Réflexion : Le Pain Déjuniste(1)
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Réflexion : Le Pain Déjuniste(1)
Avertissement : Le lecteur qui prendrait connaissance de cette publication sans connaître la June et le petit monde des G-marchés, trouvera quelques notions dans l’article “June qu’es acquò ?”(2)
Faire son pain, un acte fort
Un jour, je me suis fait la promesse qu’on ne me refuserait plus jamais de pain en raison de mes choix idéologiques. Moi, dont le père a connu la privation de liberté pour défendre ses convictions, il n’y a pas si loin de nous(3), en France.
J’ai aussi pris la décision, à un autre moment de ma vie, de ne plus accepter de poison industriel dans mon assiette. Comme je le relate dans “Ma Vie Sans Sucres Ajoutés”.(4)
Ces deux objectifs m’ont conduit à faire mon propre pain. Mais pas n’importe quel pain. Un pain adapté à l’alimentation humaine. Ce qui est loin d’être le cas d’une grande partie des pains vendus dans le commerce.
Je fais donc un pain au levain naturel, pétri à la main, comme celui de mes arrières grands-parents. Dans cet exercice, je trouve une satisfaction très particulière ainsi qu’une certaine liberté d’esprit.
Enfant, je laissais déjà parler ma curiosité culinaire et prenais plaisir à faire des gâteaux pour mes proches. Je m’affranchissais alors avec spontanéité du cadre établi des recettes pour y apporter ma touche. Spontanéité que je retrouve encore 40 ans plus tard avec mes variations sur les madeleines au levain ou sur le cake au beurre.
Ça vous rappelle un peu Bryan Ford(5) ?
C’est que vous avez les bonnes références. Comme quoi, même à plusieurs milliers de kilomètres de distance, même en étant issus de milieux très différents on peut vivre des expériences similaires et ressentir les mêmes choses en cuisinant selon les standards de nos cultures respectives. Oui, le pain est universel, quelle que soit la façon dont nous le faisons.
Le pain est universel. Pourtant chaque pain est unique et correspond à chaque artisan qui le façonne entre ses mains. Et parce que cela me correspond, les farines de mon pain ne sont pas seulement bios. Elles sont issues d’une filière locale qui se recrée sur le territoire Vauclusien.
Faire du pain ne s’improvise pas
Je ne suis pas boulanger de métier. Je ne me suis pas non plus improvisé boulanger en me levant un matin.
J’ai commencé par me renseigner. Et de fil en aiguille, j’ai bénéficié d’une formation prodiguée par Valentin, Meilleur Ouvrier de France et intervenant à l’Ecole Hôtelière de Lausanne, la plus ancienne école hôtelière d’Europe. Un homme aussi pédagogue que passionné.
C’est là que j’ai fait naître mon levain-chef, Matthias, comme le disciple du Christ qui remplaça Judas Iscariote parmi les 12 apôtres. Et c’est là que j’ai appris les gestes techniques qu’un boulanger à l’ancienne doit savoir maîtriser.
C’est tout ?
Une semaine de formation ne fait pas tout. Il y a eu la pratique. Encore et encore. Les erreurs, les réussites, la patience et la répétition ont pris le relais de Valentin pour parfaire ma formation. En somme, j’ai forgé pour devenir forgeron. Un forgeur de pain, pourrait-on-dire.
Je préfère me présenter comme éleveur de levain. Car adopter un Levain-Chef, c’est comme adopter un nouvel animal de compagnie. Il a ses besoins, ses exigences, ses préférences et ses faiblesses.(6) Mais ça vit plus longtemps qu’un chat ou qu’une poule. Dans de bonnes conditions, un levain peut même vivre plus longtemps qu’un humain. Est-ce pour ça qu’on leur donne parfois des noms de héros mythologiques ou de saints ?
Aujourd’hui, je transmets ce savoir à d’autres. Je ne m’en sens capable uniquement grâce à mon expérience. Je ne pense pas que j’aurais pu le transmettre aussi bien, immédiatement après ma formation.
Retrouver le temps
Le pain au levain de nos ancêtres demande du temps. Ce temps, c’est principalement celui des différentes étapes de fermentation et de repos de la pâte. A vrai dire, pendant que ça se passe, le boulanger s’occupe d’autre chose.
Ce temps est nécessaire pour que les bactéries du levain fassent correctement leur travail. Il va à contre-courant de la frénésie galopante qui a gagné notre société au sortir de la première guerre mondiale, quand l’histoire a pris un virage très serré. Frénésie qui va crescendo en ce premier quart du vingt-et-unième siècle.
C’est vers 1920 que les boulangers arrêtent la panification au levain, suite à l’apparition de nouvelles technologies et de la levure de boulanger qui permet de faire du pain en moins d’une heure, contrairement à la journée complète que demande la panification au levain. Et c’est l’un des facteurs notables liés à l’explosion des cas d’intolérance au gluten. En effet, les levures modernes n’ont pas cette propriété de digérer la partie du gluten qui va causer une inflammation intestinale chez l’humain.
C’est quand-même dommage de se rendre malade pour courir plus vite vers on se sait pas vraiment quoi.
Quand on fait son pain au levain, pétri à la main, on part d’abord à la reconquête de son temps et du sens qu’on donne à l’emploi de ce même temps.
Faire du pain pour sa propre maisonnée demande donc de s’organiser différemment de ce dont nous avions l’habitude jusque-là. Faire du pain pour d’autres est une étape supplémentaire de réorganisation. Elle a cependant l’avantage de venir s’imbriquer dans la première.
D’ailleurs, je pense que si j’avais commencé par faire du pain pour les autres en parallèle de mes activités professionnelles et familiales, je me serai découragé rapidement.
Du pain au G-marché
Nouvel arrivant dans le monde de la June, j’ai participé à mon tout premier G-marché en février 2024. J’ai commencé sobrement avec une conférence sur le Levain Naturel et un stand de pots de Levain-Chef issu de ma souche Matthias. Le tout agrémenté d’une fiche pratique et de publications sur mon site d’auteur pour accompagner ceux qui débutent.
Pour le G-marché du mois suivant, j’ai pris la peine de réfléchir à un format d’atelier pratique, adapté aux besoins de ceux qui veulent produire du pain tant pour leur famille que sur les G-marchés. Car il était évident que de simples documents et recettes, même rédigés avec soin, ne suffisent pas.
Enfin, après une consultation où les demandeurs ont exprimés leurs préférences respectives, se dessinait le G-marché du 14 avril 2024 et l’espoir de s’y procurer du pain, façonné par deux paires de mains à partir de la même recette de base.
Il va sans dire que dans ce contexte, le jugement et l’attente reprennent la place qu’ils avaient perdus. Notamment, parce que la notion de valeur d’échange devient une variable prépondérante de l’équation.
Le prix du pain, un sujet éminemment politique
J’avoue être détaché de l’aspect politique du prix du pain pour deux raisons.
La première est que je ne m’occupe pas de politique.
La seconde est que j’ai toujours considéré le pain comme un simple support à tartine et non pas comme un aliment de base.
Cependant, en proposant mon pain à d’autres, je ne peux pas ignorer les passions que déchaine la question. On s’en sert encore de nos jours comme levier pour soulever des révoltes.
Pour l’anedocte, mon boulanger local propose le même pain au levain que le mien. Sa baguette de 250g est vendue 2,50€. En connaissant le travail, le coût des matières premières et le coût de l’énergie, je sais pourquoi. En outre, c’est du pain qui se garde plusieurs jours et qu’on ne jette pas le soir parce qu’il est devenu trop dur. Mais tout le monde ne fait pas le calcul avant de juger. Ainsi, lorsque je prenais un café chez lui un dimanche matin, j’ai vu une vieille dame l’invectiver pour le prix “scandaleux” de son pain.
J’avoue que moi non plus, je ne lui achète pas sa baguette à 2,50€, ou très rarement. Parce que ça me revient moins cher de le faire moi-même.
J’ai eu droit aux mêmes remarques au moment de proposer une valeur d’échange en Junes. Même dans un milieu bienveillant par essence, le sujet demeure éminemment politique et peu soulever de vives passions.
Cela rend l’exercice d’autant plus intéressant. Et j’ai ma récompense dans les témoignages de ceux qui trouvent mon pain excellent.
Rencontre avec le peintre Radu Focsa sur un G-marché dans le Vaucluse
Le challenge de fixer une valeur d’échange en Junes
Fixer une valeur d’échange en Junes, c’est partir d’une page blanche.
En effet, la June est nouvelle et il n’existe aucun taux de change officiel avec les monnaies nationales, supra-nationales ou d’autres crypto-monnaies.
L’autre paramètre qui empêche d’avoir un référentiel de prix, c’est que l’offre reste à construire. Et c’est localement qu’elle se construit et qu’elle doit rencontrer sa demande. Evidemment, avec de la nourriture, on a plus de chance de rencontrer la demande qu’avec des cendriers en pâte à sel. Mais ce n’est pas non plus une évidence.
Le producteur qui veut fixer une valeur d’échange va aussi se heurter à plusieurs biais couramment observés sur les G-marchés. Celui de ses propres peurs qui le poussent à établir des prix mixtes. Celui de consommateurs qui voudraient vivre sous les cocotiers de leur seul Divende Universel. Et celui de se raccrocher à une comparaison avec l’Euro.
Pour moi le prix-mixte Junes/Euros est un non-sens. Certes, j’investi en Euros pour produire une marchandise de valeur qui sera échangée contre des Junes qui n’ont de valeur que celle accordée par ses utilisateurs et qui ne sont pas convertibles en Euros.
Je vois le séjour dans le monde de la June comme un séjour dans un pays hors zone euro. Lors de mes séjours en Afrique ou en Asie Mineure, j’ai participé à la vie locale pour me nourrir, me loger, me vêtir, me déplacer. Pour vivre tout simplement. Et il ne me serait pas venu à l’idée de vouloir payer en Yens. J’ai tout payé dans les monnaies ayant légalement court dans chacun des pays où j’ai séjourné.
J’investi donc en Euros pour proposer un pain que j’échange contre des Junes qui ne valent rien en dehors d’un G-marché. Et qui n’y valent pas plus à l’intérieur de celui-ci si je ne trouve pas d’offre pour répondre à mes besoins.
C’est un pas à franchir que celui de se dire qu’on investi pour bâtir l’avenir. J’avoue que ma méthode a été de la faire sans me poser de questions. Ce n’est pas forcément la meilleure. Mais il me semble qu’elle me permet de passer rapidement à des problématiques plus stimulantes, comme celle de développer de nouvelles recettes à base de levain.
Etablir un prix, ou une valeur d’échange, à partir d’une feuille blanche, c’est aussi accepter le risque de se tromper. Ou accepter d’apprendre et d’évoluer en tâtonnant. C’est aussi passionnant qu’une expérience menée dans le but d’éprouver une théorie. Et cela demande d’avoir confiance dans l’équilibre vers lequel le jeu de l’offre et de la demande vont amener les prix pour qu’ils soient justes pour le consommateur autant que pour le producteur.
Un juste prix pour le consommateur et pour le producteur exclu d’emblée des prix qui permettent de vivre sous les cocotiers de son seul Dividende Universel. C’est une donnée que j’illustre d’ailleurs dans la fable dystopique “1DU par Jour”. (7)
Tenter une comparaison avec les prix en Euros ne sera possible que lorsque tous les acteurs adopteront le même taux de change. Et nous en sommes loin. Déjà parce qu’il suffit de faire une à deux heures de routes pour constater des écarts de valeurs notables. Mais aussi parce qu’il n’y a pas encore de consensus au sein d’un même marché.
Cela peut paraître un joyeux bordel aux yeux de l’observateur extérieur. Mais c’est justement parce que nous en sommes encore aux balbutiements d’une nouvelle économie naissante. Elle n’en demeure pas moins prometteuse.
Argent trop cher !
Dans l’établissement d’une juste valeur d’échange pour l’acheteur et pour le producteur, le pain tient très certainement une place particulière.
Déjà, dans le paradigme des monnaies nationales et supra-nationales, comme le Dollar ou l’Euro, le pain est toujours trop cher. Il est soit trop cher pour notre santé, soit trop cher pour notre bourse.
Pour ces deux cas de figure, je propose la solution suivante : “Faites votre pain vous-même.”
Ce n’est pas la solution idéale. Mais c’est celle que j’applique au quotidien.
Qu’en est-il quand on veut s’offrir le plaisir de manger le bon pain de quelqu’un d’autre ?
Ne serait-ce pas l’argent qui est trop cher, comme le chantait le groupe Téléphone ?
Peut-être.
Je vois une autre problématique source de passions concernant le prix du pain. Avec l’avènement de la production de masse, on nous a habitué au mythe de la nourriture bon marché pour justifier de remplir nos ventres de “merde en boîte”, de calories vides, de bouffe qui rempli mais ne nourrit pas.
Finalement, échanger du pain contre une devise, quelle soit libre ou étatique, c’est loin d’être aussi simple que de le dire. Et j’admire les héros du quotidien qui se lèvent très tôt le matin pour nourrir leurs contemporains.
Dans le cadre particulier des G-marchés, je crois fondamentalement en l'intérêt de débrider notre créativité pour que chacun propose quelque chose échangeable contre de la June. D'autant qu'actuellement, les producteurs et vendeurs sont eux-même demandeurs de services pour lesquels ils ne trouvent pas encore, ou pas toujours, d'offre en June. Et paradoxalement, la plus grosse partie de la masse monétaire dort et s'érode en attendant de pouvoir circuler.
Références et Notes en Bas de Page :
(1) Si l’on doit me pendre pour ce calembour, je mourrai sur une note gaie. Et Bernard Ducosson fera mon épitaphe.
(2) “June qu’es acquò ?”, publié en avril 2024 sur Panodyssey : https://panodyssey.com/fr/article/economie/june-qu-es-acquo-1-65eptc8wr3rg
(3) Sous De Gaule puis Pompidou.
(4) “Ma Vie Sans Sucres Ajoutés”, ensemble d’articles en publication depuis juin 2020 sur Panodyssey : https://www.panodyssey.com/fr/creative/room/ma-vie-sans-sucres-ajoutes-9uwcc7d5trq8
(5) Retrouvez Bryan Ford sur https://artisanbryan.com
(6) "Prendre Soins de Son Levain", publié en février 2024 sur Panodyssey : https://panodyssey.com/fr/article/gastronomie/prendre-soin-de-son-levain-7uqk3fgpnka2
(7) “1DU par Jour”, publié en avril 2024 sur Panodyssey : https://www.panodyssey.com/fr/article/drame/1-du-par-jour-uwa2amagqquu
Photos de couverture et photos dans le texte : Daniel C. Muriot, collection privée, tous droits réservés
Photo de Daniel Muriot et Radu Focsa : Didier Cova, tous droits réservés
Jean-Christophe Mojard hace 5 meses
Je pourrais mettre beaucoup de choses sur le compte du manque ici, ou du climat très rude, mais tout simplement, je ne suis pas encore assez bien organisé pour franchir le pas. Peut-être à mon retour en France. En attendant, mon boulanger fait un pain au levain, je ne prends que celui-là.
À Tarbes, je prenais un double levain exceptionnel. On verra où j’atterrirai en métropole. Sans doute trouverais-je un boulanger du levain, un cultivateur de levain et qui sait, qui sait, je pourrais m’y mettre alors, en suivant tes conseils.