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Le jour d'après...

Le jour d'après...

Pubblicato 6 mag 2020 Aggiornato 28 set 2020 Imprenditorialità
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Le jour d'après...

Texte coécrit avec Frédéric Munier et Philippe Poyet, pour Auteurs de Vue.

« Nous ne savons pas ce qui nous attend sinon que, d'après ce que nous avons déjà vu ce sera sans doute coton. Tâchons d'être à la hauteur des événements ». L’auteur de cette maxime n’est pas Emmanuel Macron, mais Jean Giono, relatant dans Le hussard sur le toit la terrible épidémie de choléra qui décima Manosque et sa région en 1832. Troublante, l’injonction finale nous ramène à l’actualité. Que signifie, aujourd’hui et surtout demain, « être à la hauteur des événements » 

Arrêt sur image

Confrontées au tragique de l’histoire, alors qu’on nous avait prédit sa fin, nos sociétés sont bousculées par la pandémie et les hiérarchies sociales semblent renversées : les aides-soignants, les éboueurs, les manutentionnaires et les caissières s’avèrent socialement beaucoup plus utiles que les cadres en télétravail.

Contraints à la réclusion, à la nécessité de justifier nos mouvements, nous mesurons, un peu plus chaque jour, le privilège, rare sur la planète et récent à l’échelle de l’histoire, de pouvoir nous mouvoir sans rendre de comptes.

Corsetés dans nos appartements, nous comprenons que le mouvement et le brouhaha incessants de nos quotidiens peuvent s’arrêter, brutalement, transformant les grandes fourmilières urbaines en villes fantômes.

Hébétés devant la pénurie de masques, de principes actifs pour les médicaments, nous redécouvrons les vertus des stocks et de la production nationale que la globalisation estimait préjudiciables à l’optimisation des coûts. Les apôtres de la fragmentation de la chaîne de valeur ne nous expliquaient-ils pas que la concurrence entre sous-traitants permettait d’intervertir les pièces du Lego mondial, pour éviter toute discontinuité dans les approvisionnements ?

Cette narration se révèle aujourd’hui être une fable : à trop vouloir éliminer les doublons et à systématiser le juste-à-temps, en postulant l’infaillibilité de nos logistiques, nous nous sommes rendus vulnérables : qu’une infime partie de la chaîne déraille et, soudain, la cinétique mondiale cesse.

 

Jeu d’échelles pour une meilleure coopération

La crise était pour les Anciens le moment du jugement, du choix décisif.  A notre tour, alors que les nuages s’amoncellent sur l’économie mondiale et que l’orage menace les plus fragiles, il nous incombe de saisir cette épreuve comme un moment décisif pour repenser l’échelle d’action la plus efficace.

La gestion de la crise par l’OMS et l’égoïsme des nations ont révélé les carences du multilatéralisme et la nécessité de le renforcer. Plutôt que de se dégager de ces institutions internationales, redonnons-leur l’indépendance nécessaire à leur action.  L’opinion publique mondiale a su imposer dans l’agenda des sommets internationaux les questions de l’environnement et de la santé. Une gouvernance mondiale de ces biens publics est à inventer. Sans naïvement céder au fantasme de valeurs partagées par tous les citoyens du monde, reconnaissons que nul État, même le plus autocratique, ne peut faire fi de cette demande de sécurité. Le fait est inédit, il s’agit d’un remarquable progrès.

L’Union Européenne n’a pu masquer ses fêlures : trop compliquée dans son fonctionnement, trop étriquée dans ses prérogatives, elle a peiné, impréparée, à se mettre en ordre de bataille. La voir comme un problème n’empêche pas de l’imaginer comme une solution. Profitons de la crise pour identifier nos vulnérabilités : la dépendance énergétique ; la santé ; le vieillissement ; la captation de nos données numériques et de nos biens symboliques. Face à une Chine en proie à l’hubris et à des États-Unis sur la défensive, l’Europe doit protéger son indépendance.

Faut-il alors se replier sur la sphère nationale ? En France, où l’État moderne s’est construit contre ses provinces, nos compatriotes ont vite exigé une réponse du pouvoir central. Las, le roi s’est révélé nu. La crise sanitaire au contraire a amplifié le clivage révélé par les gilets jaunes. Pour conjurer ce climat malsain de régicide, faisons davantage confiance aux citoyens, aux territoires, au local. 

 

Vers une primauté du local ?

Dès avant la crise, les tentatives locales se multipliaient pour amender un capitalisme déboussolé : économie circulaire, circuits courts, monnaies locales. Autant d’initiatives pour corriger les effets néfastes du « tout marchand » en articulant mieux les dimensions sociales et environnementales, en remettant la confiance au cœur des échanges. Canalisons ces énergies. La proximité entre les acteurs accélère l’innovation et invite à l’entraide, impose la réciprocité dans l’échange. Chacun sur son territoire perçoit les vertus de cette coopération : la réouverture d’une usine, même robotisée, génère des emplois induits, préserve des écoles et des maternités, tisse du lien social. Pour aimanter ces énergies dans des territoires fragiles, mieux vaut créer un cadre de vie agréable, propice à l’implantation de jeunes travailleurs et de leurs familles. L’occasion est aussi donnée de repenser la ville et la manière de s’y mouvoir, en favorisant les circulations douces, en laissant aux espaces arborés et aux potagers une place que le béton leur a ravi, en favorisant l’entraide générationnelle et les projets collaboratifs au sein des copropriétés ou des quartiers.

 

Enfin, quel rôle pour l’entreprise dans le monde d’après ? Elle aussi doit saisir l’occasion d’accélérer sa grande transformation : réfléchir à son objet social, à son rôle dans la société en tenant davantage compte des parties prenantes. Surtout, elle doit sortir de la cage de fer des métriques et redéfinir autrement cette performance qu’elle cherche à mesurer à tout prix. Pour reprendre les mots de Nassim Nicholas Taleb, il va nous falloir, collectivement, apprendre à devenir « antifragiles », à profiter des imprévus, sans se contenter de guetter les « cygnes noirs », ces événements improbables susceptibles de bousculer l’ordre établi. Sans quoi le jour d’après ressemblera à celui d’avant, mais en pire…

 

 

 

 

 

 

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