Composition lyrique de Véronique Morel (13 novembre 2003)

1^er mouvement : Vivace ma non troppo

C’est ça la VRAIE VIE!

Tu tombes en amour, tu pars en orbite, tu découvres des espaces féeriques, tu explores des avenues insoupçonnées. Tu joues à la bibitte qui monte, tu te réchauffes à sa fougue, tu t’entortilles à ses jambes pour tisser des beaux bébés. Tu savoures les instants pralinés de ta vie de maman, tu t’enivres des caresses de leurs sourires. Tu es heureuse. Tu es bien.

Puis, comme ça, sans crier gare, tu fonces dans le décor, tête première, à la vitesse du son. Drôlement cabossée! Tu te relèves, abasourdie, tentant de comprendre ce qui a pu se produire.

Tu réalises que ta douce moitié, fusionnée par tant de circonvolutions, s’est détachée de toi. Comme l’astéroïde cherchant à galoper seul dans le cosmos. Tu dévies de ta trajectoire et plonges dans un grand trou noir duquel tu mettras un bon moment à émerger, cherchant en vain ta bonne étoile. Dans un ciel endeuillé de sa lune, tu n’y vois plus rien. Tu marches à tâtons, tu sondes à travers des lunettes fumées un sentier jusqu’alors inconnu : celui de ton Univers à toi.

Un pas en avant, deux en arrière, l’inspiration haletante, tu parviens imperceptiblement à quitter cet état léthargique, à sortir de ta tanière, meurtrie, la crinière ébouriffée, le cœur ensanglanté, l’âme mutilée. C’est le printemps!

Pierrot la Lune te tend son échelle. Oui. Tu es encore une Étoile dans la Voie lactée. Allez! Marche à ta conquête!

2^e mouvement : Divertimento ma non troppo

Je chambre sur l’assiette, prête à me faire déguster. Pâte crémeuse, onctueuse, chair perlée au fin goût de noisette, je frisonne au seul désir d’être happée par sa langue chaude, de me baigner dans sa salive, de naviguer à travers ses papilles gustatives, telle une mémorable croisière dans les mers du Sud. Après tous ces tourbillons affriolants, après être fondue comme neige grisée au soleil de mars, j’amorce la grande glissade dans un va-et-vient enivrant, exhalant tout mon parfum, tout mon arôme, toute ma raison d’être : le combler de plaisir!

Mon désir n’atteint pas sa maturité!

Je continue de m’impatienter sur l’assiette. Je sèche de plus en plus. Ma peau ratatine à vue d’œil. Je pue la puanteur du moisi. Une crise de « foi » l’aura détourné de ma vue.

Sa foi dans sa « gay té » lui fait préférer la saucisse italienne et le Mardi Gras!

C’est ma fin! Qu’on m’ensevelisse dans la poubelle. Qu’on m’incinère au dépotoir.

Les mouettes, elles, sauront se régaler goulûment de moi, même si je suis « passée date »!

3^e mouvement : Molto esplosivo

Montagne à multiples paliers : végétation luxuriante, généreuse à sa base, puis plus parcimonieuse, se faisant discrète pour disparaître totalement en son faîte, offrant une surface rugueuse, hachurée, rebutante. Une montagne à souffrance. Qui étouffe. Qui va éclater. Qui va s’éjecter de son propre ventre meurtri en millions de tisons incandescents de peur, de rage, de colère, de haine, de peine, d’incompréhension, de frustration.

Volcan outragé pleurant des laves de sang.

Son ventre se vide de sa fécondité; son Amour de sa fidélité; son Humour de sa spontanéité; son Apparence de sa luminosité; son Désir de sa vivacité; sa Vie de sa virtuosité.

Son ventre gémit en secousses telluriques pour en finir, vidé de son vide. Son ventre finit d’avoir mal, de cracher du feu.

Son feu s’éteint par ses propres pleurs.

Ses pleurs s’assèchent par son propre feu.

Le volcan se tait. La montagne renaît. Lentement, mais sûrement. Assurée que les fleurs reviendront s’y vautrer, les arbres s’y abreuver, les mousses et les lichens la recouvrir de leur édredon. Et sa peau ridée en son sommet témoignera de sa sagesse.

Texte publié sur mon blogue littéraire le 24 juillet 2016

Photo: partition du Concerto no.5 Largo de J.S. Bach parue sur Partitions domaine public

Dessin du volcan pigé sur Freepik