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Trois pages manquantes

Trois pages manquantes

Publicado el 25, abr., 2022 Actualizado 25, abr., 2022 Curiosidades
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Trois pages manquantes

Je n’ai rien vu venir. La lecture s’arrête brusquement. A trois pages du dénouement, un lecteur sans scrupule a arraché la conclusion de ce polar. Il arrive qu’on ait compris dès le premier tiers du livre qui a tué la victime, mais présentement l’écriture ciselée de Gustvasen est ponctuée de dizaines de rebondissements qui laisse l’intrigue haletante. Comment un lecteur peut-il se comporter de la sorte ? 211 pages de suspense laissent place à cet acte de barberie. Je ne comprends pas la logique sinon faire du mal à l’objet et à l’âme. Lire n’a rien d’anodin. Un lecteur donne de sa personne, octroie des heures dans son planning afin de s’immiscer dans la peau des personnages qu’il imagine et dessine mentalement. Des images mentales qui se font de plus en plus précises au fur et à mesure de l’avancement des pages. Non, vraiment, qui d’autre qu’un sociopathe peut réaliser ce geste de mépris inexcusable ?

Maxime se roule une cigarette, passe une tête sur son minuscule balcon et maugrée. Assis sur son tabouret pliant, qui rentre juste dans ce qui s’apparente davantage à un garde-corps qu’un balcon, il tire de grandes lattes. Un léger tournis cérébral ne l’empêche pas de grommeler. Aucune autre pensée n’arrive à s’immiscer dans sa tête.

Depuis le troisième étage de son immeuble composé de deux appartements sur sept niveaux, Maxime a une vue équilibrée sur la cour intérieure. La construction voisine est un copier-coller architectural. Heureusement, les chambres donnent sur la rue Voltaire. Ses yeux tombent néanmoins sur le salon de ses voisins, sans voyeurisme de sa part. Quiconque fume ou a tiré sur une clope sait qu’on ne regarde pas ses pieds. Une position inhérente au fumeur vient à l’esprit : accoudé sur la ferrure du balcon, le dos bombé, une jambe croisée laissant la pointe du pied se reposer sur le sol, le regard vers l’horizon. Celui-ci est limité dans une cour intérieure, c’est pourquoi six des sept habitations sont équipées de stores et ou de rideaux. L’intimité n’a guère d’importance pour ce couple de trentenaires, beaux et distingués. Deux personnages de roman ; de son roman dont le lecteur frustré qu’il est devenu veut absolument connaître la fin.  « Il vous siéra de décider à une repentance », intériorise Maxime. Cette sentence lui parle. L’idée de les observer pour comprendre cette issue en suspens résonne telle une évidence. Une transposition du réel pour clore une fiction délivre de la matière pour occuper ses soirées.

L’œil acéré, Maxime dégage une sérénité affolante. N’est-il pas en train de devenir le serial killer voyeur qui apparaît au milieu de polar ? « Appelons les Carola et Fabio comme nos héroïnes, mais je dois me promettre de ne pas avoir la faiblesse de vérifier leur réelle identité au pied de leur immeuble. » Difficile d’identifier depuis sa fenêtre l’imposant grain de beauté sur la joue droite de Carola. « Purée, tu deviens fou. Ne mélange pas tout : le roman et la vie ne doivent pas commencer à tourner à l’obsession dès le premier jour, sinon tu vas crever de cet imaginaire envahissant », se sermonne-t-il. Le doigt dans l’engrenage est enclenché, notre néo-voyeur doit maîtriser ses nerfs afin de ne pas être rattrapé par ce roman qui l’a happé.

Lecteur assidu depuis que M. Gaveau son prof de lettres en seconde générale lui a fait découvrir Oscar Wilde, la prose de Gustvasen a réveillé chez lui une torpeur et une excitation à tourner les pages qu’il n’avait pas ressenti depuis l’année précédente. Un sentiment d’impatience qui manquait à Maxime, heureux de lire mais dont l’exigence de l’intrigue s’est aiguisée comme une lame caresserait la peau tendre d’une jeune femme désirable. Le contraste de l’épiderme blanc apposé à l’hémoglobine peut donner des frissons. Chez Maxime, ce mélange d’un blanc pâle et d’un rouge vif lui remémore la glace à l’Italienne que sa grand-mère lui offrait sur le remblai des Sables d’Olonne, les étés de ses années collège. Un polar pour se souvenir des madeleines de Proust choque les bonnes âmes ; les perverses le dévorent des yeux en se gavant de chouquettes. Une playlist qui chante l’amour, oscillant entre Joe Dassin, Rover, Matthieu Chedid, Metronomy, contrebalance à la lecture de ces récits sombres. Carola et Fabio doivent être vigilants. On ne parle pas des protagonistes du roman mais bien des voisins de Maxime. Sa cigarette consumée depuis vingt minutes ne l’empêche pas de continuer à scruter ce couple sans histoire. Cette dernière appellation est un cliché vide de sens. Tout le monde, y compris le premier timide qui passe ses journées à jouer en ligne en espérant rencontrer le grand amour par écran interposé du fait d’une performance sur le dernier jeu en vogue, a une histoire. Rentrer chaque soir dans son T2 pour regarder un feuilleton télévisuel, scroller son écran et préparer trois fois par semaine des pâtes à la bolognaise, constitue une routine mais cette routine signifie l’histoire de la vie d’un citoyen pour qui la citoyenneté s’arrête au paillasson de la porte d’entrée de son appartement et du SAS de sécurité de l’agence bancaire qui le rémunère 35 heures par semaine. Par conséquent, l’histoire de Carola et Fabio ne s’arrêtera pas à ce canapé qu’ils aiment squatter. Sans surprise, un écran plat se trouve dans l’axe, jouxtant deux énormes enceintes qui laissent à penser que Fabio aime la musique car il se déhanche en solo. « Il a le profil d’un freelance ou d’un développeur salarié à qui le patron a autorisé le télétravail », exprime Maxime. L’absence d’un ordinateur dans le salon s’explique probablement par l’aménagement d’un bureau dans ce qui est la chambre du bébé chez le couple du troisième, juste au-dessus de leur appartement.

Maxime se fait la remarque qu’il a passé de nombreuses heures à fumer en solitaire ou pendant les multiples soirées qu’il a organisées et n’a jamais vu Carola et Fabio s’adonner à une activité sexuelle sur leur canapé. Pudiques, OK. « Ils ont donc conscience que sans rideaux, ils s’exposent à être vus ; je dois donc être prudent dans mon observation. » A l’exception d’un couple exhibitionniste, l’évidence s’impose. Comment expliquer cette visibilité acceptée ? L’exposition plein sud ne tient pas debout car les rayons passent difficilement au deuxième étage d’une cour intérieure. L’explication rationnelle est probablement dans ce détail : donner de la lumière naturelle a un salon qui subit les ombres forcées de la ville. A quoi bon investir dans des rideaux qui prendront de l’espace au sein d’une petite superficie, appuie cet argumentaire.

Sa collègue de bureau, parle de technique de la mouche. Les sens en éveil, les yeux dans le dos, les écouteurs vissés sur les oreilles ne sont qu’un prétexte pour nourrir l’illusion de la sérénité ; ou plutôt de l’indifférence.

Dans le polar déchiré, Carola a été agressée au sortir de la station de métro à 300 mètres de son domicile. Le fameux dernier métro qu’elle a réussi à prendre, les jambes à son cou, en saisissant l’opportunité d’une fêtarde qui a retenu les portes malgré la sonnerie insistante. Une discussion sur leurs soirées respectives s’engage. Carola n’a jamais ressenti le sentiment d’insécurité relayé par des médias prompts à diffuser des idées nationalistes appuyées et mettre en avant les faits-divers. Son quartier du 18e arrondissement est sans commune mesure avec la carte postale de Montmartre, mais les junkies pointés du doigt ne lui ont jamais fait de mal. Ce samedi soir, désinhibée par les mojitos bus avec ses deux meilleures amies, Carola a remis ses écouteurs lorsque que sa compagne de voyage est descendue trois arrêts auparavant. Dans la rue à une heure tardive, comme toute Parisienne qui ne vit pas dans le monde des Bisounours, la fille d’immigrée chilienne reste sur ses gardes. Amélie, sa collègue de bureau, parle de technique de la mouche. Les sens en éveil, les yeux dans le dos, les écouteurs vissés sur les oreilles ne sont qu’un prétexte pour nourrir l’illusion de la sérénité ; ou plutôt de l’indifférence. Sauf que cette nuit d’avril, l’un de ses titres favoris de Parcels explique cet oubli. Surgi de nulle part, un homme aux doigts longs et fins tire Carola le long d’une porte cochère. Le couteau ne sera sorti qu’après la composition des quatre chiffres du digicode. « On fait moins la maligne mangeuse d’avocat. Crois-tu que je vais te découper comme le fruit du pays de ta mère ? », interroge le criminel sur un ton sardonique. Cette précision glace l’héroïne du roman. A celles et ceux qui n’auraient pas assimilé, Maxime se roule une nouvelle cigarette en repensant à sa lecture contrariée. Carola est adossée à la vitre du salon, il n’arrive plus à visualiser la jeune femme qu’il imaginait blonde autrement que dans le corps de « la brune du deuxième étage », quelque peu trapue mais au charme déroutant. Les trois dernières pages auraient permis la compréhension des détails sur la vie intime dont dispose le violeur. Dans 90% des cas d’agressions sexuelles, la victime subit la violence extrême d’un proche. Carola n’a pas évité à cette statistique effrayante. Le terme de viol est caractérisé par les doigts gantés sont passés sous la culotte de la victime, tétanisée, la gorge bloquée et les frissons parcourant son corps mis en alerte.

Les journalistes adeptes de métaphore malvenue use du terme « proie ». Maxime, féministe malgré lui de par sa mère activiste dans des réseaux scolaires pour défendre le droit à disposer de son corps et de la généralisation de la contraception dès le lycée, a apprécié que Gustvasen ne tombe pas dans cet écueil. Les mots ont leur importance. Encore plus dans la dimension romanesque. Un auteur se doit de peser le choix d’un nom ou d’un adjectif. Le polar est un genre littéraire où la tendance au mimétisme sémantique fait rage. La technique de la mouche représente un trait d’esprit qui sort de l’ordinaire et parle au lecteur. Si seulement Carola l’avait adoptée, elle n’aurait pas subi ce viol et le flot de paroles de l’agresseur : « Ce n’est pas ton petit développeur de mes deux qui passent ses journées à télétravailler qui te donnera du plaisir. Je ne comprends pas pourquoi tu te complais dans la médiocrité de ton couple insipide. Tu serais heureuse, surprise, épanouie, auprès d’un gentleman de ma race. » Race ? Ai-je affaire à un xénophobe ou a-t-il utilisé ce terme sans réaliser la portée de mon ressenti, moi la métisse ? Les deux interminables minutes de toucher vaginal terminées, le violeur a sorti son couteau. « Aiguisé comme une lame, pointu comme un couteau. Tu l’aimais ce single de Raggasonic ma belle… » Comment peut-il connaître les goûts musicaux de son adolescence ? Le plus surprenant, relève Carola, est le risque pris à dévoiler des précisions intimes d’une autre époque. Ce pervers réduit l’échantillon de recherche pour les enquêteurs. Carola ne veut pas mourir égorgée, elle prétexte donc une douleur abdominale qui fait relâcher l’attention de son oppresseur. Deux secondes d’inattention qui se transforment en un énorme coup de coude dans les testicules. Hurlant et plié en deux, Carola n’est plus retenue le long de ce corps qui sent un parfum aux effluves poivrées ; elle se rue sur le bouton de sécurité de sortie de la porte cochère. Le bras du violeur n’aura pas raison de la vitesse de sa victime. Carola file à grandes enjambées à son appartement tout en gardant à l’esprit qu’il sait son adresse à l’écoute des précisions intimes distillées. « Serai-je en sécurité chez nous ? Fabien est-il rentré ? Ce pervers me poursuit-il ? » Trois questions qui lui font oublier de sortir les clés de son sac à main. La porte d’entrée de son immeuble des années 1960 se situe dans un renfoncement ; sa lucidité l’invite à rester sur le trottoir. Ça y est, les clés en main, Carola aperçoit le violeur à l’entrée du métro. Lâche jusqu’au bout des ongles, il ne prend pas le risque d’être vu par le groupe de passants fumant une cigarette entre lui et sa victime. 300 mètres suffisent pour décrire une silhouette, alors il ne prend aucun risque avec cette bande de cols blancs discutant forts à 2h du matin à mi-distance. Il repart en sens inverse de Carola en sautant sur un Velib’ qu’il avait laissé sur le mur de l’immeuble dont il connaissait le digicode. La préméditation ne fait aucun doute.

Maxime n’en revient pas. L’intensité et la tension des dialogues intérieurs de ce polar le laisse sans voix. Pourquoi, mais pourquoi l’un des utilisateurs de la médiathèque Bertrand-Delanoë a privé les suivants de la joie du dénouement d’une lecture passionnante ? Une seconde question lui vient à l’esprit : a-t-il arraché les trois pages chez lui dans un excès de folie ou dans les murs de la médiathèque ? Si cette dernière option est retenue, ce ne serait pas le profil d’un sociopathe mais d’un serial-booker organisé qui conservent des trophées. Cette caractéristique organisationnelle soulève le QI supérieur aux tueurs en série brouillon. Ici, c’est grâce à son intelligence élevée que le déchireur de livres a pu anticiper les éventuelles erreurs qu’il corrigera à terme lors d’une prochaine suppression de pages à quelques mètres du personnel de la médiathèque. Il aime prendre le risque d’être vu, son taux d’adrénaline grimpe immédiatement.  Lors de meurtres, le tueur ira acheter tous les titres de presse pour s’assurer que les médias parlent de lui, par vanité ou par attachement à son crime. Des spécialistes de la perversion littéraire, dans la veine d’un Houellebecq, loueraient une érection juste avant de commencer le déchirage silencieux du livre.

La quête de vérité trotte dans la tête de Maxime comme dans celle d’un bourrin au PMU. La différence réside dans la ligne d’arrivée, qui paraît éloignée face au nombre de combinaisons pour dénicher le Quinté dans l’ordre. Mais elle arrive dans le milieu équestre, peu importe le vainqueur ; arrivera-t-elle dans cette histoire de pages arrachées ? Rien n’est moins sûr. Les chaînes d’info en continu ont d’autres faits-divers anxiogènes a diffusé. Quant à la presse locale, aucun médiathécaire n’a relevé la disparition de l’épilogue du polar ; ce qui plairait à un localier de la presse régionale pour boucler « son canard » en période de creux. Conserver un article qui n'a pas d’impératifs temporaires s’appellent « le marbre » dans le jargon journalistique, et c’est une matière précieuse les jours de disette. Pas d’usage de cette roche calcaire chez l’agresseur de Carola. Du bitume pur et dur dans la tradition parisienne post époque pavée a été le lieu de cette scène traumatisante. Une autre scène du roman policier se trouve dans une maison moderne dont raffolent les « magazines de bien-être architectural ». Là aussi, pas une trace de marbre. En revanche, le béton ciré a accueilli une violence farouche suite à une dispute qui tourna au pugilat. Un mort ? Croyez-vous que Gustvasen peut écrire plus de 200 pages sans glisser un meurtrier ? Il n’est pas correct de répondre à une question mais vous disposez désormais de la réponse.

Un viol agrémenté de souvenirs précis de l’adolescence et de la vie actuelle de l’héroïne. Un meurtre né d’un couple habitué aux invectives mais qui n’avait pas coutume de lever la main. Deux raisons de lire sans retenue le roi du polar norvégien. « Je suis devenu tout ce qui a pu se passer, les souvenirs perdus ou complètement déformés. » Cette phrase du chanteur Christophe Miossec imprègne les pensées de Maxime depuis deux jours. Il la trouve appropriée à la visualisation de ses voisins tout en se remémorant le flot des mots de l’un de ses auteurs chéris. 

Les enfants aiment les histoires de grand méchant loup, car ils savent que leurs parents sontVivre en essayant de ne pas faire de mal à autrui, de se préserver des horreurs du Globe en diffusant des pensées apaisantes ; vivre simplement en souriant à ces joies minimes mais qui en disent longs sur la beauté de l’existence ; vivre dans le réel sans perdre l’horizon de la naïveté du sourire enfantin. Le monde qui défile sur les pages d’une fiction ressemble trop rarement à l’univers qui peut devenir le nôtre lorsque nous gardons l’optimisme comme moteur existentiel. D’un autre côté, nos journées parsemées de rituels méritent une échappatoire qui flirte avec le lugubre, ou s’en accaparent pleinement les codes.  Les enfants aiment les histoires de grand méchant loup car ils savent que leurs parents sont là pour les protéger ; puis l’apprentissage de lecture où l’on se fait peur dégage une certaine vision de l’émancipation de la crainte. Il sommeille dans chaque lecteur de roman policier un enfant prêt à lire les pires exactions, des vices à n’en plus finir, de la terreur brute pour abreuver de cauchemars certaines nuits. La mort colle à la peau du polar.

Ce constat ne fait pas avancer la perte de repères de Maxime, qui subit pour la première fois les foudres d’un briseur de détente. La fureur du tueur restera secrètement dans le sillage de l’écrivain. Il existe une solution pragmatique : débourser une dizaine d’euros pour s’accaparer la conclusion attendue. Maxime a connu un rythme de sorties frénétiques qui a eu la fâcheuse habitude de faire chauffer la carte bancaire. Cette faiblesse de l’épicurien se retrouve chez les personnes généreuses : « je te remets ta tournée et j’y vais ». La théorie diffère de la pratique. Le copain en question se dirige vers les toilettes, une latence qui permet à une connaissance de prendre des nouvelles de Maxime et qui, sans lui demander, lui offre un verre similaire à celui qu’il a en main.

Portée par le vent de la soirée, la gueule de bois ne s’arrête pas au foie et au mental. Elle continue à se répandre sur les comptes ; la colonne débit se retrouvant davantage sollicitée que la colonne crédit. C’est pourquoi les livres attendront le versement du prochain salaire et un retour à une hygiène de vie acceptable pour alimenter la trésorerie du libraire de quartier. Gustvasen vendant ses livres à un rythme effréné, Maxime préfère l’achat d’essais d’auteurs en devenir dont la critique présage un bel avenir. L’auteur norvégien sourirait en constatant que Carola et Fabien ne sont plus seulement les protagonistes de son best-seller, mais deux corps domiciliés dans le nord parisien. Donner vie à des représentations littéraires n’est pas une première, son troisième polar a eu la chance d’être adapté au cinéma. Une déception artistique l’avait envahi autant qu’une joie contenue apparue devant les émoluments reçus. Le Scandinave serait peut-être à nouveau déçu qu’un autre que lui se représente différemment ses héros.

Maxime regarde l’horloge posée sur le dessus de sa bibliothèque de son bureau qui affiche 16h45. La médiathèque ferme dans une heure et quart. Ni une ni deux, il chausse ses baskets, jette un coup d’œil par la fenêtre et ne voit plus personne dans le salon du deuxième étage de la cour intérieure. Le jeune Parisien y perçoit un signe de l’univers. Dans les instants de doute, le cartésianisme de Maxime se dissout dans le ridicule. A deux doigts d’oublier les clés à l’intérieur, il retient la porte avec son pied, puis descend les marches deux par deux. Pourquoi une telle précipitation alors que la médiathèque se trouve à dix minutes de marche ? L’impatience d’un lecteur se mesure au pas déterminé qui tend vers son objectif. D’ailleurs, quelle finalité anime ce déplacement « sur les lieux du crime » ? Maxime a décidé de parler de l’arrachage inadmissible de pages. Le professionnel pourra lui préciser si le serial-booker a sévi sur certains livres ? Si oui, appartiennent-ils tous à la grande famille des polars ? La réponse apportée par Monique, 25 ans de médiathèque au compteur, s’avère être clinique. « Le dernier Gustvasen dites-vous. J’avais demandé à ma collègue de le sortir de notre catalogue le temps que celui que vous surnommez « le sociopathe » rachète l’ouvrage. »

Ce grand malade a donc avoué, se réjouit Maxime. La médiathécaire ne délivrant pas plus d’explications, il lui demande sur un ton ferme : « Comment peut-on en arriver à déchirer l’épilogue d’un roman ? Avez-vous une réponse à m’apporter ? Je reformule : vous a-t-il donné la raison de son acte ? » Monique sourit à ce jeune homme qui se prend pour un détective. Elle le sent affecté et trouve son intérêt pour l’objet livre touchant.

- « M. Andureau, ne soyez pas aussi inquiet. J’étais présente lors de l’arrachage des pages. »

- Vous plaisantez, j’espère, rebondit Maxime, choqué.

- D’une nature rieuse, j’évite néanmoins les blagues dans le cadre du travail.

- Arrêtez de me faire mariner, s’il vous plaît.

- Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, écrivait Jean de la Fontaine.

- Merci, je connais mes classiques et ma nature profonde.

- Un saignement de nez conséquent, comme je n’en ai jamais vu, a pris l’emprunteur du dernier Il fallait le voir tenter de stopper l’hémorragie avec son seul mouchoir en papier. Une personne dans la file d’attente de la machine d’emprunt s’est empressée d’aller aux toilettes, mais le distributeur de papier WC était vide. Quant au séchage de mains, il se fait avec la machine qui fonctionne électriquement.

- Monique, c’est bien votre prénom ?

- Oui, pourquoi ?

- Seulement pour vous dire que vous devriez débuter l’écriture d’un roman, Monique. Votre sens de la formule, l’intensité que vous mettez à le narrer, me plaît.

- Merci jeune homme. Tout ça pour vous préciser que ma réserve de mouchoirs étant vide également, j’ai dit à ce pauvre Monsieur de prendre le roman pour soulager cette effusion de sang. Le grammage du papier a permis de cautériser.

- Réaliser une hémostase locale avec un livre du roi du polar me dégoûte.

- Je note qu’un homme dans le besoin a trouvé une solution à l’arrêt d’un saignement dont vous n’imaginez pas la force.

- Maxime remercia Monique par deux diatribes. Il avait enfin réponse à sa question. Que retenir de cette histoire sans fin ? Que ce bon polar a fini dans un bain de sang impromptu.

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