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Première esquisse de Mada

Première esquisse de Mada

Publicado el 17, jul., 2024 Actualizado 17, jul., 2024 Viajes
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Première esquisse de Mada

30 juin 2024

Lorsque je me rapproche progressivement du sol pour atterrir à Tana (le petit nom d'Antananarivo, la capitale), la première chose qui me frappe c'est la très faible densité de végétation. Tana se situe à peu près au centre de cette grande île à l'est de l'Afrique, d'une superficie équivalente à la France/Belgique/Luxembourg réunis, dans une région qu'on appelle les hauts plateaux ou hautes terres, à 1200-1500m d'altitude. Au fur et à mesure que je perds moi-même de l'altitude, une multitude de collines à l'aspect décharné, quasi entièrement pelées, se succèdent, sur lesquelles quelques arbres parviennent à survivre, au milieu d'herbes roussies et de buissons desséchés. Une première impression d'un paysage particulièrement désolé m'envahit.

Située dans l’hémisphère sud, la capitale malgache aborde l'hiver en ce début de mois de juillet, à distance de la saison des pluies qui a lieu l'été, entre janvier et mars. Les conditions climatiques, sans doute, me dis-je...Mais pas que. Rapidement, Liliane, l'amie malgache avec qui je voyage, m'explique qu'il y a encore quelques dizaines d'années, une vaste forêt dominait l'ensemble du pays, y compris dans cette région des hautes terres. Mais la déforestation massive, la culture sur brûlis pour défricher de nouvelles terres cultivables, l'utilisation du bois comme source principale d'énergie dans le pays pour se chauffer, cuisiner, ou la construction, ont transformé en profondeur le paysage de l'île et notamment de cette région, qui subit par ailleurs l'érosion importante des pluies, du vent, et l'appauvrissement des sols en raison d'une agriculture expansive peu régulée, et l'utilisation irraisonnée des engrais et pesticides.

Tana, ville de plus de 2,2 millions (officiellement au dernier recensement), est à l'image de la majeure partie des capitales africaines : une ville grouillante et densément peuplée, polluée, au développement exponentiel et mal contrôlé, point de convergence d'une population nombreuse qui fuit la misère des campagnes pour venir s'entasser en périphérie de la ville, dans des constructions de fortunes faites de bâches et de tôle ondulée au bord de zones marécageuses où s'accumulent quantité de déchets.

Dans la voiture conduite par son frère venu nous chercher, nous pénétrons progressivement le cœur de la ville à la circulation dense, ville quasi en permanence embouteillée, où s'affaire une population diverse qui survit comme elle peut de combines et de petits jobs, gamins des rues mendiant avec insistance auprès des vitres des voitures, revendeurs à la sauvette essayant de refourguer leur camelote, petits cultivateurs proposant quelques petits tas de tomates, d'oignons, ou de petit bois patiemment effiloché pour allumer le feu sous la marmite ; multiples petites échoppes au bord des trottoirs vendant quelques boites de conserve, des bouteilles d'eau ou d'huile et des paquets de biscuits, du riz ou autres légumineuses contenus dans de grands sacs, ou autres petits poissons séchés.

Au milieu de ce vaste trafic circulent quelques pick-up et 4X4 rutilants, et gisent de ci de là de belles résidences protégées par des murs hauts surmontés de barbelés, des édifices volumineux et flambant neufs financés par tel homme richissime du pays, aux accointances connues et assumées avec le président ou l'un de ses ministres, s'il n'est pas devenu lui-même ministre de quelque chose...

Tana la ville aux 12 collines, Tana dont le nom malgache signifie « la ville aux 1000 guerriers » en rapport avec l'histoire de sa fondation. Tana la ville où l'on s'élève des bas fonds vers les hauteurs en fonction de son niveau de richesse, dominée au sommet de sa plus grande colline par les 2 monuments les plus majestueux de la ville, les palais de feu la Reine Ranavalona et de son premier ministre d'antan Rainilaiarivony. Tana enfin, où tous les taxis, de couleur beige bien reconnaissable, sont tous d'authentiques voitures de collection ! : R5, R9 ou R12, 2CV, 4L, ou coccinelle, 205 ou 309...ce qui lui donne un côté particulièrement old school, très amusant et pittoresque.... Mais une ville où finalement, le moins de temps on y reste, le mieux on se porte.

Après avoir rejoint la maison familiale où vivent regroupés plusieurs de ses frères et sœurs avec leurs familles respectives, nous faisons les aimables premières présentations tandis que ses 2 enfants, Tiari et Iriel, retrouvent leurs cousins et cousines respectifs. Notre objectif est de quitter la ville dès le lendemain pour rejoindre le village natal de mon amie Liliane.

Médecin d'origine malgache, travaillant depuis de nombreuses années à la Réunion où nous avons rapidement sympathisé, cette femme au chemin de vie extra-ordinaire, animée d'une force de courage et d'abnégation à toute épreuve, tient à me faire voir ses origines, là d'où elle vient et où vivent encore ses parents, me permettant de mieux appréhender ce singulier parcours qui l'a conduite de sa vie rurale et paysanne à devenir docteur en Médecine, puis à s'expatrier à l'étranger en territoire français pour exercer. Et c'est précisément ce qui a motivé ce voyage et ma présence à ses côtés, l'accompagnant dans cette courte escale qu'elle s'accorde avant de s'envoler en vacances au Kenya, trop heureux pour ma part de pouvoir découvrir ce pays de l'intérieur à ses côtés.

Nous prenons donc le lendemain avec son frère et le plus grand de ses fils la direction d'Andina, village situé à 17km à l'ouest de la ville d'Ambositra et quelques 300 km au sud de Tana, en empruntant la fameuse RN7 qui descend de Tana jusqu'au sud-ouest du pays. Le réseau routier goudronné de Mada est en effet très peu développé, et se limite globalement à un grand axe, colonne vertebrale du pays, s'étendant du nord (RN6 puis 4) au sud (RN7) en passant par Tana, et quelques transversales d'est en ouest reliant ainsi les quelques grandes villes du pays. Tout le reste, ce n'est que de la piste.

Et l'on ne peut pas dire que ce grand axe goudronné soit des mieux entretenu ! Cette lame unique de bitume, pas très large et le plus souvent sans aucune démarcation centrale, qui serpente au gré du relief de cette région formée de multiples collines et plateaux, est en effet truffée de nids de poules, voire plutôt de "nids d'autruche" ou de "trous d'obus", ou de portions de goudron effacées par l'usure. Tout ceci nous amène à accélérer puis freiner en permanence, afin de slalomer et contourner les trous en fonction de la circulation d'en face, ou bien de les affronter de face à très basse vitesse ou en rognant sur le bas côté afin de ne pas exploser un pneu.

Nous accompagnant sur la route, de nombreux taxis-brousse : vieilles 504 break, sprinters cabossés ou autres minibus asiatiques déglingués, dans lesquels s'entasse une foule compacte faisant le trajet, 3 à 5 minimum par banquette (enfants compris !) ; et il n'est pas rare, si ce n'est assez commun, d'en doubler un arrêté sur le bas côté, ses usagers attendant patiemment au bord de la route, le conducteur et ses assistants bricolant sous le véhicule une réparation de fortune afin de pouvoir repartir. Ce qu'on peut dire, c'est que ces véhicules sont utilisés jusque dans la chair oxydée de leurs essieux, témoignant ainsi de la virtuosité des malgaches à faire survivre autant que faire se peut ces véhicules hors d'âge et si durement éprouvés ! Mais je suis quand même content de ne pas être dans l'un d'entre eux pour le moment, rendant plus que aventureux le voyage et incertaine l'heure d'arrivée à bord de l'un d'entre eux.

Le long de la route s'égrènent des paysages de collines pelées, de terre rouge riche en oxydes de métaux (Mada est appelée l'île Rouge pour cette raison), d'effondrements de terrains dus à l'érosion (appelés lavaka), de rizières et de zones de cultures en terrasse, ponctué par moments par la traversée de villages dont les habitations se concentrent pour la plupart le long de cet axe majeur, me renvoyant par moment à des images de villes du Far West américain lors de la grande conquête de l'Ouest. Quelques constructions de béton pour les plus habitations riches, de briques élaborées sur place avec de la terre séchée au soleil puis chauffée dans un four pour les autres ; puis des villages entiers de petites cases en torchis, en branches accolées les unes aux autres, ou en paille pour  les plus reculées, surmontées au mieux d'un toit de tôle ondulée ou à défaut de branchages et de paille, au pied desquelles vivotent assises sur des nattes à même le sol quelques femmes et une multitude d'enfants au sourire généreux, qui peuvent nous saluer au passage et s'écrier "Vazaha ! Vazaha !"  (prononcez Vaza, appelation donnée aux étrangers blancs) en me pointant du doigt.

Ici, pas d’électrification bien sûr, pas d'eau courante non plus. La moindre rivière est accaparée par des femmes qui y font la lessive et étendent plethore de linge au soleil, des enfants y remplissent des bidons jaunes d'eau s'amusent et y font allègrement leur toilette. Sur les rivages de ces cours d'eau, de nombreuses terrasses aménagées où des hommes et femmes y bêchent la terre ou repiquent les semis de riz avec des outils de fortune, et dirigent ou font paître quelques zébus noirs à la bosse nuccale proéminente. 80% de la population à Madagascar est rurale ! Et plus on s'éloigne des villes, plus l'impression qui me frappe est celle d'une vie frugale dans un dénuement quasi complet, loin de toute matérialité. Mais ce n'est pas pour autant que la simple joie de vivre semble les avoir quitté !

Le contraste est fort avec l'émulation bruyante de Tana ! Les véhicules à moteur s'y font de plus en plus rares, et hormis les taxis brousse, les gros camions et les quelques 4X4 qui poursuivent le chemin, posséder une moto (et donc la capacité de payer le carburant qui va avec) est déjà un signe de grande richesse. Quelques autres, pas nombreux non plus, circulent à vélo, et la grande majorité déambule à pied, en rase campagne le long de la route, pour venir et se rendre on ne sait où.

On traverse bientôt un bourg plus important, voire une petite ville, où quelques commerces s'égrènent le long de la route dans des habitations en dur ou en bois. L’électricité issue d'un générateur local refait son apparition, quelques lampadaires alimentés par des cellules photovoltaïques surgissent parfois. Des pousses-pousses humains, des cyclo-pousses, ou dans les plus grandes agglomérations des tic-tic, petit rikshaw à moteur à 3 roues, promènent une population plus densifiée. Puis à nouveau plus rien ou pas grand chose, en dehors de ce paysage de lande désolée à perte de vue, ponctué de ci de là par la présence de quelques arbres ou arbustes isolés, et ce ruban de bitume tout amoché, que des gamins ont par moment rafistolé en comblant de terre un gros trou, et tendent alors le bras aux véhicules en espérant un providentiel petit billet.

Arrivés à Ambositra, nous prenons alors une piste de 17 km, que Liliane et sa fratrie parcouraient à pieds (nus) tous les vendredi soir et dimanche après midi pour se rendre et revenir du lycée, un sac de riz de 20kg sur la tête afin de  pouvoir se préparer à manger dans la semaine, et nous rejoignons enfin le fameux village d'Andina. Ici, les paysages sont beaucoup plus vallonés, et les cultures de rizières s'étagent hauts sur les flancs des collines. Tout ceci donne lieu à des jeux de couleurs et de lumières magnifiques, entre la rougeur de la terre, la verdure des plants de riz, et le reflet scintillant du soleil sur les parcelles irriguées. On perçoit que la terre est beaucoup plus riche et fertile, abondante en eau. Et pourtant. Liliane me raconte que dans son enfance, ces collines étaient couvertes de mandariniers et autres arbres fruitiers, mais que l'utilisation abusive des engrais a tout appauvri, remplacées par ces seules cultures maraichères et de rizière pour pouvoir continuer à produire de quoi manger.

Andina, au bout de la route, est un village paisible, où l'électrification d'un temps a été depuis abandonnée, alimenté par un puits au bas du village où chacun vient approvisionner ses bidons. Des maisons en dur et assez imposantes témoignent toutefois d'une certaine prospérité. Une rue commerçante aux allures de far West offre tout ce qui est nécessaire pour s'approvisionner et subsister correctement, et dominant le village, une majestueuse église de brique me rappelle celles de ma chère région haute-garonnaise. Ses parents, avec l'aide de Liliane, y ont fait depuis construire la maison de leur rêve, joli bâtisse colorée à étage dans une petite parcelle riche de quelques arbres fruitiers, où ils y élèvent poules, canards et lapins. Au centre de la propriété, tel un mémorial, la tombe de Stephan, son défunt mari français, emporté en quelques mois par la maladie il y a quelques années.

Après les salutations chaleureuses à Dada be et Neni be, un bon dîner préparé par leurs soins et une très fraiche nuit de sommeil, nous nous promenons le lendemain dans le village, à la découverte des lieux de son enfance : le centre de santé où sa mère exerçait la profession d'accoucheuse de tout le village et au sein duquel ils vivaient tous réunis, ses parents et leurs 10 enfants, tandis que son père exerçait la profession d'instituteur. L'école primaire et le collège, où ils ont rempli studieusement leurs premiers cahiers. Le petit marché, et la place centrale, où des gamins courent après un ballon en riant. Une balade dans les cultures en terrasses jusqu'à la rivière où elle aimait si souvent aller jouer.

Au fur et à mesure, des souvenirs remontent, mêlant les joies et les épreuves de la vie, parfois empreints de nostalgie, et je tente à mon niveau d'en percevoir l'instant, de saisir quelques brides de cette réalité d'antan, et de tenter de me représenter pas à pas le très long et laborieux chemin de vie parcouru qu'elle me dévoile par petites touches, afin de devenir celle qu'elle est aujourd'hui. A l'heure de préparer le repas, Neni be égorge 3 poulets que nous déplumons ensuite avant que Dada be le dépèce en morceaux, tandis que Liliane nous prépare des mouf brèdes, beignets de cresson/tomate/oignons qu'elle fait frire dans une poele chauffée au charbon de bois. Un régal.

Une immersion progressive pour ma part, à rebours du temps et en sens inverse de ce long chemin parcouru, de la Réunion à Tana, de Tana à Ambositra, et d'Ambositra à Andina.

Merci Lili pour cette belle première approche des multiples réalités de ce si beau et désolant pays à la fois ! Je reviendrai bientôt ici je l'espère, au sein de ta famille, pour célébrer le fameux Famadihana, la célèbre et typique coutume de retournement des morts... si Dieu le veut !;-)

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