Sur les pas de Monod
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Sur les pas de Monod
J’ai rencontré Théodore en embarquant sur le Saint Etienne, un cargo qui quittait le port de
Nouodhibou, Je pense que la première chose qui m’a poussé à lui parler c’est la manière
dans laquelle il regardait l’océan, qui s’ouvrait devant nous. Il m’avait dit, “je vais bientôt
retrouver les miens, les serrer entre mes bras”.Il a prononcé cela avec un sourire au fil des lèvres, comme si les côtes de la France se profilait déjà à l’horizon. J’ai la même hantise, depuis des mois , je ne pense qu’à cela. J’ai cru qu’il s’agissait d’un officier de la légion, puis il m’a parlé d’une longue marche dans le désert, avec les Kel Tamasheq, à travers une région qui doit se trouver entre Gao et Tombouctou. J’ai compris qu’il était là pour bien d’autres raisons que suivre l’armée.
“ Ils sont ici, ceux de la Légion, avec leurs fusils performants. Eux sont là depuis toujours. Au bout de compte, c’est une autre force - celle qui jaillit du plus profond du désert - qui va finir par tout remporter”. Je n’ai pas osé lui demander quel était le motif de son séjour sur place, par discrétion. Puis, dès que j’ai évoqué Tessalit il m’a montré quelques planches d’un carnet qu’il avait sorti de sa besace en cuir. Il me montre le croquis d’une oasis que je connais bien. C’est celle qu’on croise avant de rejoindre la fortification. Je salue la qualité de ses dessins, il m’en montre davantage. Il y en a certains sur des poteries typiques de la région, d’autres sur les architectures Songhoï. Un géographe, un explorateur, un archéologue, un paléontologue? Peut être, vu l’attention qu’il consacre à la description des restes d'un éléphant: “Le retrouver, sous le sable! un instant qui justifie des mois de marche au milieu de nulle part”. Puis il me montre des images des graffitis du plateau d'Ennedi. Il semble y être encore, rien qu’en les feuilletant, ces pages: “Une d’épiphanie, ces graffitis. Je ne sais pas
si je suis celui qui les a découverts, mais peu importe. D’une manière ou d’une autre, je
serai toujours le premier à les avoir vus”. L’Ennedi, entre la Libye et le Soudan.
Combien de temps il y est resté, dans ces déserts pour avoir fait tant de chemin?
Je lui dit mon métier, afin de l’encourager à me livrer le sien en retour :
"Ingénieur des mines, on fait des sondages de terrain, il y a surement de l’argent dans le sous-sol . Du cuivre aussi, probablement. De l’or, pensent certains".
Il en n'est rien. Il ne me dit pas ce qu’il est venu faire dans ce coin si hostile de la terre. Il me semble même comprendre, au fil de la conversation, qu’il a en partie financé son propre voyage. Pour rien au monde je serais venu dans cet enfer où la terre même brûle de soif, si on ne m’avait pas payé pour y être. Je ne le lui dis pas. Il semble aimer les lieux. J’en suis même sûr. Pour dessiner de la sorte un endroit, il faut bien plus qu’une main habile avec le crayon.
Théodore referme ses carnets sur la page de l’Ennedi. il me souhaite bonne
nuit, il descend dans sa cabine, en me laissant contempler, seul, la ligne de l’horizon. Je me prépare au long voyage, en rejoignant la mienne. Elle semblaient si proches les côtes de la France, dans ses yeux.
Atelier d'écriture Cédric Gras, avril 2021
Photo du net - Graffiti Ennedi