MotherCloud
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MotherCloud
"Disons que si je décide de filer maintenant, de franchir la porte. Comment je ferai pour l’argent ? Où est-ce que j’irais ?Elle sourit. “C’est le truc, avec la liberté. Elle t'appartient jusqu’à ce que tu l’abandonnes".
-Qu'est ce que ça signifie ?
-Réfléchis-y"
Bienvenue chez Cloud, superstructure de l’e-commerce qui règne en quasi monopole sur l’économie mondiale.
Nous suivons alternativement Gibson, le big boss de Cloud, Paxton, ex petit patron qui oscille en permanence entre vengeance et désir de s’intégrer, et Zinnia, cheval de Troie dont la mission est de détruire le monstre de l’intérieur.
Gibson, rongé par un cancer qui lui laisse peu de temps, raconte son histoire. Parti de rien, il a monté son empire presque seul et voulait évidemment changer le monde. Il a bâti une société idéale, à la pointe de l’efficacité et de l’écologie. Sauf que la frontière entre l’idéal et le despotisme est ténue. En imposant sa vision du monde, il annihile le libre arbitre des autres. Mais comme il le répète à l’envi pour se dédouaner de toute responsabilité : “c’est le marché qui décide”.
On pense à Bezos bien sûr, et aux grands manitous des GAFA. On pense à Amazon, on imagine ces milliers de drones saturant le ciel pour livrer nuit et jour des marchandises inutiles et on se dit que ce n’est pas si loin de nous. Le cynisme de Gibson est confondant. Il croit vraiment qu’il a créé une grande œuvre humanitaire.
Nous avons donné du travail aux gens. Nous leur avons donné accès à des biens abordables et aux services médicaux. Nous avons payé des milliards de dollars d'impôts. Nous avons été à la pointe de la réduction des émissions de carbone, ainsi que du développement de comportements et de technologies qui sauveront la planète.
A son arrivée dans le complexe, Paxton n'est pas de cet avis. Cloud l'a ruiné. Son embauche relève à la fois de la survie et d'un désir de revanche. Espérant se faire affecter chez les polos rouges (les employés voués à la collecte des marchandises), il se retrouve à la sécurité et découvre ses étonnantes conditions de travail. Son opinion évolue au gré de ses rencontres et varie constamment entre la révolte larvée et la quête éperdue de reconnaissance.
Zinnia est une infiltrée. Affectée chez Cloud à la préparation des commandes, elle est en réalité chargée par un mystérieux commanditaire de placer un malware dans le système.
Au fil du récit, on comprend que le monde a changé. Certaines zones du globe ont été englouties (Venise, notamment). D’autres ne vont pas tarder à disparaître. Le réchauffement climatique a provoqué des migrations de populations. La crise financière accule la plupart des gens à accepter n’importe quoi pour ne pas crever de faim. Nous sommes dans l’autre monde, le monde d’après.
Alors ici on n’est pas à Gilead non plus(1). On ne subit pas la violence systémique et l'asservissement genré. On n’est pas non plus dans une conurbation verticale (2) où l'harmonie est imposée au point de devenir un diktat.
On est dans une unité MotherCloud, énorme phalanstère moderne, libéral, ultra connecté dans lequel le bonheur n'est pas une option. Ici on vit, on travaille, on consomme, on se divertit, on dort. Sous surveillance constante. Et ça recommence, encore et encore. MotherCloud est à la fois ta prison et ton refuge.
A priori pourtant, personne ne t’oblige à entrer chez Cloud. Et a priori, tu restes libre d’en partir. En revanche, une fois dedans, tu dois suivre les règles dictées par ta CloudBand, la montre connectée qu'on t'oblige à porter H24. Elle permet de circuler, passer les portiques, payer tes achats. Elle délivre les consignes de travail, les évaluations hebdomadaires. Elle indique quand tu peux faire ta pause pipi et t'informe quand tu es viré.
CloudBand piste, surveille, aliène, mais en contrepartie, Cloud garantit un toit et à bouffer.
À partir de quel moment bascule-t-on dans la résignation ?
Laissez-moi vous raconter quelque chose à propos de Cloud. C'est nous qui les avons choisis. Nous qui leur avons donné le contrôle. Quand ils ont décidé de racheter les épiceries, nous les avons laissés faire. Quand ils ont décidé de faire main basse sur l'agriculture, nous les avons laissés faire. Quand ils ont décidé de s'emparer des médias, nous les avons laissés faire. Idem pour les fournisseurs d'accès à Internet, les compagnies de téléphonie mobile, nous les avons laissés faire. On nous avait répété que l'on paierait moins cher, parce que Cloud se soucie avant tout de ses clients. Que ses clients formaient une famille. Mais nous ne formons pas une famille. Nous sommes la pitance qu'avalent les grandes entreprises pour devenir encore plus grandes.
Ce récit dystopique n'est pas révolutionnaire mais il soulève les bonnes questions. Quel modèle de société voulons-nous ? A-t-on vraiment envie de remettre en cause notre façon de consommer ? La société digitale nous réduit-elle en esclavage ? Sommes-nous encore en capacité de nous rebeller face à ce capitalisme débridé ? A quelles libertés sommes-nous prêts à renoncer pour conserver confort et sécurité ? Jusqu'à quel point pouvons-nous renier nos convictions par soif de reconnaissance ?
Bonne lecture !
(1) La Servante Écarlate de Margaret Atwood
(2) Les Monades Urbaines de Robert Silverberg
photo de couv James Sutton (PEXELS)