Vous faites du tourisme ou c'est pour affaires ?
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Vous faites du tourisme ou c'est pour affaires ?
On peut être sédentaire et même casanier, ne pas avoir un goût particulier pour les voyages, et pourtant se retrouver amené, bon gré mal gré, à voyager quand même.
On peut s'y trouver amené par nécessité professionnelle : c'est le fameux voyage d'affaires. Non, pas dans le genre popularisé par le célèbre film d'Emir Kusturica, mais un vrai voyage dans le cadre professionnel, que ce soit pour visiter des clients ou des fournisseurs ou bien pour rencontrer des collègues au-delà de son lieu de travail habituel lors de colloques, conférences, tables rondes et autres symposiums. Ou même pour des réunions au sommet si l'on se trouve avoir des responsabilités politiques ou managériales de haut niveau. N'oublions pas non plus, dans ce contexte, les foires, salons et autres manifestations du même tonneau, qui permettent à un grand nombre de professionnels d'une même branche de se rencontrer et d'échanger expériences, outils de travail, innovations diverses, et de comparer performances et résultats obtenus.
Certains métiers sont même indissociables du concept même de voyage, l'archéologie par exemple ou la paléontologie. Beaucoup de travaux de recherche nécessitent des voyages de par leur nature même (l'ethnologie par exemple) ou de par l'objet de leur étude (par exemple des espèces animales ou végétales qui ne sont pas locales) - et là, ne pas aimer les voyages est réellement un handicap. C'est un handicap à chaque fois que l'objet de l'étude comporte au moins un élément qui n'est pas disponible localement mais qu'il serait impensable de ne pas aller examiner sur place.
On peut s'y retrouver amené de par ses études : cela va de la classe de neige, de mer ou de campagne aux études à l'étranger en passant par les échanges, les séjours linguistiques et les travaux de recherche pour le mémoire de fin d'études ou la thèse de doctorat.
On peut s'y retrouver amené du fait de l'éloignement de sa famille ou de ses amis. C'est notamment le cas pour les expatriés, qui n'ont que leurs vacances pour seule occasion de visiter la famille restée au pays. C'est aussi le cas lorsque famille ou amis sont restés géographiquement proches... à vol d'oiseau, mais que l'état et la disponibilité des voies de communication sont tels que se rendre chez eux représente toute une expédition, à telle enseigne parfois que toute visite chez eux implique de loger sur place (ou de les héberger chez soi si ce sont eux qui viennent en visite).
Ou bien on peut aussi avoir tout simplement envie de faire du tourisme et de partir en vacances. Certes, "vacances" n'a pas toujours été synonyme de "partir" lorsque les congés payés ont été institués, même si c'est à cette occasion-là que beaucoup de familles modestes ont eu l'occasion de voir la mer pour la première fois. C'est qu'il faut de l'argent pour pouvoir voyager, et le fait est que beaucoup de ménages modestes ont longtemps eu d'autres priorités (acquérir le toit au-dessus de leurs têtes par exemple, à une époque où le crédit logement n'était pas encore la norme et où les banques ne prêtaient vraiment qu'aux riches). Mais à l'heure actuelle, il est généralement admis que se dépayser au moins une fois par an est indispensable à l'équilibre mental d'un individu assailli tout le reste de l'année par des contraintes professionnelles, familiales et sociales, à telle enseigne que la plupart des gens n'ont pas l'impression d'avoir véritablement eu des vacances s'ils ne sont pas partis et s'ils ont passé leurs congés annuels tout simplement chez eux. Ça fait maintenant des décennies que le tourisme est devenu une industrie à part entière qui a ses métiers spécifiques, dont le bénéfice n'est plus réservé à une élite et qui assure la subsistance de millions de personnes à travers le monde.
Certains esprits chagrins se désolent de cette situation, pour plusieurs raisons.
Leur raison de base, celle de laquelle tout procède, est qu'à leurs yeux, voyager est - ou en tout cas devrait être, et surtout rester - un luxe, pas une nécessité.
Et pour eux, cela entraîne deux choses.
La première, c'est que comme tout luxe qui se respecte, non seulement il devrait être réservé à ceux qui peuvent se le permettre, mais aussi, il n'est soutenable et durable que tant qu'il n'est pratiqué que par peu de gens, et sa démocratisation a surtout amené avec elle toute une traînée d'autres problèmes que, bien entendu, personne n'a jamais su anticiper au départ, depuis la pollution de l'air et des mers jusqu'à la circulation des agents pathogènes en passant par la défiguration de magnifiques sites naturels désormais ensevelis sous le béton et la perte d'authenticité de modes de vie entiers. Ce qui est supportable et peut être encaissé tant que ce n'est pratiqué que par quelques milliers de gens à travers le monde ne l'est plus et ne peut plus l'être une fois que ce sont des millions, et même des centaines de millions, voire des milliards de gens qui s'y mettent. Le simple nombre à lui tout seul suffit à poser problème. Ce sont les gens qui le pensent qui sont tout heureux de profiter de la pandémie de covid pour faire passer l'idée que nous devrions réviser nos modes de vie, nos façons de voyager et aussi notre façon de concevoir la liberté de circuler. Ce sont aussi ces gens-là qui, surtout s'ils sont assez vieux pour avoir encore connu l'époque où voyager au bout du monde n'était pas le fait de tout le monde, diront qu'auparavant, les gens ne voyageaient pas autant que maintenant, mais qu'ils n'étaient pas forcément plus malheureux pour la cause et que c'était peut-être même le contraire.
La deuxième, c'est qu'il leur paraît illogique de voir des ménages aux revenus modestes consacrer des budgets entiers à voyager pendant leurs congés alors qu'à leurs yeux de critiques, voyager est tout sauf une nécessité. Ils diront que la seule chose qui pousse les ménages d'aujourd'hui à agir de la sorte est le fait que partir pendant ses vacances est devenu un élément incontournable du conformisme ambiant, à tel point qu'à l'heure actuelle, n'importe qui serait gêné d'admettre devant son entourage qu'il n'est pas parti en vacances mais qu'il s'est contenté de passer ses congés annuels chez lui. Devoir le faire est aujourd'hui considéré à la limite comme un signe extérieur de pauvreté. Or, nous l'avons dit, partir en vacances, ça implique tout un budget. Un budget qui grève les finances des ménages modestes au nom d'un conformisme ambiant alimenté par toute une série d'habitudes inculquées par la société depuis le plus jeune âge (excursions scolaires, classes de neige et autres, échanges linguistiques), toute une imagerie et toute une publicité dont le but n'est rien d'autre qu'alimenter et faire tourner toute une branche de l'économie mondiale qui a ses propres magnats qui s'en mettent plein les poches, le tout sans égard à la limitation bien réelle des moyens des ménages modestes. Ceux qui critiquent cet état de fait ne manqueront pas de rappeler qu'au départ, le but des vacances instituées par les congés payés était le repos, pas le voyage. Le but envisagé était de permettre aux travailleurs de se reposer pendant une, deux, trois puis plusieurs semaines de toute la fatigue accumulée pendant toute une année de travail, de responsabilités, d'obligations et de contraintes diverses. Or, diront nos critiques, le voyage, et par conséquent les vacances telles que les conçoivent les vacanciers d'aujourd'hui, n'ont plus rien à voir avec des périodes de repos. Déjà, le voyage en soi est fatigant, à l'aller comme au retour. Et pendant la période entre les deux trajets, les vacanciers n'auront pas l'impression d'avoir réellement profité de leurs vacances non seulement s'ils n'ont pas fait la crèpe pour bronzer sur une plage (sans toujours éviter les coups de soleil), mais aussi si en plus de ça ils n'ont pas visité tous les musées et attractions du coin en se tirant du lit dès potron-minet et mangé dans tous les restaurants des alentours et s'ils ne sont pas sortis tous les soirs dans tout ce que l'endroit pouvait offrir de spectacles, discothèques et autres buts de sortie - et nous ne parlerons même pas des vacances des expatriés qui voudraient faire tout ça et visiter une famille élargie où tout le monde tient à les recevoir et aussi en profiter pour faire l'une ou l'autre bonne affaire intéressante au pays - et aussi pour faire plus généralement tout ce qu'on aurait envie de faire mais qu'on ne peut pas faire le restant de l'année parce qu'on doit travailler. Tout cela, bien sûr, condensé sur deux ou trois semaines - à moins d'être retraité, donc d'avoir le temps de prendre son temps et aussi la pension de retraite qui donne les moyens de le faire (ce qui est loin d'être garanti pour tout le monde). Ou d'être rentier (mais là nous sortons du cadre des ménages modestes). Les choses prennent parfois une ampleur telle que dans des cas de plus en plus nombreux, il faudrait presque prendre des vacances pour... se reposer de ses vacances ! Pour se reposer de vacances qui ont été tout, sauf du repos. Là où pour nos ancêtres, rester chez soi et se contenter d'y faire la grasse matinée était déjà largement suffisant en termes de vacances et de repos. Donc les critiques de cet état de fait estiment que les ménages modestes d'aujourd'hui travaillent comme des bêtes de somme pour se payer entre autres choses des vacances de tourisme (pour lesquelles certains vont jusqu'à s'endetter !) qui leur coûtent leur argent, leur temps et leur énergie mais sans leur apporter pour la cause le repos tant désiré dont ils auraient de fait tant besoin. Notons que ce sont les mêmes critiques qui affirment qu'en matière de voyages d'affaires, beaucoup de réunions, conférences, colloques, congrès et autres symposiums pourraient tout aussi bien se dérouler en distanciel, surtout avec toute la technologie dont nous disposons à l'heure actuelle, et que cela ferait gagner de précieuses ressources à tout le monde - et qu'en la matière, le covid n'a fait qu'accélérer une tendance qui lui préexistait déjà et une évolution qui ne relève en fait que du simple bon sens. Ceux-là ne manqueront pas de souligner toutes les collaborations internationales qui se sont faites en virtuel dans tous les domaines, artistique notamment, dont les parties prenantes reconnaissent qu'elles auraient été impossibles sans l'Internet, et ils en profiteront pour se féliciter d'un progrès technologique qui pourtant, lui non plus, n'a pas que des avantages.
À ces esprits chagrins, on peut répondre qu'il est acquis depuis des siècles, voire des millénaires, que les voyages forment la jeunesse - une des coutumes des classes aisées d'antan était de faire faire à leurs jeunes "le grand tour", c'est-à-dire de leur faire visiter les hauts lieux de différents pays, avant de les lancer dans leur vie active - et l'époque actuelle ajoutera de façon opportune qu'ils contribuent aussi à ouvrir l'esprit des adultes (même si nos chers esprits chagrins doutent encore du degré d'instruction et d'évolution des masses et pensent encore toujours qu'ils n'ont pas la formation nécessaire pour être capables d'en tirer profit) et qu'ils leur montrent au moins que d'autres modes de vie et d'autres cultures existent, qui valent la peine qu'on s'y intéresse. D'autres paysages aussi, dont la beauté mérite d'être appréciée, et d'autres climats, souvent plus agréables. Et même si le fait de se cultiver est plus un effet collatéral que la préoccupation première de la plupart des touristes, au moins le voyage représente pour la plupart d'entre eux une parenthèse bienvenue dans un quotidien tellement voué à l'efficacité que même rester chez eux ne leur suffit plus en termes de repos parce que tout leur y rappelle les obligations qui y sont liées et donc une certaine culpabilisation à y rester sans au moins faire ceci ou cela.
Mais toute cette culpabilisation liée à l'idée de ne rien faire n'a-t-elle pas débordé également sur les vacances et sur le voyage ? Est-il normal d'en arriver à penser qu'on aurait bien besoin de congés pour se reposer de ses vacances ? La question mérite au moins d'être posée. Même s'il est indéniable que vu l'investissement qu'il représente, une des raisons de cet état de fait est le désir bien légitime qu'ont les gens d'en avoir pour leur argent...