise de panique tant redoutée est là ! Je tombe à genoux et mes larmes coulent le long de mes joues. Mes sanglots se font bruyants et tout mon corps est secoué de terribles tremblements.

Je ne sais pas combien de temps ma crise a duré mais quand je me relève mes genoux sont douloureux et ma tête tourne.

Je me retourne et regarde enfin l’appartement qui m’a été alloué.

Il est grand et lumineux. On arrive dans une entrée ouverte sur le salon. Il y a une porte à gauche qui donne sur une salle de bain comportant une douche, un lavabo avec miroir, et deux armoires.

La porte à droite dans l’entrée donne quant à elle sur un toilette avec lavabo et un meuble bas.

J’entre dans le salon et y découvre des meubles aussi blancs que ceux de la salle de bain et des toilettes. Le pire est que le mobilier est en accord avec le blanc des murs, du sol et du plafond. Je vais finir par faire une overdose de blanc …

Un canapé et un fauteuil sont tournés vers le coin gauche juste à côté de moi. Ils font face à un écran géant qui, étrangement, est lui aussi blanc.

Toujours à gauche, mais au fond de l’appartement et juste à côté des fenêtres, se situe un espace bureau dont je tombe immédiatement amoureuse ! J’y dépose les documents que je regarderai plus tard.

La partie droite de l’appartement est séparée de la gauche par une immense arche, donnant sur la salle à manger du côté fenêtres, et une cuisine fonctionnelle ultra-moderne.

Là encore tout est maladivement blanc !

Heureusement que la gigantesque baie vitrée laisse passer une douce lumière orangée qui réchauffe l’atmosphère.

En m’approchant des fenêtres de la partie salon, je m’aperçois qu’il y a un balcon. Je cherche la poignée mais au moment où j’effleure la vitre celle-ci disparaît ! Je traverse et me retrouve devant une vision enchanteresse.

Mon appartement donne sur la partie extérieur de l’Académie. J’ai donc vue sur le gigantesque parc qui entoure le bâtiment : un parc avec jardins, lacs et une forêt immense !

Au delà apparaît ce qui ressemble à une cité. Une cité futuriste faite de verre et d’acier.

Me détachant de ce paysage, je me souviens de l’insistance d’Héliel pour que je “lise attentivement” les brochures qu’on nous a remis.

Je rentre dans l’appartement et m’installe dans la partie bureau.

La première brochure que je prends parle de l’Académie.

Cette dernière se situe dans l’espace qui sépare Eden à Shéol, et fut créée juste après le Déluge dans le but d’éviter qu’Anges et Démons ne refassent les erreurs des Déchus.

Jusque là, c’est assez clair. Mais je ne trouve aucunes références au sujet de ces soi-disant "erreurs".

Je suis curieuse de nature et j’adore faire des recherches ! C’est bien pour ça que j'étais une antiquaire spécialisée dans les documents anciens. Chercher les faits du passé est une nature profonde chez moi. Ne pas trouver les réponses à mes questions me frustre, mais je finirais par les avoir.

En continuant à lire la brochure j’en apprend plus sur les cours et les professeurs.

Durant la première année je vais devoir suivre les cours obligatoires dispensés par les Anges : Langue, Droit, Economie et Politique. J'apprends en même temps que la langue officielle des Anges est l’énochien. Drôle de nom …

La deuxième année, en plus des bases obligatoires, je vais devoir choisir quatres cours optionnels. Les noms me rappellent un univers bien différent de celui qui est devenu le mien : Botanique, Sortilège, Potion … La seule qui me semble gérable s’appelle “Les Humains”. Elle va me plaire celle-là ! Et je suis sûr d’avoir la moyenne …

La dernière année est plus mystérieuse. Il est simplement écrit : Stage en entreprise. Si c'est comme sur Terre, ça promet ! J’ai encore le goût amère d’un BTS Design d’espace loupé à cause d’un stage que je n’ai jamais pu faire …

Les noms des professeurs sont assez … exotiques ! Mais ils me semblent familiers : Selaphiel, Sitael …

Je mets de côté cette brochure et passe à la suivante. Je me rends vite compte qu’il s’agit en réalité de plusieurs formulaires administratifs.

En les feuilletant rapidement, je tombe sur un morceau de papier qui ne me semble pas à sa place.

Je le prends, et au même moment apparaissent des mots écrits à la main et à l’encre noire :

NE CROIS JAMAIS CE QU’ILS DISENT

Le temps que je comprenne, le message se dissout comme s’il était fait de sable.

Voilà qui me laisse songeuse. Songeuse et perplexe.

Qui a eu l’idée de mettre ce papier ici ? Si c’est un canular, c’est franchement mauvais ! Mais si c’est une vraie mise en garde … Contre quoi ? et qui ? Qui a écrit ce mot ? De qui dois-je me méfier ?

C’est en train de me rendre folle ! Et ma paranoïa se réveille.

Je quitte le bureau et passe dans la salle de bain pour me passer un peu d’eau sur le visage. En me regardant dans le miroir, je découvre une tête à faire peur. J’ouvre le premier tiroir du meuble situé sous le lavabo dans l’espoir de trouver une brosse. Bingo !

J’ai vu qu’il y avait un miroir en pied dans l’entrée, du coup je peux voir que le désastre ne se limite pas qu'à mes cheveux… Un bon coup de brosse et je réarrange un peu mes vêtements gris dans l’espoir de ne pas ressembler à quelqu'un qui vient de passer sous un bus.

Oups … mauvais choix de mots ! Il va falloir que je fasse attention aux expressions que j’utilise.

Je repose la brosse dans le tiroir de la salle de bain quand j’entend quelqu’un frapper énergiquement à la porte d’entrée. Ça doit être la “Conseillère”.

J’ouvre prestement la porte et tombe sur une jeune femme, ronde, un teint de porcelaine et une chevelure rousse flamboyante. Son sourire lui mange la moitié du visage quand elle me voit, lui donnant des fossettes.

-Bonjour ! Je m’appelle Ava ! Je serai ta Conseillère durant le temps de ton intégration ! Je peux entrer ? , me dit-elle à une vitesse qui me laisse pantoise.

-Euh … oui bien sûr, fis-je en s'écartant.

Elle rentre d’un pas léger et rapide, et s’installe sur le canapé.

Je ferme la porte et la rejoins dans le salon, mais je choisis de m’installer dans le fauteuil plutôt qu’à côté d’elle. Je préfère garder un peu d’espace, on ne sait jamais …

-Bien, commence-t-elle, avant d’entamer le jeu de questions/réponses, je vais commencer par me présenter. Comme je te l’ai dis je m'appelle Ava. Je vais commencer ma dernière année chez les Anges, et je suis trop contente qu’on m'ait désignée Conseillère ! Je vais pouvoir te guider, te conseiller, t’apprendre tout ce que je sais !

Son exubérance tranche avec la froideur d’Héliel. Elle continue en me parlant des trucs et astuces pour parcourir l’Académie (sérieusement : un téléporteur !!! je suis en pleine extase !), le tout en faisant de grands gestes et en continuant à sourire comme si Joie de Vivre était son surnom. Elle parle comme ça pendant presque une demie heure quand subitement, elle s’arrête.

-Désolée, me fit-elle contrite. Je parle trop quand je suis nerveuse ou heureuse. Et là … je suis les deux.

-Non ! Non, ne t’inquiètes pas ! C’est juste que … tu es diamétralement à l'opposé de l’idée que je me faisais des Anges.

-Comment ça ? Quelle idée ?

-He bien, tu es pleine d’entrain, tu souris … enfin, tu es l’exact opposée d’Héliel …

-Oh ! Oh c’est pas vrai ! C’est Héliel qui t’a amené ici ? Donc, tu es née humaine ? Enfin, je m’en fiche hein ! Même si ça risque de poser problèmes à certains, cela étant.

Mais Héliel … J’imagine sans peine que la première impression à été plutôt froide …

-Plutôt oui … dis-je en repensant à l'attitude glaciale et hautaine de l’Ange.

-Sache, reprend Ava, que tous les Anges sont loin d’être comme elle. Il y en a, bien sûr, mais la majorité sont plutôt cool.

Elle me sourit puis se réinstalle bien droite dans le canapé.

--Donc, commençons les questions/réponses. D’abord, as-tu lu les brochures ? me demande-t-elle.

Je repense au mystérieux mot glissé dans les formulaires et me demande si je dois lui en parler. Mais ma tendance paranoïaque reprend le dessus et je me dis qu’on ne sait jamais, les apparences peuvent être trompeuses.

Je lui répond donc que oui, j’ai lu la brochure sur l’Académie et vaguement parcouru les formulaires à remplir.

-Parfait ! s’exclame Ava. On va donc pouvoir mettre de côté le cours d’histoire pour le moment et se concentrer sur les formulaires, qui doivent être rendus au plus tard demain. Oui, je sais que c’est court, mais je suis là pour t’aider, me rassure-t-elle.

Je me lève pour récupérer le dossier contenant les formulaires et reviens dans mon fauteuil pour l’ouvrir sur la table basse.

La liste des formulaires est assez courte, et ressemble énormément à tout ce qu’on peut trouver dans une université humaine : carte d’accès, badge du complexe sportif, et carte de transport.

Ava m’apprend que la carte d’accès me servira pour énormément de choses comme les cours, les ascenseurs, la cantine ou encore la bibliothèque.

Le dernier papier du dossier n’est pas un formulaire mais une liste de choses à faire et à récupérer avant le début des cours qui aura lieu dans un peu plus de deux semaines, au 1er septembre.

Je relève la tête et regarde Ava :

-Le 1er septembre ? C’est impossible, j’ai quitté Paris en juin !, je m’exclame.

-Ca n’a rien de surprenant, me réplique Ava. Tu apprendras que le temps est une notion fluctuante ici, surtout par rapport au monde des mortels. Par contre on est sur la même longueur temporale que Shéol !, me dit-elle avec un sourire qui doit être là pour me rassurer.

C’est raté …

Les formulaires remplis, je commence à poser quelques questions à Ava. Je commence doucement en lui demandant si je peux changer la couleur de mon appartement. A ma grande joie, elle m’apprend que oui ! Elle m'amène à une sorte de panneau de contrôle situé sur un mur près de la télévision et m’explique comment faire pour changer les couleurs mais aussi le mobilier. Je suis en pleine science-fiction, et j’adore ça ! Enfin un côté positif à ma disparition.

Ne voulant pas me lancer dans la décoration de l’appartement tout de suite, je continue à interroger ma Conseillère.

Et j’aborde un sujet qui me tient particulièrement à cœur, et dont je suis sûr que vous vous êtes aussi posé la question : où est mon lit ??

Ava éclate de rire et me ramène à la console.

-Regarde, tu vois l’icône ici ? Tu appuies dessus et … TADAM ! un lit apparaît ! s'exclame-t-elle en continuant à rire.

J’étais tellement déboussolée que je n’ai même pas fait attention au fait que le lit était au plafond. En appuyant sur l’icône désignée par Ava, le lit descend le long du mur et se place entre le côté salon et le bureau. Pratique !

Après avoir remonté le lit, on se réinstalle dans le salon et je continue à questionner Ava. Ce coup ci je passe sur les zones interdites de l’Académie.

Ava devient plus sérieuse, et me regarde intensément.

-Il n’y a pas de zones à proprement parler “interdites”, m'explique-elle. Mais certaines sont fortement déconseillées aux Anges. La plus logique est la zone d’habitations réservée aux Démons. Comme les Démons ne doivent pas mettre les pieds chez les Anges sous peine de bagarres, c’est évident qu’il se passera la même chose si un Ange va chez les Démons.

Là où il faut faire le plus attention c’est le parc et le restaurant universitaire. Les zones sont délimitées depuis bien longtemps et elles sont farouchement gardées par les deux camps. T'asseoir, au restaurant, dans la zone contrôlée par les Démons pourrait te causer de gros problèmes ! Idem dans le parc, tu te rendras vite compte qu’il est divisé en deux. Quand tu sors de l’Académie, avec l’entrée dans ton dos, la partie droite est sous contrôle angélique tandis que la partie gauche est démoniaque.

Incroyable ! J’ai l'impression d’être dans le cliché de la prison américaine ! C’est un lieu où on est censé apprendre à maîtriser nos nouveaux dons mais j’ai comme l’impression de me retrouver au milieu d’une gueguerre digne d'une écoele maternelle.

J’en arrive donc à poser ma question principale à Ava.

-Dis moi, c’est quoi les "erreurs" des Déchus évoquées dans la brochure ?

Elle me regarde, toujours sérieuse. Mais je sens une pointe de nervosité dans son attitude. Elle se lève du canapé et commence à marcher le long de la partie gauche de l’appartement. Elle triture ses mains au point que j’ai l’impression qu’elle va finir par y faire des nœuds. Je suis prête à lui dire que ce n’est pas grave, si elle ne préfère pas en parler, quand elle me fait brusquement face.

-Que sais-tu du Déluge ? me demande-t-elle.

-Eh bien, pas grand chose. Je ne croyais pas en la vie après la mort ou encore aux Anges ou aux Démons, alors je me suis contentée du stricte nécessaire.

-C’est-à-dire ?

-Dieu en a eu assez de l’humanité, de son orgueil, de sa vanité, de sa cruauté. Du coup il décida d’exterminer l’espèce humaine. Toutefois, par attachement à sa création, il permit à Noé de créer une arche pour lui et sa famille, ainsi que pour un couple de chaque espèce animale.

Après quarante jours et quarante nuits, l’eau se retira et Noé put retrouver la terre ferme pour lui et toute l’arche.

Ava me regarde en fronçant les sourcilles. Elle donne l’impression d’avoir avalé un citron, ce qui m’inquiète.

-Ce n’est pas tout à fait exact, me lance-t-elle. Ou plus précisément, il manque le début. Très bien, je vais te raconter ce que je sais, fit-elle en se rasseyant. Bien avant le Déluge, notre Père, celui que les humains nomme Dieu, peut importe la langue, a confié la garde de l’évolution de l’homme à une poignée d’Anges. Malheureusement, certains d’entre eux se sont … acoquinés avec des femmes humaines. Le fait en lui-même était déjà suffisamment grave mais le pire était que de ces “unions” sont nés des enfants. Ces hybrides, que certains sur Terre ont nommé Nephilim, étaient puissants. Dès leur plus jeune âge, ils étaient capables de choses extraordinaires. Mais en grandissant, ces êtres n’ont pas gagné en sagesse, loin de là ! Ils sont devenus plus brutaux, et ils ont poussé les humains à se rebeller contre notre Père. Excédé par les brutalités et la méchanceté croissante, Père n’a pas eu d’autre choix que de provoquer le Déluge.

La suite est proche de ce que tu m’a dis, même si en réalité tu te doute bien qu’il n’y a pas eu qu’une seule arche.

Son sourire en me disant cette dernière phrase me fait comprendre qu’elle essaye d'alléger une atmosphère devenue lourde.

Je ne veux pas insister de trop mais je lui pose quand même la question qui m’est venu à la fin de son récit.

-Juste pour savoir, tous les Nephilim ont été détruit du coup ? Et qu’est il arrivé aux Anges qui ont provoqué tout ça ?

-La majorité des Nephilim sont morts lors du Déluge mais certains ont survécu. Ils ont donné naissance à des créatures très connus sur Terre : vampires, changeformes, faë. Tous sont des descendants des Nephilims. Quant aux Anges, avant même le Déluge, Père les avaient banni d’Eden, en faisant des Déchus. Et je suis sûr que tu en connais au moins un : Lucifer.

Je n’en reviens pas. Des Anges, des Démons, l’Enfer et le Paradis, et maintenant on m’annonce la bouche en cœur que les vampires et autres créatures fantastiques existent.

Ma tête doit parler pour moi, car Ava me regarde avec compassion et me dit :

-Je sais que ça fait beaucoup, voire trop. Mais au moins maintenant, tu as les bases. Tu as le reste de la journée et la nuit pour assimiler tout ce que je viens de te dire. Mais à partir de demain, il faudra que tu sois d’aplomb. Car il y a encore beaucoup de choses à faire et à apprendre.

Je viendrais te chercher à 8h. On ira prendre le petit-déjeuner ensemble et ensuite on ira déposer tes formulaires au service étudiant.

Elle se lève et se dirige vers la porte. Je la suis comme un automate. En sortant de l’appartement elle se tourne vers moi et me dit :

-Va te reposer. Tu en as besoin.

Elle referme la porte et me laisse seule dans l’appartement, la tête encombrée de faits invraisemblables et de questions innombrables.

Me reposer … Elle en a de bonnes ! Et dire que demain, on recommence.