Chapitre 3 - Jusqu'au bout de la nuit
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Chapitre 3 - Jusqu'au bout de la nuit
Après bien trois heures de réflexion intense, il est temps d'annoncer à Jacob quel métier je veux faire. Je prends mes clics et mes clacs, et je sors de ma maison bien trop grande pour moi seule. Il y a beaucoup de monde sur les chemins, j'imagine qu'ils partent tous faire la fête comme tous les soirs de la semaine. Enfin, si nous sommes en semaine, parce que les calendriers ne se précipitent pas par ici. Je pense que personne n'a fait attention à la date en arrivant alors c'est comme s'il n'y avait pas de calendrier. Comme il n'y a pas d'heures non plus. On se repère à la situation du soleil dans le ciel. Autrement, nous sommes maîtres de notre temps. C'est bizarre comme les journées paraissent beaucoup plus longues sans tous ces détecteurs temporels. Je dois dire qu'on profite mieux de nos journées, je me suspecte quand même à me lever bien plus tôt que lorsque j'avais l'heure à ma disposition.
- Salut.
Jacob m'accueille dans son bar un grand sourire aux lèvres, comme toujours. Je me demande comment peut-il faire pour être aussi heureux à chaque instant de son étrange vie.
- Salut. Je suis venue te dire que je sais quel métier je veux faire. Enfin, à peu près.
- Ah ! Alors je t'écoute.
- J'aimerais bien travailler dans la réalisation des produits. C'est-à-dire, si c'est pour des vêtements choisir le tissu, les couleurs, les modèles. Mais aussi viser une clientèle précise pour offrir aux clients quelque chose qui leur convient parfaitement selon leur âge et leur style.
- Wouah. Tu étais directrice marketing dans une autre vie ?
- Peut-être.
Je le regarde en souriant et attend son verdict.
- Ok, alors choisi un secteur d'activité qui te plairait. Ou plusieurs même puisque nous n'avons encore personne pour faire ce travail. Je te laisse choisir. Si tu veux plus de temps tu peux en prendre.
- Merci.
- Tu n'as qu'à faire le tour des petits commerces puis tu reviendras me dire pour quel(s) commerce(s) tu veux travailler.
- D'accord, je vais faire ça. A plus-tard.
Je suis assez heureuse de pouvoir choisir mon secteur d'activité. Dans la vie courante (en dehors de cette île) nous sommes obligés de faire des études et nous sommes contraints à nos notes quand on n'a pas géré ou aux exigences des professionnels et écoles. Ici, on peut choisir ce qui nous plaît vraiment sans n'avoir de réelles contraintes. A part peut-être qu'on nous demande de changer de vocation si nous faisons n'importe quoi. Après le tour des commerces et surtout après avoir choisi de travailler dans la mode, je décide enfin d'aller l'annoncer à Jacob. Arrivé au bar, je le vois occupé à discuter avec un couple. Les enfants chahutent autour d'eux. Ce serait sûrement bien mieux pour ma sérénité et même ma vie que j'évite de produire ce type d'énergumène. Après tout, quand tu en fais un tu as plus de chance d'en faire un chiant qui va baver partout qu'un tout petit et tout mignon, autant que peut l'être un enfant. Je me fais interrompre dans ma rêverie par quelque chose qui me bouscule. Quand je me retourne je vois le bel homme de la dernière fois, cette fois-ci c'est lui qui a l'air de fuir quelque chose ou quelqu'un.
- Ah, salut.
Cette fois il n'a pas l'air très rassuré, j'imagine que c'est à moi de prendre les devants.
- Salut. Alors, on fuit quelque chose ?
- Euh quelqu'un, oui.
- Qui donc ?
- Une fille. J'ai l'impression de les attirer comme des mouches dans du miel.
Eh bien l'humilité n'est pas une vertu chez lui. Je dirais même qu'il devrait avoir les chevilles bien gonflées pour maintenant.
- Ah d'accord...
- Je veux dire que je suis allé à une soirée chez ma soeur, là-bas j'ai traîné avec ce groupe de filles et certaines d'entre elles ont l'air de beaucoup m'apprécier. Mais pas moi, et maintenant elles me collent.
J'hésite entre à moitié humble et/ou à moitié narcissique.
- Ah ok. Bon je dois y aller, salut.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre et je m'en vais. En pensant à lui je me dis : trop beau, trop con. Il n'y a que des beaufs qui ont aterri ici ou quoi ?!
* * *
Au réveil ce matin, toujours la même vue m'accueille. Je sens qu'une longue et belle journée m'attends. Mais pour l'instant je prends mon petit-déjeuner et je vais voir Jacob. J'ai dû me lever tôt puisque la ville n'est pas encore tout à fait réveillée. L'air est frais, une bonne odeur de café traîne par-ci par-là, taquinée par des odeurs de croissants et de pains au chocolat.
- Salut !
J'ai dû parler trop fort puisque tout le monde s'est retourné sur moi et Jacob a sursauté en faisant tomber sa tasse de café.
- C'est qu'elle est bien matinale la demoiselle.
Il me regarde avec ses yeux fatigués et un sourire aux coins des lèvres.
- En effet, je suis venue te dire que j'ai décidé de travailler dans la mode. Mais toute la mode. C'est-à-dire les vêtements, les chaussures et même les sacs.
- Cela tombe bien puisque j'ai eu le temps de te chercher un local. Je comptais justement te le faire visiter ce matin. Tu es prête ?
- Oh oui bien-sûr.
Arrivé au local, il m'explique que comme les maisons et toute la ville, il a été construit en matériaux naturels. Il me dit aussi qu'il a des vieux meubles dont il voudrait se débarasser. Cela lui ferait plaisir de me les donner pour mon activité. Il m'a aussi indiqué les meilleurs magasins de papèteries et la grande rue du commerce. Cette rue contient toutes les marchandes et tous les marchands de matériaux, de toutes les couleurs et de tous le styles. Il m'explique que ce sera là-bas que je trouverais le tissu et toutes les petites bricoles dont j'aurais besoin pour les confections.
- En revanche pour la main-d'oeuvre je te laisse gérer. Je n'ai pas à m'immiscer là-dedans.
- Très bien. Je vais travailler là-dessus. Tu as déjà fait beaucoup pour moi.
- Ce qui est normal. Bon, je t'envoie les meubles cet après-midi. Je viendrais à l'aide de quelques personnes.
- C'est très bien. Je t'attendrais ici alors.
- A tout à l'heure.
Je lui souri et il s'en va. Ma vie ici commence à prendre forme. Je ne sais pas si j'ai peur ou si je suis vraiment surexcitée. Ou peut-être les deux.
Les meubles ont été amenés en fin d'après-midi, j'ai eu le temps avant ça de trouver des employés et des accessoires pour remplir les locaux. J'en ai fait quelque chose de jolie et chaleureux, avec à découvert les étoffes de tissus. Tout est bien rangé et organisé. Ce qui m'a fait remarquer que j'étais complètement maniaque. Je ne fais que de ranger et nettoyer tout le temps, à la moindre poussière. Je me demande si j'avais à peu près la même vie avant celle que je crée ici. A ce propos, Jacob m'a dit que c'est après les deux ou trois premiers jours qu'on commence à se souvenir de notre passé. Cela va sûrement bientôt m'arriver alors. Je crains ce que je vais découvrir.