Survivre
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Survivre
Année de création : 2003
Publication antérieure : site de Short Éditions (ce texte n'y figure plus aujourd'hui suite à une perte de données)
Source de l'inspiration : Ce texte m'a été inspiré par le premier chapitre de "Rose Madder" de Stephen King. Dans ce premier chapitre, l'héroïne, Rose, est une femme battue, harcelée et étroitement contrôlée par son mari. Un jour, concentrée sur la tache de sang laissée sur le drap de lit par un coup en trop, elle se réveille de sa torpeur, se rebelle et décide de braver sa peur et de s'enfuir. Á cette inspiration de départ se sont ajoutés, pêle-mêle, les souvenirs de prisonnier de guerre de mon père, les récits de la guerre de 1914 dans les tranchées, les considérations sur la jungle, le darwinisme, le complexe de culpabilité du survivant (évoqué dans un autre premier chapitre, celui de "La Porte des cieux" de Sylvie Dervin)... Il en a résulté ce texte.
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Survivre.
Survivre, c’est tenir, tenir le coup.
Survivre, c’est tenir, non pas année après année, ni mois après mois, ni semaine après semaine, ni jour après jour.
Ce n’est même pas tenir heure après heure, ni même minute après minute.
Survivre, c’est tenir – seconde après seconde. Instant après instant. Inspiration après expiration. Expiration après inspiration.
Survivre, c’est oublier le temps. C’est oublier le futur, c’est oublier l’avenir, c’est oublier les projets.
C’est oublier le passé, oublier les souvenirs, oublier les nostalgies, oublier les regrets.
Survivre, c’est ne garder que le meilleur, ne garder que les fiertés, ne garder que les réussites. C’est oublier tout le reste.
Survivre, c’est ne vivre exclusivement qu’au présent. Moment après moment.
Survivre, c’est s‘économiser.
C’est en faire le minimum, ne pas se gaspiller, aller droit à l’essentiel.
Survivre, c’est savoir dire et faire beaucoup avec peu. Savoir dire et faire tout avec rien. Nous sommes tellement habitués à faire beaucoup avec peu que nous serons bientôt capables de faire tout avec rien.
A partir de rien.
Dans le monde de l’oppression, un regard suffit pour exprimer tout un discours. Un geste suffit pour se faire comprendre.
Pour se sauver. Ou pour se perdre.
Survivre, c’est oublier qu’il y a un avant et un après.
Survivre, c’est oublier qu’il existe un ailleurs.
Survivre, c’est ne vivre qu’ici et maintenant, et oublier tout le reste.
Survivre, c’est fonctionner au moment le moment, et ne plus avoir en dehors de ça ni projets, ni regrets, ni espoir, ni mémoire, ni souvenirs, ni avenir. Ni passé, ni futur. C’est vivre exclusivement au présent.
Survivre, c’est n’avoir pour seul projet que d’arriver à tenir jusqu’au moment suivant.
C’est n’avoir pour seul souvenir que d’avoir survécu au moment précédent.
Et oublier qu’on peut avoir des raisons d’avoir des regrets.
C’est avoir des regrets mais refuser d’y penser. Parce qu’y penser, ça tue.
Et qu’on n’est pas là pour mourir, mais pour survivre.
Survivre, c’est vivre comme si seulement ici et maintenant existaient.
Autrement – on crève.
Survivre, c’est arrêter de se poser des questions – et aussi d’en poser aux autres.
Survivre, ce n’est pas se dire qu’on connaît les réponses, c’est se dire que ce qui existe ici et maintenant est la seule réponse, la seule chose dont il faille tenir compte.
C’est jeter au rebut le pourquoi, le comment, et l’autrement. Et refuser de penser à ce qui va, ou peut, ou pourrait, se passer après.
Survivre, c’est n’exister que sur le fil du rasoir. Toujours tendu. Toujours à l’affût. Toujours aux aguets.
Survivre, c’est guetter, pister, déchiffrer, interpréter. Se protéger. Se préserver. S’en retirer. S’échapper. En réchapper. C’est distinguer, discerner, déchiffrer, retrouver la ligne à suivre, fil ténu, la ligne de vie, qui préserve, qui sauve. C’est distinguer une fine ligne grise, guide improbable, dans la nuit environnante. Dans une pénombre où on distingue à peine un fil blanc d’un fil noir.
Survivre, c’est arracher encore un moment de vie à la douleur, au danger et à la mort.
Survivre, c’est se battre en permanence, moment après moment.
C’est ne plus rien connaître d’autre.
C’est essayer de savoir comment on va traîner jusqu’au prochain moment, jusqu’au prochain relais, une vieille carcasse qui ne veut plus rien savoir.
C’est se traîner de relais en relais, inlassablement. Sans même plus se demander, sauf dans ses moments de lassitude, si le voyage a un but, s’il aura une fin, et si ça sert à quelque chose – et si oui, à quoi.
Survivre, c’est encaisser pour éviter le pire. C’est éviter de se battre inutilement.
L’esquive, c’est aussi le combat, et il y a des moments où il faut savoir filer doux. Adopter un profil bas.
Survivre, c’est oublier la conscience, la morale, et le bien, et le mal. Ce sont là des luxes pour les gens qui peuvent se permettre de vivre. Survivre, c’est se maintenir en vie, absolument, à n’importe quel prix, par n’importe quel moyen. Ensuite, quand ça sera gagné, quand ça sera acquis, quand ça sera sûr et plus remis en question, il sera toujours temps de penser au reste, et on pourra se permettre le luxe des regrets et des remords.
Survivre, c’est oublier la beauté, l’élégance, la pudeur, la laideur, l’image. C’est oublier la pose et l’apparence qu’on donne aux autres. On n’a pas le choix, on doit bien s’en moquer, quand la priorité est de continuer d’exister.
Survivre à la survie, survivre à la survivance, c’est accepter le barbare et le reptile en soi.
C’est accepter que survivre, si c’est de l’héroïsme, ça n’a rien de civilisé.
C’est accepter qu’être sublime se fait avec les pieds palmés.
C’est accepter que la lutte pour la vie se fait dans la boue, et n’a rien à voir avec la beauté.
C’est se dire que l’héroïsme, ce n’est pas nécessairement mourir pour une image. Aussi idéale qu’elle soit.
C’est se dire que l’héroïsme, c’est d’avoir réussi à endurer l’inendurable, à supporter l’insupportable, encore et encore. Et de n’y être pas resté. Et d’être toujours là.
Et d’avoir toujours voulu continuer même quand on était tellement épuisé qu’on avait envie d’abandonner. Et d’oublier la route.
C’est se dire que dans de tels moments, beaucoup d’autres ont abandonné.
Mais que soi, on ne l’a pas fait.
Et que là, et nulle art ailleurs, réside tout son mérite à soi.
C’est se dire que la survie à l’épreuve est la médaille dont on a été décoré.
Par la vie. Par le destin.
Par la sélection naturelle.
Qu’elle est, en fin de compte, la preuve de ses capacités. De sa capabilité. De son adéquation. De sa compétence.
Qu’on a été sélectionné, retenu, élu. Et que la vie est la couronne posée sur sa tête pour son intronisation.
Ceux qui posent en héros, et moralisent et esthétisent l’héroïsme, et font du survivant un mythe, ceux-là eux-mêmes n’ont jamais dû survivre.
C’est la vie qui est civilisée. Pas la survie.
La guerre sublime, grandiose et empanachée est une image créée par ceux qui n’ont jamais fait la guerre.
Ceux qui ont fait la guerre savent qu’un champ de bataille n’a rien à voir avec une scène de théâtre. Qu’il n’y a pas de public au balcon auquel exposer sa témérité pour se faire admirer et applaudir.
Ceux qui ont fait la guerre savent qu’elle est en réalité une histoire de boue et de tranchées.
Une histoire de guet, de ruse, de peur et de sang, bien plus qu’une histoire de vaillance, de courage et de bravoure.
La vaillance du guerrier s’exprime plus souvent dans les tranchées et dans les embuscades que dans les grandes charges cinématographiques le sabre au clair.
La vaillance du guerrier consiste plus souvent à résister qu’à foncer droit devant.
Survivre à la survie, survivre à la survivance, c’est savoir tuer le mythe du héros pour pouvoir en accepter la réalité.
C’est accepter qu’un mythe soit un mythe, qu’il est issu de nos rêves et de nos fantasmes, mais qu’il ne rend pas compte de la réalité, et qu’il ne peut pas être utilisé pour l’évaluer.
C’est accepter que la réalité n’a pas la brillance du mythe. Et aussi accepter qu’elle n’en est pas pour autant moins belle.
Et savoir dire qu’elle n’en est peut-être que plus méritoire.
Certaines princesses meurent sans fleurs ni couronnes, sans public ni personne.
Les vrais rois de la vie ne sont pas forcément ceux qu’on croit.
Survivre, c’est ne pas voir plus loin que le bout de son nez. C’est ne pas voir autre chose que ce qu’il y a juste devant soi.
C’est tenir d’urgence en urgence, se traîner de dépannage en dépannage. A chaque seconde suffit sa peine, à chaque problème suffit sa solution, même simplement apparente. Après s’occupera bien de lui-même, et on ne peut même pas se permettre de luxe d’y penser. Survivre ne s’occupe pas de stratégie. Seuls ceux qui en sont arrivés à vivre peuvent se permettre le luxe de penser à long terme. D’évaluer et de soupeser chaque solution, chaque issue possible, et de choisir, bien calmement et après bien mûre réflexion, la meilleure. Survivre, c’est devoir décider sur place, ici et maintenant, tout de suite, à la seconde près. C’est ne pas pouvoir se permettre le luxe des longues, lentes et mûres réflexions. Ça dure trop longtemps, beaucoup trop longtemps, et on n’a pas le temps pour cela, on n’a pas de temps à passer à cela – à perdre à cela. Parce que chaque seconde qui passe est une seconde qui rapproche d’une issue fatale – de la fin de la survie. Le train n’attend pas, il faut l’attraper ou le rater pour de bon, et on n’a aucun moyen de savoir ni si c’est le bon train, ni même s’il y aura un autre train pour soi à prendre après. Il faut saisir l’opportunité au vol au moment où elle se présente – et tant pis si elle est illusoire. On n’en aura peut-être pas d’autre, et si par malheur on n’en a pas d’autre, on est bien dans la mouise.
Survivre, c’est tordre une bonne fois pour toutes le cou à l’insidieuse culpabilité, et s’installer volontairement et confortablement dans le seul confort qu’on aura peut-être jamais : celui de la bonne conscience et de l’auto-justification, qui fait dire que s’il y a des coupables, ils ne peuvent être, nécessairement, que les autres, et jamais soi. Soi, on ne peut jamais être que victime. La culpabilité, la conscience, ce sont encore des luxes que les survivants ne peuvent pas se permettre.
La conscience de savoir que sa survie à soi se fait si souvent aux dépens de la survie de quelqu’un d’autre.
La conscience de savoir que pour que soi-même vive, il faut si souvent que quelqu’un d’autre meure.
La conscience de savoir que l’on survit grâce à la mort de quelqu’un d’autre, et que l’on ne trouve de confort que grâce à l’inconfort et à la souffrance de quelqu’un d’autre.
Le plus grand danger, pour un survivant, ce ne sont pas ceux qui vivent, mais c’est un autre survivant comme lui.
Un concurrent avec soi pour les ressources si limitées de la survie.
L’autre, l’autre survivant surtout, c’est un concurrent. Et le concurrent, c’est le danger. Le concurrent, c’est l’homme à abattre.
Et les gens qui vivent, ce sont des indifférents qui ne partagent rien avec personne – et surtout pas avec soi : s’ils partagent, bien sûr, c’est toujours avec les autres, jamais avec soi ; s’ils donnent, c’est toujours trop aux autres, et jamais assez à soi.
Survivre, c’est un processus égoïste.
Vivre, ça commence avec la solidarité.
Crédit image : © Tim Marshall nzaminori.com
Gand Laetitia hace 2 meses
survivre, quel combat !! Mais vivre, est-ce forcément avec la solidarité dans ce monde tendant vers l'égocentrisme ? Vivre, c'est surtout se recentrer sur soi, ne plus accepter, savoir dire non, stop, s'enfuir pour mieux reprendre sa vie, c'est oser, c'est ne plus penser que l'autre est notre bonheur car le bonheur on en a les clés en soi. Vivre ce n'est plus reproduire des schémas de dépendance, d'aller vers un autre violent, suivre des schémas de violence, c'est apprendre de soi, grandir de ses blessures, les affronter, les comprendre, s'en libérer. Vivre, c'est s'aimer, agir toujours avec amour, se dire que l'autre est un miroir et que tout ce que l'on dit, ce que l'on fait à des répercutions.
Jackie H hace 2 meses
Quand je disais que "vivre, ça commence avec la solidarité", je pensais à la façon dont l'éthologue Jane Goodall situe la naissance de la civilisation : non pas avec l'apparition de l'écriture, non pas avec la production d'un artéfact, non pas avec la construction de bâtiments, de temples ou de pyramides, non pas avec l'invention de l'agriculture ou de la roue, ni avec la découverte du feu, mais... avec le premier fémur ressoudé. Parce que dans la nature sauvage, une fracture du fémur, c'est une condamnation à mort. Plus possible de se nourrir. Pas même de chercher de l'eau. Un fémur ressoudé, cela signifie que le temps que le cal se forme, d'autres individus ont veillé à la survie et aux besoins de son propriétaire. Une révolution en soi dans la "struggle for life"...
Gand Laetitia hace 2 meses
ah d'accord là en effet, réparer un corps aide oui et cela permet de mieux vivre ou disons de continuer sa vie autrement.