20 juin 2022

Après de grands discours en relation avec ce travail introspectif, spirituel et thérapeutique que je mène ici, revenons à des choses plus simples et factuelles.

Je me sens ici en retraite. Retraite de ma vie et de mes obligations, retraite du monde et de son agitation permanente, retraite pour me recentrer sur moi, laisser vivre ce qui est en moi, me reconnecter à des choses simples et pourtant si essentielles dans la vie. Cela ne veut pas dire que j'ai laissé en France dans un sac toutes mes préoccupations ! On ne se fuit jamais à soi-même, on part avec tout ce qu'on a dans la tête, où qu'on aille, et je prends le temps ici de les regarder, de les laisser sortir et s'exprimer en moi, au gré de mes journées et de la façon dont elles se présentent à moi.

Ma vie ici n'a rien d'extra-ordinaire ! Je ne suis ni en train de visiter des temples millénaires, ni en train de gravir des sommets enneigés, pas plus qu'en train de faire du kite surf toute la journée sur une plage dominicaine (;-)), je suis simplement en immersion, dans cette vie simple en connexion avec les éléments et la Nature, que Luis Felipe sa famille et ses amis me donnent à partager.

Je vais me baigner à la rivière le matin ; je me prépare à manger (les avocats ici !! mon peché mignon :-)), je lis beaucoup, j'écris, je joue souvent de la guitare, j'écoute beaucoup de musique, je me repose quand j'en ressens le besoin ; je discute beaucoup avec Luis Felipe surtout, Federica et leurs amis aussi, dans mon espagnol teinté de mots portuguais (eh oui, la proximité des langues me pousse à la facilité, et honte à moi, je n'ai pas poursuivi depuis quelques jours mes efforts d'apprentissage livresques ; je le fais plutot au quotidien, parlant en espagnol et comprenant les réponses en portuguais... et on s'en sort vraiment plutot bien !), je l'aide dans ses activités de jardinage en permaculture, dans ses activités communautaires essentiellement autour de l'église Estrella Azul du Daime. Je passe aussi beaucoup de temps seul, à me promener, à aller jusqu'au village à pied pour faire quelques courses, voir les cascades magnifiques aux alentours et m'y baigner... Je prends le temps de vivre et traverser les émotions, parfois douloureuses et difficiles, parfois plus apaisées et joyeuses, qui se présentent à moi comme ça d'un coup...Une vie riche et simple à la fois, où je prends aussi le temps de m'ennuyer, et de laisser émerger quelque chose en partant de là, une émotion, une envie, une réflexion personnelle, d'aller marcher, de jouer de la musique, d'écrire, comme ça se présente à moi...

Bref, je prend le temps de vivre, et de me laisser traverser par la vie, en m'ouvrant à tout ce qui vit autour de moi et qui ne demande qu'à être contemplé, l'espace d'un instant : le vent dans les arbres, la chaleur du soleil, le calme et la beauté des paysages, l'eau de la riviere qui s'écoule, le passage d'un oiseau ou des petits macaques dans le jardin, ou, toujours aussi extraordinaire pour moi, observer le vol d'un colibri, qui jamais ne se pose, battements d'ailes en vibration, extremement rapide et bruyant à la fois, on dirait le bruit des pales d'un ventilateur, qui vient picorer le nectar de quelques fleurs ouvertes dans le jardin...

Vous pourriez alors vous demander : pourquoi aller à l'autre bout du monde si c'est pour faire la même chose que ce que je pourrais faire ici en France?

Je répondrais que c'est une question d'état d'esprit. Détaché de tous mes impératifs et responsabilités en France, nourri de la philosophie de vie intégrative et communautaire que je découvre ici, je prends le temps de me réapproprier des vérités que je connais déjà, mais que je peux avoir des fois tant de mal à appliquer dans ma vie, pris dans la nervosité du quotidien.

Pour reprendre un peu le cours de ma réflexion philosophique de ce matin, je dirais que toute action est à la fois matérielle et symbolique. La dimension symbolique étant une voie d'accès privilégiée pour accéder à la dimension spirituelle. Pour exemple : prendre une douche, c'est à la fois laver son corps, en éliminer la saleté et la sueur ; c'est aussi laver ou au moins apaiser son esprit, évacuer nos préoccupations, nos soucis, nos frustrations de la journée. C'est donc se laver physiquement et spirituellement, à condition d'en adopter la démarche symbolique.

Si nous ne considérons pas chacune de nos actions à la fois sur un plan matériel et spirituel, alors nous séparons. Le travail, les activités ménagères ou de la vie quotidienne, le sport, que nous rangeons dans des activités physiques, corporelles et productives ; la réflexion, la méditation, la prière, la lecture comme des activités cérébrales et introspectives. De là, nous ne pouvons je crois qu'éprouver un sentiment d'incomplétude, qui peut se transformer en frustration et insatisfaction. Le travail vécu comme une tâche pénible, laborieuse et aliénante ; le ménage ou préparer à manger comme une obligation et un effort supplémentaire à produire dans notre journée déjà bien remplie ; le sport comme une exutoire, pour compenser et évacuer les tensions accumulées de la journée ; la réflexion, la méditation ou la lecture comme une activité intellectuelle désincarnée et déconnectée des impératifs de la vie pratique, comme un refuge du mental...

C'est au contraire en considérant chacune de nos actions dans leur dimension matérielle et spirituelle que nous pouvons je crois retrouver le plaisir et le contentement dans tout ce que nous faisons. Faire le ménage, c'est à la fois mettre de l'ordre dans son habitation, mais aussi dans son esprit et dans ses idées ; cuisiner et manger, c'est nourrir son corps, mais aussi éveiller ses sens et nourrir son esprit ; travailler, c'est exécuter une tâche productive qui, aussi pénible et rébarbative soit elle, peut avoir aussi pour but de nourrir un sentiment d'accomplissement et de réalisation ; étudier, c'est autant acquérir des connaissances que développer sa pensée et sa compréhension du monde, intellectuellement mais aussi expérientiellement ; méditer ou prier, c'est rendre grâce au processus de la vie tout autant que le vivre, le ressentir pleinement dans son corps autant que dans son esprit...

Bref, c'est sortir du dualisme de la pensée cartésienne pour retrouver l'harmonie de la vitalité qui nous anime, dont notre corps et notre esprit en sont l'un et l'autre les lieux de sa manifestation.

C'est une démarche qui nécessite une discipline et de la concentration dans chacune de mes activités quotidiennes, pour agir et ressentir en même temps, traverser et se faire traverser par, m'unir à mon action et m'y sentir pleinement vivant. Incarner une activité intellectuelle. Se relier à la dimension symbolique et spirituelle d'une activité physique.

Voilà un peu ma démarche du moment. Je ne vais pas dire que c'est facile et que je ne me laisse pas reprendre par mes automatismes habituels régulièrement, notamment ma propension à m'enfermer dans ma pensée ; mais en tout cas j'essaie de prendre le temps de m'associer aux deux dimensions, autant que j'arrive à en prendre conscience. Et mes hôtes en sont à ce titre de bons exemples inspirants.

NB : Super cession musicale hier soir, 3 guitares, chants des hommes, des femmes ou les deux associés, chants du Daime et autres chansons, tout ceci autour d'une bouteille de Jurancon, de foie gras ramenés de France et de fromage ramené du marché.. Un très beau moment de convivialité et de partage.