

Moments volés 1997
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Moments volés 1997
Ma vie d'interprète a longtemps suscité les questions de mes proches: est-ce que j'aimais voyager? Aller à la rencontre de l'autre? Que cherche-t-on à travers ces déplacements incessants, ce métier de touche-à-tout? N'est-on curieux que de soi, au fond?
Encouragée par une question de l'un de mes enfants "Maman, quelle a été ta meilleure année jusque là?", j'ai farfouillé dans mes archives et retrouvé un texte compilé en 1997. En le relisant, j'ai été touchée par l'immaturité, le rythme, la vitalité et une impression de "mal dégrossi" qu'il dégage. En un mot, par sa jeunesse.
Alors, non, 1997 n'a certainement pas été ma meilleure année (littéraire en tout cas!) - ma meilleure année, sur tous les plans, c'est toujours maintenant. Mais j'aime bien les histoires et en voici une, parmi mille autres.
1997
Il semble que tout ne soit qu’une suite de moments aussi aléatoires qu’improbables. En relisant les pages du premier semestre, je n’y vois qu’une série de moments disparates : des moments atroces, des moments de lumière. N’importe quoi, n’importe comment.
6 janvier
Le matin, verve joyeuse et inespérée. Puis l’après-midi, on essaye de m’étouffer. J’ai survécu. Les exercices de camouflage deviennent de plus en plus épuisants.
7 janvier
Amertume, rage, fatigue.
8 janvier
Haine.
9 janvier
Fragilité. Mediterraneo.
10 janvier
Etre privée de liberté. Je ne suis pas forcée de faire ce que je suis déterminée à éviter. Rares attentats. Bien plus souvent, c’est devant le spectacle de mon hésitation qu’on me lie les mains. Quand je ne sais pas si je veux ou non, on m’oblige à choisir, on m’oblige à aimer. C’est là que réside une vraie violence, contre laquelle je ne suis pas capable de me protéger.
13 janvier
Curieusement, ma distance aux choses s’est réduite aujourd’hui. J’ai partagé ma journée avec un aigre mollusque.
14 janvier
Je me traîne comme une âme en peine.
19 janvier
Vide, impossible de me mettre à l’étude.
20 janvier
…
21 janvier
…
22 janvier
L’angoisse et le malaise des derniers jours se dégonflent brutalement comme un ballon de baudruche percé, après le fiasco du concours. Je me sens libérée, les choses, les gens sont une révélation. Il ne me reste qu’à affronter les regards mornes, les visages de circonstance et les remarques déplacées.
5 février
Départ pour Copenhague. L’air froid mord, le paysage est clair et glacial. Le soir, le coucher du soleil est interminable, je me balade le nez pointé vers les étoiles.
7 février
Retour à Bruxelles, départ immédiat pour Paris. Je me balade sous la pluie avec Y. et ses amis crétois, je profite de leur culture personnelle, fumant installée sur le balcon de la cuisine, attentive lors de la soutenance de thèse en sociologie de T. , qui me raconte que l’amour n’est qu’un épiphénomène local et je confonds le jour et la nuit, je me laisse aller.
13 février
Je fais la connaissance de Moscovici à la fac, lors de la soutenance de T.. Heureusement pour moi, je suis ailleurs, je ne me rends pas compte du temps qui passe. Je disserte en sortant sur la barbe de Moscovici, aussi indigeste que ses bouquins. Y. rit beaucoup, il me trouve désopilante.
17 février
Je fouille dans la poubelle pour retrouver mon journal bleu, jeté quelques jours plus tôt. Départ pour Londres. J’ai passé la soirée à croiser dans Soho, riant malgré la pluie, et à en écumer les bars avec S., décidément excellent compagnon de ripailles !
20 février
Certaines pages sont litaniques, mes journées s’écoulent sans que j’y goûte parfois. A vouloir tout embrasser d’un même regard, je ne distingue plus rien. Je reste là, debout, éberluée sur un quai de gare, à voir ma vie partir en fumée sans comprendre. Départ pour Lyon.
21 février
Mon père fête ses 60 ans. Je m’éveille. Piaillements d’oiseaux, rumeurs lointaines d’enfants et de ville. L’air et la lumière rentrent à pleines bouffées dans la chambre et se cognent contre les murs blancs. La chape de plomb bruxelloise est loin.
S’ensuivront Luxembourg, la Haye, Londres et encore Paris, Berlin, Tallin, Skiathos. Tous ces voyages sont entrecoupés des soubresauts de ma relation avec Y., qui, doucement, se désagrège.
5 juin
J’ai 29 ans aujourd’hui. Je débouche une bouteille de champagne en regardant la mer Egée.
10 juin
Je viens de relire, le cœur gros, quelques pages de mon journal bleu. Comment m’en débarrasser ?
11 juin
Départ pour la Turquie, je suis émue. Atterrissage au Kurdistan et accueil en grande pompe par toutes les sommités locales sur le tarmac du petit aéroport.
12 juin
Au-delà d’une journée de travail fastidieuse, le marché : épices, pastèques géantes, aubergines… Des gamins noirauds galopent dans les rues, les odeurs montent à la tête. Je suis émerveillée.
13 juin
Un voyage aux frontières de la Syrie. Soleil, poussière. Un beau rêve.
14 juin
Voyage à Istanbul. Jaune comme un coing, je vacille jusqu’à ma chambre d’hôtel. V. m’offre sa présence secourable.
15 juin
La mosquée bleue et Sainte Sophie (glaciale et sombre) m’impressionnent et m’intimident. Retour à Bruxelles ; le soir, havre de paix.
17 juin
Départ pour Barcelone. J’ai oublié mon stylo-plume, la bille gratte le papier, une véritable offense. J. m’attend.
18 juin
Visite de monastères romans sur la route qui sillonne la Catalogne occidentale. Sauts de puce de village en village jusqu’à Lleida, ville morte. Châteaux, cloîtres, villages de pierre, ermitages au milieu d’oliviers argentés et de forêts de pins. J. et moi égrenons les étapes et notre histoire.
19 juin
De nouveau, pleins de poussière, les yeux plissés à cause de la lumière, on avale les kilomètres. On redescend l’Ebre sans pour autant arriver jusqu’au delta. Village englouti de «Cami de sirga ». Soirée fantôme à l’ Arbocet. Imposture.
20 juin
Les premiers mots ont suivi leur cours. On est arrivé au bout de la mèche de dynamite. C’est l’explosion. La violence de l’agression n’a d’égale que sa banalité. On suit les traces de Lluis Llach, de Porrera au col de la Teixeta. Plage le soir.
21 juin
C’est l’érosion, petit à petit, J. et moi démontons tout. Port le soir, l’air est poisseux.
22 juin
Retour à Bruxelles.
23 juin
Cette fois-ci, je n’ai vraiment plus besoin du cahier bleu.
Puis viendront l’Italie, la Grèce (un voyage d’Icare à l’envers), l’Autriche, Madrid, Luxembourg, Gand. Août, septembre, octobre se succèdent. J’héberge successivement mon frère et J., ce qui me permet de tenir Y. à distance.
4 octobre
Nous faisons nos adieux à J. qui nous quitte subitement. La nouvelle est tombée il y a deux jours, il part comme un voleur tenter une vie de poète ou d’ermite aux Canaries, sur une île minuscule battue par les vents. Je me l’imagine sur son volcan atlantique, j’ai le cœur gros.
6 octobre
Retrait. J’ai besoin de me pelotonner pour songer. Exorciser ma nuit de cauchemars, d’abandon. J’envoie valser les invitations à des soirées d’épanchement sur l’épaule d’un ami. Petit à petit, je fais le vide autour de moi. Mon frère est parti ce matin.
14 octobre
Je me balade à Lisbonne, j’ai fui mes collègues. Le regard perdu dans les eaux du Tage, je serre le journal intime cubain que J. vient de me faire parvenir. Je serre 36 pages d’une de ses dernières déclarations d’amour. Retour à Bruxelles.
16 octobre
Fin. Je quitte Y.. Il m’est arrivé cette nuit une aventure symbolique. Hier soir, j’avais enfilé au majeur, au lieu de l’annulaire, la bague que Y. m’avait offerte en Crète, de peur qu’elle ne glisse de mon doigt trop maigre. Je suis sortie danser avec V.. Mes mains ont enflé de telle sorte cependant qu’il m’a été impossible d’enlever la bague en rentrant me coucher. Je me suis mise à tirer dessus comme un beau diable, en utilisant du savon. Rien à faire. Je me suis mordu le doigt jusqu’au sang de rage. Puis j’ai dormi avec. Au réveil, nouvelle tentative. Après maints efforts, en me râpant et m’écorchant, en serrant les dents pour supporter la brûlure, j’ai réussi à l’ôter. Mon doigt est resté rouge vif toute la journée.
26 octobre
Mélancolie. Pourrai-je vivre avec ce doute ? Avec moi-même ? Avec cette impression d’inachevé ? Quelles sont ces chimères ? Pourquoi est-ce que j’imagine toujours qu’il existe une réalité plus idéale, plus pure, plus parfaite ? Une sorte de constellation des meilleurs moments, des exigences les plus dures ?
27 octobre
Y. revient. Je me sens tel un véhicule trop lourd dont on n’arriverait pas à redresser la trajectoire. Il faut bien pourtant que je l’écrabouille.
3 novembre
Escapade à Lyon. Epanchement. Le message paternel passe, presque sans mots. Je me laisse dorloter, vaguement inquiète, vaguement honteuse. Je reçois la seule lettre raisonnable que J. m’ait jamais écrite, elle me décourage.
16 décembre
« Le découragement est horizontal, non accessible aux perturbations ». B., passablement éméché, me cite Henri Michaux, affalé sur mon canapé. Pioché au hasard des pages. Heureuse journée. En l’écoutant disserter, je place quelques cigarettes dans une petite boîte, nos provisions pour la soirée. C’est pour éviter de me geler les doigts en les roulant dehors dans la brume glacée du mois de décembre.
La fin de l’année est ponctuée de soirées d’excès et de mal aux cheveux le lendemain. Je sors beaucoup, je danse sur les tables, je me débarrasse de tous les bijoux que Y. m’avait offerts. Je travaille d’arrache-pied et voyage tous azimuts, je sors pour oublier la fatigue et l’abrutissement de ces missions qui me téléportent aux quatre coins de l’Europe, je travaille pour oublier la fatigue et l’abrutissement de mes indécisions, je me cache parfois et efface des dizaines de messages sur mon répondeur sans les avoir écoutés. Je lis alors « Crime et châtiment » en quelques jours, j’écris et je mets tout à la poubelle à trois heures du matin. J’enchaîne deux heures de danse classique, cinq heures de vélo et une soirée à la piscine. Je rebranche le répondeur.
Mes virées nocturnes me valent l’assiduité d’un grand nombre de prétendants. Mais tous ces mâles me pompent l’air. Il n’y en a qu’un qui m’intéresse. Un seul à qui me relie le fil ténu de la passion malheureuse, que nous avons choisie parce que c’est tellement plus romantique. Nous sommes bel et bien deux tristes imbéciles.
31 décembre
Ce texte s’appellera « Moments volés ».


Basty 1 giorno fa
Fantastique !
Une vraie vie vraiment très vivante. Beau, grand, libre, touchant... une vie idéale ;-)
Encore toi sur la photo, ce même air tout tranquille et innocent... mais le journal en dit tout autre chose ! ;-)
Sandrine Cartier 3 ore fa
Merci beaucoup! Je teste différentes pistes d'écriture de soi.. Celle du journal intime en est une, d'où "Miroir, miroir" et les photos.. Le prochain thème sera le feu, mais pour l'instant, page blanche. Je vais sortir au grand air, dans l'espoir que ça l'attise. A très bientôt!