Les clichés du tourisme
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Les clichés du tourisme
- Comment sont les Turcs ?
Sans attendre ma réponse, il réplique : « Nous sommes mieux qu'eux n'est-ce pas ? Nous sommes des rois. »
Surprise par cette question posée par cet inconnu, Algérien comme moi, je rétorque : « C’est difficile de vous répondre. Vous savez monsieur, je vis ici depuis six ans, je suis mariée à un Turc, j'ai appris le turc et je ne sais pas quoi vous dire ! ».
Il me regarde amusé, esquisse un sourire puis répète convaincu d’une voix grave qui détient la vérité : « Nous sommes meilleurs oui. Nous les Algériens nous sommes des rois ». Accompagné de sa famille, la cinquantaine largement dépassée, il cherchait sa destination dans une station de métro à Istanbul. Le hasard a voulu que l’on se rencontre pour prendre le même train.
- Monsieur, cela mérite d’en discuter autour d’un café. Les choses ne sont pas aussi simples.
- Je vous paie un ! me dit-il fièrement comme pour me rappeler l’hospitalité algérienne.
Deux hommes l’accompagnaient, ils écoutaient nos échanges sans réagir. En famille, ils se baladaient à Istanbul en toute quiétude, dans un pays étranger, ce qu'ils ne peuvent pas faire en Algérie sans être embêtés par le manque de transport ou de taxis. Je le sais. Je suis Algérienne. Aucune politique touristique depuis des lustres dans mon pays, je n'en suis pas fière mais c’est la réalité. Je l’admets.
Je le remercie et je quitte le métro la tête bouillonnante. Nous sommes meilleurs en quoi ? Nous sommes les rois de quoi ? Et puis, comment est-t-il arrivé à cette conclusion en si peu de jours ?
Des interrogations me taraudent : d'où vient ce désir imparable et presque meurtrier de se comparer aux autres ? De l’école ? Des cultures ? Du nationalisme ? De la famille ? Des défaites historiques successives ? Des politiques ? Est-ce un besoin pressant de s'affirmer, de se justifier ou d’exister ?
Je ne sais pas. Je n'en sais rien. Personnellement, j’ai toujours été attirée, à l’excès, par ce qui ne me ressemble pas. Par ce qui est différent. Et si je tentais d'y plonger ? D’oublier qui je suis et d'essayer l'autre ? De le prendre à bras le corps et de le porter ? De me l’approprier peut-être, de m’ouvrir de nouvelles portes ? Goûter l’autre, le laisser m’emporter, me briser et me refaire !
Les Turcs sont fiers de leur histoire, de leur République, d’Istanbul, de leur gastronomie et d'Atatürk (Fondateur de la république turque). Peut-être comme tous les autres. Peut-être un peu plus ou moins que les autres. Doit-on leur reprocher cela ?
Je sais aussi que les Turcs adorent leur cuisine, qu’ils restent frileux à la gastronomie étrangère. Je sais que Istanbul est une ville qui aime les femmes. Elles sont partout, installées sur les terrasses des cafés ou des bars, seules ou en couple, elle se baladent tard le soir en toute sécurité. En Turquie, les gens sont libres de jeuner ou pas. De prier ou pas. De boire ou pas.
Mais comment ce monsieur, comme tant de personnes qui m’entourent, de nationalités diverses, se balade sereinement à Istanbul, traverse des continents, découvre des saveurs nouvelles, épicées et parfois bizarres, peut enfermer son cœur, sa tête et ses yeux à tout ce qu’il ne voit pas !
J’y crois fermement. Connaître un pays c’est l’aimer. Connaitre un peuple ne peut s'arrêter à faire du tourisme d’une semaine ou deux, dans des hôtels 5 étoiles ou des pensions à petit prix. Connaître un pays, c'est lire sa littérature, comprendre son histoire, son humour, ses déceptions, goûter sa cuisine, prendre ses bus, apprendre sa langue et la parler (pourquoi pas !). Tout cela, dans le silence, loin des espaces publicitaire. Sommes-nous prêts à aller au-delà de nous-mêmes?
Depuis fin 2018 je vis à Istanbul. Je suis incapable de décrire objectivement les Turcs. Je le reconnais et je l'assume. Je suis toujours en train d'essayer de comprendre. Je m’interroge parce que les questions sont plus importantes que les réponses.