

Ch. 2. Chat perché, crampons et confidences.
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Ch. 2. Chat perché, crampons et confidences.
— C’est le voyage scolaire de ta fille qui te met dans ces états-là ? demanda Nadège, installée dans le fauteuil, un énorme chat noir sur les genoux.
C’était lui, Yule, la raison de sa présence chez Alice. Le choix du nom n’était pas un hasard (comme presque rien dans la vie de sa maîtresse). Ce gros matou aux yeux jaunes s’était imposé dans le domicile d’Alice le jour du solstice d’hiver que l’on appelle “Yule” dans certaines traditions païennes.
Elle venait à peine de se réveiller de sa rencontre onirique avec les Rois de la mythologie celte et n’avait eu d’autre choix que de le garder. Ce week-end, c’était au tour de Nadège de s’occuper du félin mythique.
— C’est pourtant pas la première fois que tu l’accompagnes. Et je croyais que tu aimais bien l’Ariège.
— En fait… c’est compliqué, soupira Alice.
—J’ai tout mon temps, insista Nadège. Et connaissant ton efficacité redoutable, tes sacs sont déjà prêts. Alors, je t’écoute.
— Bon, par où commencer…
Elle hésita. Puis, parla doucement.
— C’est pas vraiment le voyage. C’est… tout le reste. Ces derniers temps, j’ai ce sentiment de doute constant et diffus. Je me demande si je suis vraiment à ma place… ou si je fais semblant depuis des années. Et là, tout le monde attend que je grimpe encore une marche — la promotion, le poste de DRH.
Nadège arqua un sourcil.
— Et c’est pas ce que tu veux ?
— Si, si. Enfin, c’est ce que je voulais. Peut-être. Mais parfois, je me dis: et si je faisais fausse route ? Et si je passais à côté de quelque chose de plus… vivant ? Plus essentiel ?
— Un truc dans ce genre? dit Nadège en désignant d’un mouvement des yeux le téléphone d’Alice posé sur la table.
L’écran affichait un reel hyper léché en boucle : une femme rayonnante, robe fluide et coucher de soleil en fond, racontait d’une voix posée comment, après avoir été “brisée en mille morceaux” par une rupture difficile, elle était partie guérir sa blessure d’abandon dans un écolodge balinais, avait découvert son plein potentiel féminin, puis tout quitté pour devenir céramiste au Portugal. Trente secondes pour passer d’un drame à une renaissance. Avec filtre doré.
Alice baissa les yeux et rougit.
— Et tu crois que tout ça, c’est la vérité ? C’est ça, ton oracle intérieur ? Les algos qui te traquent parce que t’as cliqué une fois sur "épuisement professionnel" ?
— Je sais… mais ça fait rêver. Un peu. Et si j’étais faite pour autre chose ? Un truc… plus grand.
— Ou juste plus "instagrammable", non ? Ce que tu vis est déjà immense. Tu vis, tu élèves tes enfants, tu avances. Tu n’as pas besoin de tout cramer pour exister.
Alice ne répondit pas. Son regard restait accroché à la vidéo en boucle. Elle n’avait pas l’air convaincue par les arguments de sa collègue.
— Écoute, reprit Nadège d’un ton plus doux, les doutes, c’est normal. Et le choix t’appartient. Prends juste le temps de tout peser. Comme tu sais si bien le faire.
Elle lui fit un clin d’œil. Un sourire discret fendit enfin le visage sérieux d’Alice.
— Et prends soin de toi.
— Merci, dit Alice en la serrant dans ses bras.
Nadège la relâcha, puis, du doigt, la pointa avec malice :
— Bon, normalement, ce solstice d’été devrait être un peu moins glissant que celui d’hiver. À moins que tu trouves une plaque de verglas cachée sous les fougères ?
Alice répondit par une grimace traduisible par "Même pas drôle".
— Pas de cascades cette fois, d’accord ? Nadège prenait un malin plaisir à lui rappeler cette chute malencontreuse.
— Je prends mes crampons, au cas où, rétorqua Alice, attrapa son sac et celui de sa fille, et prit la direction de la porte.
Mais Yule lui barra la route. Alice sursauta, surprise. Le félin la fixait sans bouger, ses yeux jaunes plantés dans les siens comme s’il sondait les profondeurs de son âme.
— Il me fiche toujours la trouille, ce chat, dit Alice en secouant les épaules dans un frisson nerveux. Je ne sais jamais s’il me juge ou s’il me reproche quelque chose. Et je suis quasiment sûre qu’il lit dans mes pensées…
Nadège s’esclaffa de rire.
— Faut que tu arrêtes tes bouquins sur la mythologie!
Le chat, le regard chargé de mépris, reprit son poste d’observation sur la table du balcon. Le meuble grinça sous son poids, chancela dangereusement, et dans une tentative maladroite pour garder l’équilibre, le félin agita une patte arrière… expédiant au passage le livre oublié par Alice dans le vide.
Le recueil des Contes de la Roue de l’Année entama alors une chute spectaculaire du quatrième étage, frôlant les jardinières des voisins d’en-dessous.
— C’est pas censé être gracieux et habile, un chat? Nadège était pliée en deux de rire.
Alice regarda le chat qui affichait une indifférence si démonstrative qu’elle en devenait presque insultante, souffla de désespoir et quitta l’appartement en courant espérant ramasser le livre avant le concierge.
Rapidement récupérés par leur propriétaire, Les contes de la Roue de l’Année prirent place sur le siège passager. Alice doutait de pouvoir lire une seule page ce week-end… mais quelque chose lui soufflait que ce livre lui serait utile. Le hasard – ou son chat – en avait décidé ainsi.
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