Una storia di due clown
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Una storia di due clown
I
"Lui et moi, nous n'avons pas été amis, mais c’était presque si nous l'étions; nous nous sommes regardés l’un l’autre pendant toutes ces années comme deux chats qui cherchent le moyen de frayer un chemin, de se frayer un chemin sans s'effrayer mutuellement, mais il y avait des deux côtés un désir évident d’établir un lien durable. Il s'en est fallu d'un rien, il a manqué un bon grain de sable, un de ceux qui débloquent l'horlogerie, quand d'autres l'arrêtent.""Lui et moi, nous n'avons pas été amis, mais c’était presque si nous l'étions; nous nous sommes regardés l’un l’autre pendant toutes ces années comme deux chats qui cherchent le moyen de frayer un chemin, de se frayer un chemin sans s'effrayer mutuellement, mais il y avait des deux côtés un désir évident d’établir un lien durable. Il s'en est fallu d'un rien, il a manqué un bon grain de sable, un de ceux qui débloquent l'horlogerie, quand d'autres l'arrêtent."
Un soleil, rare et hivernal, baigne le Piémont d’une lumière crue, mais bienvenue. L'air n'est pas particulièrement triste, l'assistance ne s'est pas contrainte au silence ni à la gravité, bien que tous sortent d'un cimetière. Sous les grands ifs et les cyprès, au retour de la sépulture, Ornella et Guido échangent, pour s’apaiser, quelques mots sur celui qui les a quittés pour toujours — une figure, un sacré type. Il y a ceux qui ont eu la chance d'être de ses amis, ceux qui l'auraient souhaité sans en avoir le temps; personnellement, Guido pensait que l'amitié n'est pas compatible avec l'effort. Ornella, elle, était vraiment l'amie du disparu, elle et lui avaient eu ce bonheur commun de se trouver ensemble, et les moments de malheur se partageaient comme l'inutilité de parler.
Il était né Gianni Bozzo, mais tout le monde l'appelait CV — pour CalVero, le clown génial de Limelight. Guido et lui avaient à peu près le même âge, et des destinées proches et lointaines à la fois. Bilingue, Guido avait produit en amateur quelques spectacles clownesques remarqués, et s'était vu proposer de rejoindre une école du cirque, la FLIC de Turin, en tant que formateur en langue anglaise. Quant à CV, il avait rejoint sur le tard l'académie rivale, le Cirko Vertigo, sur un poste de gestion et négociation de contrats. Auparavant, pour les deux, les spectacles de clowns se faisaient en associations (d'amateurs) subventionnées; chacun y oubliait les pesanteurs d'un métier routinier, instructeur en langues et ingénieur béton. Guido était natif d'Ombrie, CV du Piémont, mais ils se connaissaient depuis l'université, s'estimaient, et les hasards de la vie les avaient rapprochés géographiquement et humainement.
De la pesanteur affranchi,
Sans y voir clair il eût franchi
Les escaliers de Piranèse.
Alors, comment se fait une vie ? Comment passe-t-on à côté de la gloire sans avoir su oser ? Peu de temps avant la découverte de sa maladie, CV avait dit à Guido une des choses les plus surprenantes qu'il ait confiées à quiconque — et l'on sait qu'il en disait, des choses étranges. Il venait de prendre sa retraite et de laisser à Sergio son cher club-théâtre : "mon problème, je m'en rends compte maintenant, c'est que j'ai passé toute ma vie à me chercher un partenaire, un clown bis ...
— ... un monsieur Loyal, en quelque sorte ?
— Justement non, car j'en ai eu, des monsieur Loyal ! Non, un vrai, un auguste ou un paillasse ... un autre fou avec qui j'aurais voyagé, funambulé sous chapiteau." De là, il partit dans ses rêves, et Guido, qui avait rendez-vous à quatorze heures, n’avait d’autre choix que le laisser sur le parking.
II
Guido avait une prédilection pour les entrées de clown telles que CV les concevait. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'avec celui-là, avec Sergio, avec les jeunes du Club, il aurait pu décupler ses propres trouvailles, ses premières conquêtes, les émotions de ses débuts sous chapiteau — c'était à Bolsena entre le lac et Orvieto. Mais, voilà, comment lui en parler ? "Comment l'amener à travailler un scénario que j'ai écrit? Il y a entre nous, même et surtout entre clowns, cette bon Dieu de pudeur qui met tout en suspens, qui fait obstacle à tout." Il aurait repris le rôle de Basilio, CV aurait fait Chocolat, ils auraient transporté leurs admirateurs enthousiastes aux confins du rire et de l'émotion.
Un soir, un couple d'une cinquantaine d'années qui avait passé la journée au lac de Bolsena s'arrêta pour dîner dans un petit restaurant disposant d’une terrasse en surplomb mais séparée des cuisines par une petite route de desserte locale . Pensant que ses clients finiraient par trouver le temps long, le patron avait roulé un téléviseur jusqu'au début de la terrasse, et l'avait mis en marche sur une chaîne de divertissement à l'italienne. Et voilà que Guido vient à passer avec une vingtaine d'élèves en sortie scolaire pour une simple reconnaissance en vue d'un futur spectacle en nocturne. Au moment où le groupe se trouve au niveau de la petite rue, le téléviseur diffuse une émission de karaoké, et spontanément tous ces adolescents reprennent en choeur le chant qui parvient à leurs oreilles, laissant le couple tout surpris d'une si soudaine animation. Le patron se précipite mais les deux voyageurs lui expliquent qu'ils sont ravis et tout le monde se regroupe devant le petit écran, chantant à tue-tête tandis que le restaurateur apporte limonades et rosé frais. Guido venait de trouver le lieu idéal pour son spettacolo estivo ! Ça se passait toujours ainsi avec lui. È cosi !
Et CV, lui, comment avait-il commencé ? La vraie question serait: comment avait-il fini, terminé sa première vie ? Ornella, en tant qu’amie très proche du ménage, avait vécu de près tous ces moments-là, les soirs de désespoir, coups de poignards, les surprises, regains d’enthousiasme … Il avait achevé sa dernière mission d'ingénieur-béton un soir de décembre, sans savoir qu'au deux janvier suivant il ne serait pas repris. Le cabinet n'avait pas fait le chiffre attendu au moment de Noël, il fallait donc réduire le personnel. Alors tout en cherchant un autre emploi, quand il se vit proposer de faire un bout d'essai pour un spectacle de cirque qui devait tourner en Piémont-Lombardie, il accepta sans se faire violence. Et il fut excellent — rien d'un débutant. Dès lors, plus jamais il ne se mit en quête d'un autre moyen de gagner sa vie. Lorsque les tournées prenaient fin, il retrouvait une activité d'animateur bénévole à la 'Maison du Peuple' de Grugliasco. Pardon, ce n'est pas sous ce nom qu'on désignait son club, mais, dans mon esprit, c’est ce que représentait cette association. Clown et fonctionnaire, alors ?
III
Ce n'est ni autour d'un karaoké ni après une perte d'emploi que Guido et CV avaient fait connaissance — mais ç'aurait pu. La rencontre eut lieu dans un parc où, sans s'être concertés, tous deux avaient accepté de participer à une soirée de bienfaisance. Leur rôle consistait à faire, en tenue de clowns bien sûr, l'accueil des généreux donateurs. Les deux compères se faisaient payer une heure, mais en donnaient cinq sur les lieux, dans les allées, sur scène ou en salle de restauration; sans parler du temps passé en visites préalables. Qu'importe ! Ils ne travaillaient jamais pour l'argent, toujours pour les enfants malades, "il n'y a plus grand-chose, disaient-ils, qui nous rattache à nos glorieux ancêtres, alors ça, on y tient." On le voit, ils avaient déjà deux points communs. Sans parler d’Ornella, encore présente ce soir-là, si pleine de vie, le sourire radieux sous ses boucles blondes, traversant le grand parc un bras sur l’épaule du clown blanc, l’autre sur celle de CV. Toute émue, elle se souvenait d'une remarque faite par des enfants, lorsque tous deux participaient à ce genre de soirée : « c'était bien, Madame, disaient ces jeunes spectateurs, il y avait deux vrais clowns. »
« Et les seuls vrais, ajoutait-elle, c'étaient vous.
— Peut-être, accepta modestement Guido. Jusqu'au jour où l’on s'est retrouvé à travailler tous les deux dans la même boîte. Mais pas dans le même emploi. Lui, il était supposé apporter sérieux et rigueur; à moi la fantaisie et la séduction.
— Le plus drôle c'est qu'il l'a fait en comique, et toi en sage, ou presque ... »
Vint alors le sommet de leurs deux biographies réunies. Chaque année, ils étaient chargés d'accompagner un voyage d'étude; ils emmenaient leurs futurs 'circassiens' au paradis du cirque, quelque part dans le Nevada, tout près de Las Vegas. Paradis dans tous les sens du terme car c'est le nom qui a été donné à leur ville d’accueil, située au sud de Vegas, dans Clark County. Bref, cette année-là, rien ne se passa comme d'habitude; à commencer par le troisième jour où les jeunes apprirent pendant le brunch que l'excursion prévue serait annulée par manque de cars scolaires. En compensation, on leur proposa de rester à l'école, mais de jouer en soirée devant un vrai public, celui qui avait réservé pour voir les apprentis du centre de formation américain. Ce soir-là, ils joueraient tous ensemble. Pendant huit heures d’affilée, les italiens se préparèrent, répétèrent, choisirent leurs entrées les plus réussies. Et le spectacle eut bien lieu, devant un auditoire ravi. Au moment de ranger le matériel et couper les éclairages, on remarqua un homme au sol dans un des vestiaires des artistes; il semblait évanoui. C'était CV. On fit appel aux secours d'urgence, dont un médecin, qui fit une injection — un sédatif peut-être — et écrivit une lettre recommandant le patient à l’un de ses confrères de la ville.
CV fut reçu le lendemain au vingt-cinquième étage d'une grande clinique de Las Vegas; après une radio effectuée en toute hâte, le spécialiste semblait perplexe: "Il me faudrait des examens approfondis, et vous n'avez pas le temps de commencer cela ici. On a certainement affaire à un syndrome préoccupant; je vais vous donner de quoi retrouver une vie normale pendant quelques semaines, ce qui vous laissera le temps de voir un spécialiste dans votre pays. Je connais bien à Milan un éminent gastro-entérologue, le professeur Pietro Borrello. Je lui fais un courrier à votre sujet, mais ne perdez pas de temps avant de prendre rendez-vous."
Ornella n’était pas du voyage cette année-là ; mais elle connaissait la suite, elle qui rendait visite à CV chaque semaine de ses derniers mois de vie. Ne pas lâcher, ne pas céder aux ombres, CV savait à quoi il était destiné, ne pas lui faire l’injure de faire semblant …, mais l’entendre accepter chaque nouveau clin d’œil de la vie.
Guido, ne sachant comment quitter Ornella, murmura, presque pour lui-même: « En tout cas, … il y a un truc auquel je ne crois plus, c'est cette littérature du clown triste, qui se pose devant le public pour pleurer; celui-là ne sera ni un Auguste, ni un Yaourth — un mauvais comédien peut-être. Le palliaccio, lui, va se cacher pour pleurer à couvert."
Quant à l'écrivain, il doit toujours se protéger — mais pour écrire; il est cerné par le travail, les enfants qui jouent, la voisine qui vient le déranger à tout bout de champ parce qu'elle est jalouse de la page qu'il est en train d'écrire: auguste et inutile, le clown n'a pas besoin de se protéger, sa cause est entendue dès le départ.
Enfin, de son vil échafaud,
Le clown sauta si haut, si haut
Qu'il creva le plafond de toiles
Au son du cor et du tambour,
Et, le coeur dévoré d'amour,
Alla rouler dans les étoiles.
Jerome Smith-Collier (avril 2022)
jer_smith-collier.auteur@laposte.net
Photo 1. <www.sheffield.ac.uk nfca/projects>. 2. <I clowns. cinepages. wordpress.com> Les citations sont de Théodore de Banville, "Le Saut du Tremplin", in Odes Funambulesques, Paris, Poulet-Malassis et De Broise, éditeurs, 1857.