Les Quatre fées du Bois le Prêtre, nouvelle pour la paix
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Les Quatre fées du Bois le Prêtre, nouvelle pour la paix
Cette nouvelle paraît ce mois-ci aux éditions de la P'tite Hélène dans un recueil intitulé "Fraîches comme des fraises en hiver".
FRAÎCHES COMME DES FRAISES EN HIVER (laptiteheleneeditions.com)
Les Quatre Fées du Bois le Prêtre
« Chaque fois qu'un enfant dit : « Je ne crois pas aux fées ! »,
il y a quelque part une petite fée qui meurt. »
James M. Barrie, écrivain anglais.
Je vais vous raconter une histoire vieille de plus de cent ans. C'était en 1915, en plein été. A cette époque, la France était en guerre. Elle avait envoyé ses hommes, les jeunes et les moins jeunes, se battre contre l'Allemagne.
En 1915, il y avait déjà eu des milliers de victimes et l'on se demandait bien si cela s'arrêterait un jour. Dans les campagnes, les villageois avaient faim et peur. Depuis le centre de Montauville, petite commune de Meurthe-et-Moselle, on entendait les obus tomber au loin, là-bas, dans ces bois, derrière ces arbres où des hommes jouaient à se faire la guerre avec de vraies armes. On voyait redescendre des camions pleins à craquer de soldats blessés au combat. C'était un défilé de bandages, de sang et de cris mêlés. Parfois, les convois étaient silencieux et les dames du village faisaient un signe de croix à leur passage.
Pour ces dames et leurs enfants, les réserves de nourriture se faisaient toujours plus rares et il était fréquent que le seul repas de la journée se compose d'une simple pomme de terre cuite dans un fond de lait.
Depuis longtemps, les quatre fées du Bois le Prêtre ne se baignaient plus, le soir venu, dans la fontaine du Père Hilarion qui illumine la forêt comme une guirlande le sapin de Noël. Elles n'avaient plus le cœur à profiter des joies simples de la vie alors que tant et tant de jeunes hommes quittaient la Terre en tombant seul la tête dans la mousse.
La guerre n'en finissait pas et les fées des bois désespéraient de retrouver un jour le silence des arbres et les chansons des oiseaux qui, au matin, les réveillaient jadis en leur souriant.
L'une des quatre fées eut un jour une idée. Il fallait faire des grimaces à la guerre, la chatouiller sous les bras, il fallait la forcer à rire. Il n'y avait que cette solution pour que les hommes redeviennent des hommes et se serrent dans les bras au lieu de se tirer dessus.
- D'accord, lui répondit une des fées, mais comment fait-on rire la guerre ? Elle est plutôt du style à être énervée, à crier, à vouloir frapper tous les gens qui l'entourent...
- Écoutez-moi, je vais vous expliquer...
Et la fée expliqua son plan à ses trois compagnes. Elles approuvèrent immédiatement. Les petits oiseaux qui se cachaient au fond de leur nid du matin au soir, tant le bruit de la mitraille assourdissait la mélodie de la forêt, entendirent alors les quatre fées rire de joie. Cela faisait plus d'un an qu'ils ne les avaient plus entendues. Mais pour quelles raisons rient-elles ? se demandèrent les petits oiseaux. La réponse ne tarda pas à leur être dévoilée.
Quelques instants plus tard, un sifflement lugubre, que les habitants ne connaissaient que trop bien, se fit entendre. Un obus ! Vite, tous aux abris ! se dirent les vers de terre, les renards ou encore les mésanges à longues queues que l'on vit bientôt lézarder le ciel.
Lorsque cette masse noire tomba pour s'écraser au pied d'un arbre centenaire qu'elle fit trembler comme jamais, un énorme trou se forma en lieu et place de la mousse si douce qui cachait les racines et les protégeait. Aussitôt, une infinité de mottes de terre s'éleva et, lorsqu'elles retombèrent comme des pétales de fleurs, elles se répandirent aux quatre coins de la forêt. Ces mottes de différentes tailles et d'une multitude de couleurs – il y avait le vert de la mousse, le noir de la terre, le brun des racines – terminèrent leur vol, souvent au fond d'un autre trou causé par un obus, de temps en temps sur le corps d'un soldat tombé au combat, mais quatre d'entre elles voyagèrent jusqu'à arriver aux quatre extrémités du champ de bataille pour former un rectangle parfait.
Elles se posèrent chacune en équilibre sur une branche ayant survécu à la guerre. Ces quatre morceaux de terre pouvaient ainsi observer les humains se battre et tomber les uns après les autres.
Lorsque le jour commença à disparaître et que les cris des armes cessèrent, les quatre mottes se penchèrent en avant et observèrent les dégâts de la journée : des impacts de balles dans les troncs, des corps allongés émettant quelques derniers gémissements puis le silence de la nuit, parfois perturbé par le hululement d'une chouette qui parut, en vérité, pleurer face à ce spectacle nocturne.
Le lendemain, aux premières lueurs de l'aube, les quatre mottes – qui étaient en vérité les quatre fées, vous l'aviez compris – remarquèrent qu'une offensive d'envergure était en préparation. De nombreux soldats avançaient à pas de loup au milieu des arbres blessés, des trous d'obus et de leurs camarades tombés les jours précédents. Cependant, quelques branches craquèrent sous leurs bottes et les plus attentifs de leurs ennemis se réveillèrent avant d'appeler leurs camarades. Tous furent prêts à combattre en un rien de temps.
Les deux camps se retrouvèrent face à face sur le rectangle du champ de bataille. Les armes étaient sur le point de cracher leurs balles pour transpercer la première poitrine inconnue qui se présenterait.
Ce fut le moment que choisirent les quatre fées pour mettre leur plan à exécution. Les quatre mottes de terre s'envolèrent en direction de quatre soldats prêts à tirer, deux de chaque camp, et se posèrent sur une branche juste au-dessus de chacun d'entre eux. Aussitôt, alors que les doigts des soldats se crispaient sur la gâchette de leur fusil, les quatre fées firent tomber un peu de terre juste sous leurs narines.
Les visages de ces quatre soldats exprimaient la seconde précédente la haine autant que la peur, mais aussitôt ils ne présentèrent plus que cette espèce de grimace que l'on a lorsque l'on se retient d'éternuer. Ce n'est pas le moment ! se dirent les soldats comme un seul homme. Devant cette surprise, l'ennemi qui leur faisait face eut envie de rire. Personne ne s'attendait à voir, à ce moment précis, un nez plissé, une lèvre supérieure relevée et des yeux fermés ! Les quatre soldats témoins de cette même scène, pourtant éloignés les uns des autres, eurent la même réaction : ils baissèrent leur arme, incapables de tirer sur un homme en train d'éternuer. Ces derniers laissèrent aussi tomber leur arme pour pouvoir éternuer librement et porter leurs mains à leur nez. Quelle libération ! se dirent-ils en même temps. Face à cette envie aussi inattendue qu'intense, ils avaient réussi à oublier l'endroit où ils se trouvaient et la raison pour laquelle ils s'y trouvaient.
Lorsqu'ils rouvrirent les yeux, ils constatèrent que tout le monde les regardait. La situation n'avait échappé à personne et la détonation incroyable de ce quadruple éternuement avait même touché ceux qui n'avaient pas vu la scène. Eux aussi avaient cessé leur guerre, surpris par cette explosion si familière et qui rappelait à chacun une scène vécue un jour en famille, là-bas, dans sa maison, avant la guerre.
Bientôt, dans cette forêt du Père Hilarion, montèrent jusqu'à la cime des arbres survivants les rires de plus en plus appuyés des deux armées réunies dans une même énergie.
Aucun soldat n'avait tiré le moindre coup de feu et, face à cette situation qui leur échappait, les chefs militaires ordonnèrent le repli immédiat. Chacun retrouva son camp, sa gamelle, ses photos de famille. Quelques-uns écrivirent à leur famille mais aucun n'osa raconter la scène du jour. Personne ne les aurait crus et, de toute façon, le service de censure aurait déchiré le courrier car il était interdit de raconter la guerre.
Cependant, les rires ne diminuèrent pas et une bonne humeur jamais rencontrée ici se propagea dans les deux camps. Quelques plaisanteries furent criées par-dessus le no man's land durant toute la journée. On put récupérer les corps des soldats tombés sans la moindre crainte de se faire tirer dessus.
Nous étions en été, les jours étaient encore longs. Chacun put profiter du chant retrouvé des oiseaux qui eux aussi semblaient rire de bon cœur. La fraîcheur des arbres et la douce mélodie de la fontaine du Père Hilarion offrirent à cette journée un côté magique qui réchauffa toutes les âmes. Tout semblait redevenu comme avant. Au village, on s'étonna de ce silence retrouvé.
Les jours qui suivirent furent tout aussi calmes. Et lorsqu'il fallut redonner l'assaut, sur l'insistance des chefs, les soldats prirent soin de se replacer exactement au même endroit que la fois précédente. Personne ne se concerta, ce fut comme une évidence, on espérait que la même magie opère à nouveau et que la guerre perde encore ce jour-là.
Et ce fut encore le cas ! Cette fois-ci, les fées firent tomber une grosse motte de terre sur la tête de chaque chef militaire !
Les chefs en question furent les seuls à ne pas rire de la situation mais ils durent reconnaître qu'aucun soldat n'était responsable. C'était comme si la forêt refusait qu'un seul nouveau tir perturbe le calme qu'elle s'efforçait de retrouver !
Les semaines, les mois et même les années passèrent sans que le combat ne reprenne. Les quatre fées se réjouissaient de leurs succès et veillaient au grain. Dès qu'un chef militaire envisageait seulement une offensive, elles redoublaient d'imagination pour trouver une situation à même de faire repartir le rire de plus belle. C'était comme si, jour et nuit, elles entretenaient un feu destiné à réchauffer le cœur des hommes.
Lorsque le 11 novembre 1918, les cloches de Montauville sonnèrent à toute volée pour informer la population de l'armistice, les quatre fées firent s'élever dans les airs une multitude de mottes de terre qui formèrent une espèce de cœur au-dessus des arbres. Les hommes des deux camps se levèrent, traversèrent le no man's land et, tout en se prenant dans les bras, virent retomber ces mottes de terre qui commencèrent aussitôt à reboucher les trous d'obus.