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Un choix incontestable

Un choix incontestable

Pubblicato 6 gen 2023 Aggiornato 6 gen 2023 Cultura
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Un choix incontestable

C’est l’histoire d’un obstétricien qui réalisait l’œuvre de Dieu et la part du Diable. Les femmes qui souhaitaient avorter à cause d’une grossesse non désirée se rendaient au dispensaire du docteur, dans la région de la Nouvelle-Angleterre. À l’époque, en 19.., l’avortement étant illégal, le docteur s’y consacrait en connaissance de cause, car pour lui, cette interdiction ne lui donnait pas le choix. Il n’avait pas le luxe de choisir, savoir s’il devait ou non. Si l’avortement avait été légal, il aurait pu décider de ne pas le pratiquer, puisque d’autres médecins s’en seraient chargés à sa place. Or, ce droit ôté pour les femmes, il se devait de les aider — « si je ne le fais pas, qui le fera ? », pensait-il.

Il se souvenait d’une jeune fille — une adolescente, de quatorze ou quinze ans — dont le pubis ne dépassait même pas les neuf centimètres. Deux accouchements antérieurs avaient déchiré les parties molles et laissé une masse de tissus cicatrisés sans souplesse. La jeune fille venait le voir pour sa troisième grossesse, à la suite d’un inceste — un viol. La faire accoucher, par césarienne, étant donné l’état de santé délicat de l’adolescente aurait été dangereux. Il avait pratiqué un avortement. Et puis il y avait eu cette femme qui s’était rendue à son dispensaire après une tentative d’avortement qui avait échoué. Le docteur n’avait même pas osé imaginer les conditions dans lesquelles cette tentative avait été réalisée, mais la femme souffrait d’une péritonite aiguë à la suite à celle-ci. Il avait tout fait pour la sauver, mais elle mourut.

Parmi les enfants qu’il mettait au monde, il y avait ceux que les mères ne désiraient pas garder ; mais son dispensaire n’était pas un orphelinat. Or un jour, lors d’un accouchement, il « adopta » le nouveau-né avec l’idée d’en faire son successeur ; il s’était présenté par le siège, et le traitement de ces expulsions reposait uniquement sur l’application de « manœuvres obstétricales » pratiquées par l’accoucheur, et surtout la connaissance et l’expérience de ces manœuvres qui conditionnent l’état de l’enfant à la naissance. Il ferait un très bon médecin, avait pensé le docteur. À son adolescence, il était devenu son assistant ; il lui avait appris tout ce qu’il devait savoir de la médecine, des accouchements… et des avortements. À son grand désarroi, le jeune orphelin se refuserait à l’assister dans le cas des avortements ; puis quand il devint médecin, à les pratiquer, à cause de l’expression que le fœtus (non éveillé, et même pas humain, se hâterait de dire le docteur) avait acquise avec le développement du nez et de la bouche dès la huitième semaine — une âme, comme l’appelaient les autres.

Le docteur avait donc dédié sa vie à l’obstétrique jusqu’à ce qu’on lui diagnostique un début de sénilité, et qu’on le place sous tutelle dont on avait désigné ses infirmières et son orphelin devenu depuis docteur comme tuteurs. Entre-temps, en 1973, la décision dite Roe V. Wade avait permis de laisser la liberté aux femmes à disposer de leur corps dans tout le pays, au nom du droit à la vie privée. Il aurait donc pu se rassurer, sachant qu’il ne pouvait plus exercer, qu’il abandonnait ces femmes auprès de médecins qui pratiqueraient l’avortement. Seulement, il était inquiet ; il redoutait un tour de passe-passe, que l’on revoit la loi sur l’avortement ; et il espérait que son orphelin changerait d’avis, qu’il accepterait si cela devait arriver — celui-ci resterait camper sur ses positions. Lorsqu’il apprit, un an après l’apparition de sa maladie, que la Cour suprême des États-Unis se penchait sur une relecture de cette loi, cela ne le surprit pas, ça l’avait mis en colère. Sa maladie ne lui avait pas causé de perte de mémoire immédiate sur ce sujet ; il se rappelait encore que renvoyer à chaque État la possibilité d’adopter sa propre législation leur permettrait de décider, si celui-ci le souhaite, de rendre l’interruption volontaire de grossesse illégale sans même forcément prévoir d’exception pour le viol et l’inceste ; et que cela le préoccupait de trop pour qu’il puisse oublier. Il avait dit à son orphelin comment il pouvait s’autoriser ce choix tandis que ces femmes se verraient dans cette impossibilité. Pour toute réponse, le jeune médecin avait rétorqué qu’il n’avait rien contre le fait que ses confrères pratiquent l’avortement, mais lui s’y refusait.

Quelques jours plus tard, sans en connaître la raison, le docteur avait eu l’idée saugrenue d’acheter un bélier. Ses infirmières y avaient vu un signe d’accélération de la maladie. Cela était sans doute vrai, il paraissait plus assez lucide pour savoir ce qu’il faisait. D’ailleurs, quand l’une de ses infirmières lui demanda pourquoi il avait acheté cet animal, le docteur lui répondit qu’il ne le savait pas (il l’aurait su s’il avait toute sa tête). Il ne se souvenait même plus où il se l’était procuré, à qui, et combien ça lui avait coûté.

Le lendemain, le docteur se promena dans la cour de son dispensaire avec son bélier qu’il tenait en laisse. Ses infirmières qui accompagnaient deux patientes pour qu’elles profitent de la fraicheur printanière après deux accouchements difficiles — orchestraient par l’orphelin — se désolaient de le voir ainsi. Lorsque le docteur revint devant l’entrée de la maternité, il crut qu’il était face à la Cour suprême. Il prit les quatre femmes pour des manifestantes. Les deux patientes observaient l’animal qui, à première vue, leur paraissait paisible. À elles, le docteur s’adressa en ces termes : « Ah, ce haut sommet du pouvoir judiciaire censé protéger les citoyens semble inoffensif ; mais il faut attendre voir : la violence n’est jamais loin. » En effet, dans les minutes qui suivirent, le bélier se rebiffa ; il chargea le docteur et lui mit un coup de boule qui l’envoya au sol. À terre, il n’avait plus le contrôle de son corps. Alors que les patientes fussent prises de panique, les deux infirmières qui voyaient le docteur se faire matraquer par la bestiole, comme si celle-ci était en train de tout saccager en lui, tentèrent de faire fuir la bête tout en appelant le jeune médecin pour qu’il leur vienne en aide. Quand celui-ci arriva, le bélier cessa de « brouter » le docteur et s’en alla comme si de rien n’était. C’est alors que le docteur comprit la raison de l’achat de cet animal ; il dit à ce qu’il croyait être une assemblée : « Le bélier est d’apparence calme, apaisant ; mais il peut avoir des accès de violence. La Cour suprême et ces juges sont d’“apparences rassurantes” ; or, ce sont des prestidigitateurs, et ceux-là sont violents. Vouloir supprimer le droit à l’avortement est un acte violent. Vous allez voir ce que cela implique de parier sur le mauvais chef de file et le troupeau, le coût que vont en payer les femmes. » Puis il s’adressa à ce qu’il pensait être la Cour suprême : « Regardez ! Voilà ce que vous faites aux femmes en leur ôtant le choix à disposer de leur corps ! Voilà ce que les charlatans qui se déclarent médecins feront à celles qui souhaitent désespérément se faire avorter. » Et ce n’était pas une fabulation, un des symptômes de la sénilité pure et dégénérative.

L’orphelin s’occupait déjà du docteur, et à présent, il devait soigner ses blessures et sa fracture tibiale que lui avait occasionnées le bélier. Au-delà de cet acte de violence, cet accompagnement allait croître maintenant que la maladie avait gagné du terrain. Pourtant, et plus que jamais, c’était les femmes qui allaient avoir besoin du jeune médecin, pensait le docteur. Il savait qu’il commettait une erreur en ne comprenant pas ça ; en ce qui le concernait, lui n’avait pas besoin qu’on s’occupe de sa vieille carcasse ; les hommes n’étaient pas obsédés par le corps des hommes, par ce pouvoir de le posséder en choisissant à leur place ce qui semblait bon pour lui. Ils pensent qu’une femme est née pour procréer coûte que coûte, et ils disent vouloir sauver une vie en interdisant l’avortement ; mais tout ce qu’ils font, c’est en détruire une autre…

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Commento (2)

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Bernard Ducosson 1 anno fa

De ces histoires courtes, je suis amballé !

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Bernard Ducosson 1 anno fa

Il restait alors aux femmes des aiguilles à tricoter et des yeux pour pleurer...

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