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Chapitre 4 - Confusion

Chapitre 4 - Confusion

Pubblicato 5 ott 2024 Aggiornato 5 ott 2024 Humor
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Chapitre 4 - Confusion

— Vous plaisantez?

— Je vous l'avais dit: c'est marrant.

Robert est stupéfié. Quarante ans. Quarante ans de sa vie salopée par ce pauvre homoncule.

— Il est hors de question que je vous défende! dit Robert furieux.

— Si. Et vous ne pourrez pas vous en empêcher.

— Mais vous avez volé ma vie!

Impatient de voir Robert évoluer et prendre la mesure de la situation, Cupilcolo se décide à lui mettre les points sur les i.

— Oui. Et alors? Vous devriez me remercier. Vous n'êtes ici que par nécessité. Ma nécessité. Mon procès. Pas de flèches, pas de procès. Pas de procès, pas d'avocat. Pas d'avocat, vous au fond d'un trou, ou d’une urne, ou ailleurs, je m'en fous. Vous imaginez quoi? Qu'il est d’usage d'inviter ici-haut des champions du barreau? Vous plaisantez! Pas un, queue d'chi, nada, niet, peau de zob! Un avocat élevé au rang de divinité? Et ensuite ce sera quoi? Un prêtre? Cessez de râler, adaptez-vous. Ou redescendez.

— C'est possible?

— Non, pas à ma connaissance. Vos choix sont donc limités. Accepter votre place, travailler votre ouvrage avec la désinvolture nécessaire à toute perfection ou vous emmerder pour une durée littéralement indéterminée.

Robert s'adoucit. Par obligation. Par lassitude aussi. Par manque de moyen également: le cocktail physiologique d'hormones et de neurotransmetteurs qui assujettissais ses émotions a disparu. Il ne reste que l'écho, de plus en plus lointain, de ses anciennes humeurs. Tous ses émois sont là mais obéissent à de nouvelles lois. Comme son corps. En supposant que ce qu'il voit, touche, sent, ressent est bien un corps. Ou autre chose. Une question de plus sans réponse.

— Qu'y a-t-il après la mort? Enfin, je veux dire, qu'aurait-il dû m'arriver si je n'avais pas été appelé ici?

— Question très conne. Après la mort, rien, puisque la mort est définitive. Après la vie en revanche, c'est autre chose.

— Exact, je n'avais jamais relevé cette incohérence. Donc, qu'y a-t-il après la vie?

— La mort.

Enfin un jeu qui me plait se dit Robert. Celui des débats qui aiguisent l'esprit. Des questions en suspens, des réponses nébuleuses qui fertilisent les échanges,  éclaircissent les idées. Des tours qui se déplacent en faisant l'essui glace. Des cavaliers boiteux, des fous diagonalisés. Des gambits attendus, des ouvertures ratées, des rocs endiablés. Mais, pour qui est honnête, incorruptible et droit, il n'y pas d'échec. Il n'y a pas de mat. Il n'y a même pas de pat, de joueurs acculés empêchés d'avancer. Il n'y a, pour chacun, qu'une envie d'équité et le rare plaisir de s'être dépassé.

— Je reconnais que la question est mal posée. Permettez-moi de la reformuler. Qu'est-ce que la mort?

— Rien.

— Si je comprends bi…

— Non, n'insistez pas. Rien je vous dis. C'est la réponse à toutes vos questions. Après la vie il n'y a rien. Il y a la vie et puis… pouf. Plus rien. Vous comprenez? En arrivant ici vous n'avez rien évité. Mais, vous avez évité rien. C'est syntaxiquement nul, mais factuellement juste.

— Je n'y crois pas.

— Pourquoi?

— Je ne sais pas. La plupart des religions nous décrivent une autre vie après la… vie. Elles se tromperaient donc, depuis si longtemps?

— Je vous le confirme, elles se trompent, toutes, sur tout, depuis toujours. Et pour toujours probablement. Ne me dites pas que vous avez eu besoin de monter jusqu'ici pour vous en convaincre?

— Non, effectivement. Mais, expliquez-moi pourquoi je vous vois vous, votre mère, Saint-Pierre. Trois personnages issus de mythes différents mais parfaitement ancrés dans la culture profonde du monde où je suis né. C’est bien la preuve que nos religions ont un fond de vérité, non?

— Ça prouve surtout que vous projetez vos mythes, votre folklore sur nous, sur l'espace et le temps que nous occupons à présent. Vous n'êtes rien de plus qu’un aveugle qui voit, qu'un sourd qui entend, qu'un idiot qui comprend. Toujours vous vous leurrez. Vous n'êtes que dissonants.

Robert, l'air grave, se force à bredouiller:

— C'est épouvantable. Mais je dois admettre que c'est une possibilité.

— Non! Je déconne. Oh la tête que vous faites! Toujours aussi naïfs ces humains. Ah, je sens qu'on va se marrer.

— Alors tout ceci est réel?

— Oui.

Ils accélèrent le pas, même si accélérer et pas sont des notions abstraites pour ce lieu insensé.

«Ou peut-être que non», dit finalement Cupilcolo, tout juste assez fort pour s'entendre, seul, parler.

*****

— Pourquoi refuser les prêtres?

— Vous mettez des glaçons dans votre whisky? Imaginez. Une bouteille de whisky. Vous vous servez, vous mettez deux glaçons au fond de votre verre. Et deux de plus dans la bouteille afin de compenser ce que vous avez prélevé. Puis vous vous réservez. Et ainsi de suite, encore, encore, avec une bouteille qui ne se vide jamais. A la fin, vous buvez quoi?

— De l'eau je suppose.

— Exact. Voilà ce que sont les prêtres. De toutes les religions. Des facteurs d'extrême dilution. En faire monter ici et diluer, à coup sûr, la source de toute la création? Hors de question.

— Admettons. Mais Saint-Pierre? Que fait-il là?

— Saint-Pierre? C'est… différent.

— En quoi?

— Ce n'est pas un prêtre.

— Première nouvelle.

— Non, je vous assure.

— C'est quoi alors? Un funambule? un artiste de pole dance? Une tranche de foie de veau?

Au contact de Cupilcolo, Robert se découvre un sens du n'importe quoi qu'il ne soupçonnait pas.

— Rien de tout ça. Même si, pour le foie de veau, j'ai un doute.

— Donc?

— C'est un amant.

Il ne faut pas longtemps à Robert pour imaginer Saint-Pierre et Le Percé s'enlacer tendrement. Et n'y voir rien d'autre que l'amour triomphant.

*****

— Au fait, vous risquez quoi?

— Pardon?

— Votre crime, votre procès. Vous risquez quoi? Qu'y a-t-il à craindre ici?

— Ici? C'est l'origine de toute création, non? Croyez-moi, ils parviendront à être créatif.

— Qui ils?

— Je ne sais pas encore qui présidera mon procès, quels seront les jurés. Patience, Bob, patience.

*****

— Quand je suis arrivé, devant vos écrans, vous regardiez quoi?

— Des séries policières allemandes, allongé sur mon canapé. Ça amplifie les effets du Temesta.

— Sérieusement Monsieur Cupidon. Pour que ma défense soit efficace, j'ai besoin de mieux vous connaitre. Vous voulez retrouver votre arc, vos flèches? Je peux arguer de la profonde dépression dans laquelle vous êtes plongé. Susciter la pitié des jurés. Mais dites-moi ce que vous regardiez.

— Je ne regardais rien. Des fonds d'écrans Windows 95. En boucle. Les meilleurs.

Après quelques instants, Cupilcolo ressent le besoin d'ajouter.

— Un conseil: oubliez ce que vous avez vu. Quand nous nous sommes rencontrés, je ne faisais rien d'autre que mater du porno. Vous me comprenez?

— Très bien si vous y tenez.

Cupilcolo prie, pour une fois, d'être un peu écouté .

*****

— Il est là-bas.

Cupilcolo interpelle un être sombre et confus, animal, végétal, humain, fait d'excroissances cagneuses, de branches tordues d'où pendent des cabosses pulpeuses et colorées. Un être incongru. En deux dimensions. Pas une de plus.

— Papa! Eh, Papa! C'est moi!

— Ne me dites pas que c'est...Mars? Robert est perdu. Ses études assidues de Latin et de Grec ne l'avaient pas préparé à cela.

— Mars? Non, vous n'y êtes pas du tout. Vous avez vu ma mère. Vous visualisez Mars. Vous pensez vraiment que le mélange des deux donnerait… moi.

En prononçant ces mots, d’un geste fier et droit il désigne son corps du bout de ses dix doigts.

— Non, effectivement, dit Robert avec ironie. Qui est-ce?

— Mon père. Mon vrai père. Mon géniteur. Mars n'est que mon père adoptif.

— Votre géniteur? Cela n'a aucun sens. Vous n'avez pas de gènes, vous ne pouvez prétendre…

En colère, Cupilcolo dit agressivement:

— Vous en êtes encore là? Quand comprendrez-vous qu'il ne faut pas prendre tout ce qui est dit ici au premier degré, à l'aune de votre savoir ridicule et de votre pauvre vie?

— Désolé, je ne voulais pas être désobligeant.

— Trop tard. Il faut vous adapter afin d’assurer ma défense convenablement.

Après quelques instants, Robert demande timidement:

— Qui est cette divinité? Il doit être puissant pour avoir contribué à votre avènement.

— Lui? C'est une quiche. Voici Ek Chuah, le dieu du petit déjeuner.

*****

— Je commence à comprendre comment vous fonctionnez.

Les explications d'Ek Chuah, le dieu Maya du cacao (cela ne s'invente pas) sont grasses et fluides, apaisantes et utiles, réconfortantes. Comme un chocolat chaud. Contrairement à son corps auquel Robert ne parvient pas à s'habituer. Il ne sait pas comment regarder un être en deux dimensions. Il suffit qu'il se tourne à peine et toutes ses perspectives s'en retrouvent écrasées, recourbées. Assez curieusement, quand il le voit de profil (donc à plat), il le trouve plutôt beau. Mais trop inhabituel pour son pauvre cerveau. S’il croise un jour un dieu de l’ancienne Egypte, il se demande s’il aura le même souci. Il visualise Vénus et ce dieu inconnu dans l'intimité. Il se dit, qu'après tout, cet univers bigarré doit avoir une version alambiquée de l’intimité. Cupilcolo a raison. Il faut qu'il change son référentiel de pensée. Il se dit en souriant que Vénus pourrait certainement l'aider.

— He ho, Robert! soyez attentif. Concentrez-vous un peu.

— Je suis concentré. Je prépare ma stratégie. J'anticipe la rédaction de ma plaidoirie. Je sélectionne mes témoins de moralité.

— Bon courage. Sujet suivant. Le panthéon.

Le Panthéon. Robert en a rêvé. Ce qui, a priori, lui était garanti si Cupilcolo n'avait pas décoché ses trois flèches. Il constate avec satisfaction que, maintenant, il s’en fout totalement.

— C'est là que ça devient intéressant, dit Cupilcolo.

— Pourtant tu n'y as jamais rien compris. J'ai souvent essayé de t'expliquer. Tu es incapable d’imprimer.

— Non, je n'ai jamais écouté, nuance. Je n'en avais pas compris l'utilité. Mais aujourd'hui, c'est différent. Nous sommes tout ouïe.

— Bien. C'est très simple: C'est mathématique.

— Mathématique? C'est un panthéon. Un pauvre organigramme. En quoi c’est mathématique?

— Tu es bien un fils d'abruti. Je parle de ton père adoptif, évidemment. Ferme-la, écoute. Pour une fois. C'est donc mathématique. Tu prends l'infini. Puis tu fais l'infini -1.

— Cela ne veut rien dire.

Là, c'est Robert qui intervient, maté d'un simple regard d'Ek Chuah, inévitablement oblique.

— Bien sûr que si. Je reprends. Tu fais l'infini -1. Ce qui signifie: tu commences à compter et tu t'arrêtes pile poil juste avant l'infini. Capisce? Eh bien, à ce niveau, te retrouves les héros, les mortels anoblis, comme vous Robert, quelques saints (pas tous) et les psys.

— Les psys? Tous?

— Oui, tous. Nous considérons que c'est mérité.

— Mon cul oui. C'est surtout parce qu'on en a besoin ici. Et ils sont débordés. Autorise-moi, très chère papa, à rétablir la vérité.

— Vous êtes si nombreux?

— C'est justement ce que j'essaye de vous expliquer. Je peux poursuivre?

— Oui.

— Merci. Ensuite, tu fais l'infini, +1.

Robert ne dit rien, mais pense que c'est tout aussi absurde.

— Je sais que c'est délicat, mais cessez de me regarder de travers Robert. Merci. L'infini, +1, c'est encore plus simple. Tu pars de l'infini. Tu t'arrêtes juste après. Tu n'as pas besoin de regarder devant toi pour te stopper à temps. Ici, tu as les divinités du premier cercle, certains demi-dieux, les dieux oubliés, les dieux déchus, les dieux inutiles etc…A mesure que tu ajoutes +1, tu montes dans les cercles. Moi par exemple, je suis au 257ème cercle. Infini + 257. C'est tout con, non?

— Bien. Parfait. Rappelle-moi: je suis combien déjà?

— +2.

— 2000? Pas mal. Mieux que toi en tout cas.

— Non. +2. Sans rien derrière.

— C'est tout? Ce n'est pas possible! Qui a moins que moi? Le Dieu des fosses septiques?

— Non, lui il est +50. Il est plutôt utile. J'ai du mal à concevoir un univers sans lui.

La rage monte en Cupilcolo. Avant qu'elle ne s'exprime d'une remarque cinglante ou d'un geste incongru, Robert l'interrompt.

— Qui décide du classement?

— A votre avis?

— Oui, évidemment. Et, LUI, il est + combien?

— Vous n'avez toujours pas compris, n'est-ce pas?

— Compris quoi?

— Je reprends: au fur et à mesure il faut ajouter +1.

— Oui, jusqu'ici, j'ai compris.

— Jusqu'à l'infini.

— Vous voulez dire que LUI, il est sur le cercle infini + l'infini?

— Bravo! Et il est tout seul, croyez-moi.

Robert cède. Robert craque. Robert explose.

—C'est encore plus débile que le reste! Si on ajoute un autre infini, puis un autre, puis encore un autre, c'est sans fin!

— Oui, c'est le principe de l'infini. DIEU, le seul, l'unique, c'est l'infini plus tout plein d'infinis, le tout à l'infini. C'est clair, net, précis. C'est ma-thé-ma-tique.

Robert ne parvient pas à se calmer. Il a vraiment l'impression d'être pris pour un con.

— Et pourquoi pas l'infini fois l'infini. Ou l'infini puissance l'infini? +1, évidemment.

— Non, non, non. C'est beaucoup trop grand.

Robert est sidéré par cette dernière remarque. Il préfère abandonner. Il n'a aucune envie de trouver un sens à tout ceci.

Attentif jusqu'au bout, Cupilcolo se fend d'une dernière question.

— Et Saint-Pierre? Tu as dit que les saints étaient, sauf exception, au sous-sol, niveau -1. Lui aussi? Comment peut-il, dans ces conditions, faire le boulot de l'infini + l’infini?

— Je ne sais pas. Un mystère de la création, assurément. Un autre.

Cupilcolo réfléchit. Il pense à cette infinité (+1) d’images qu'il a analysées. Tellement d'images qu'il en a eu la nausée. Une, en particulier, a retenu son attention. Un couple de pulsars enlacés tendrement, vibrants à l'unisson, déformants l'espace-temps. Il ne sait pas pourquoi mais, sur l’instant, il ne pense qu'à eux, à Saint-Pierre et à ce beau prophète qui fut son partenaire. Il est de l’avis de son père: il est là le véritable secret de l'univers.

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Commento (4)

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Luce 1 mese fa

Homoncule !

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Arthyyr 1 mese fa

Ah oui. Celui là ce n'est pas une connerie. Je n'ai pas mieux pour désigner Cupilcolo....Par contre, promis, je ne ferai jamais aucune rime avec ce mot.

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Luce 1 mese fa

Je viens d'apprendre un nouveau mot ;-)

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Arthyyr 1 mese fa

Ah. Lequel ? C'est peut-être moi qui raconte n'importe quoi. C'est une hypothèse très plausible...

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