Toi qui as connu une époque où les chanteurs vivaient correctement, comment réagis-tu face à la rémunération moyenne d’une écoute sur Spotify à 0,003 € ?
J’ai vécu le cul dans le beurre. J’ai connu les années 60-70-80 où c’était « sky is the limit ». Je prenais quatre mois en Amérique pour réaliser un album. Pour une chanson, on est allé en Amérique dans des cinq studios différents. C’est fini ça aujourd’hui avec le téléchargement. A l’époque, on achetait des vinyles dans des magasins de disques. Maintenant c’est fini, les gens écoutent la musique online. Moi, je n’aime pas le son sur YouTube, il n’est pas profond et trop aigu. Quand on écoute de la musique avec un téléphone, le son est beaucoup trop synthétique, ça manque de couilles.
Dans le rock ‘n’ roll, il n’y a plus de rock. Il y a plus de rock dans un salon de coiffure que chez les rockeurs. Je parle comme un vieux motherfucker. Dans les années 60, lorsque j’avais 18 ans, on vivait le rock. Mon père avait connu une guerre mondiale, mon grand-père deux. Notre génération était la première à ne pas avoir connu la guerre, mais on se révoltait contre le système, contre le conservatisme. J’ai eu de la chance de vivre cette époque où il n’y avait pas de crise. « Sky is the limit », donc il y avait de la solidarité. Par exemple, je n’ai jamais fumé un joint tout seul. Je ne fume plus de joints car aujourd’hui le joint c’est pour les coiffeuses. On vit le contraire. Je trouve qu’on vit dans un épisode où le conservatisme a une érection comme la Tour Eiffel. Les extrémistes donnent à manger aux autres extrémistes. Les jeunes font des études et apprennent un métier qui n’existera peut-être plus dans 5 ans, mais ils se laissent faire. Fucking hell man !
Parlant trois langues, Européen dans l’âme qui vit à Bruxelles la cosmopolite, tu dois avoir peur pour l’Union Européenne vu le climat ambiant. Penses-tu que l’Europe a encore un avenir à court terme ?
Exactement, l’Europe existera-t-elle dans un an ? Le nationalisme vient partout. C’est l’être humain qui a créé tout ça…
Vois-tu des solutions ?
Je constate seulement, je ne veux pas changer le monde. Je n’ai pas d’ambition. Et quand tout le monde est comme moi, on est vraiment dans la merde ! (rires)
Dans les années 60 là-bas, quand tu avais 66 ans comme moi, les gens disaient : « Regarde, il a 66 ans et il vit encore… »
Il est temps de penser à prendre ta retraite…
C’est trop tard. Je suis né vieux mais je vais crever jeune.
Tu veux mourir sur scène, comme Molière ?
Oui, j’y ai pensé. Mais pas maintenant, car les fleurs sont trop cher. Quel bazar !
Tu as vécu à Paris à la fin des années 80. Pourquoi y es-tu venu ? Es-tu nostalgique de cette époque ?
A cause d’une femme. Le Paris des années 80 avec les Bains Douches et tout le bazar, j’ai connu. Paris était encore Paris. Enfin, Paris est toujours Paris mais c’est devenu différent, beaucoup trop cher. Fucking hell man ! Tu prends une bière et un thé avec ta lady, ça te coûte 10 euros. Ça coûte la peau du cul. Quand t’es jeune aujourd’hui, Paris doit être dur.
Une fois ton histoire d’amour finie, t’es revenu à Bruxelles ?
Elle m’a suivi à Bruxelles et on a fait deux enfants. Mes garçons sont artistes eux aussi. L’un est dans la musique hardcore techno, c’est lui qui m’a fait le graphisme de ma pochette. Mon autre fils s’occupe de mon site et mon Facebook, parce que moi j’ai jamais envoyé un e-mail de ma vie. Je suis un vieux dinosaure.
Tu composes à un moment en particulier ?
J’ai toujours un stylo et un carnet avec moi. J’écris ou je compose en premier, il n’y a pas de règles.
Comprends-tu que certaines personnes ayant une vie rythmée par des journées répétitives aient du mal à s’imaginer les artistes autrement que comme des branleurs mettant des années pour sortir un album, avec l’impression de dormir jusqu’à midi après des nuits à refaire le monde autour d’un zinc ?
C’est vrai ! J’ai eu de la chance de ne jamais travailler. J’aime dire que je voulais être un chanteur de charme, mais je suis un chanteur de charme raté (clin d’œil aux stagiaires de troisième). J’ai eu de la chance. Beaucoup de chance. J’ai fait de la musique pour ne pas travailler. Aujourd’hui, j’ai dû me réveiller très tôt pour venir répondre à des questions à Paris…
Tu aimes dire des conneries aux journalistes pour te marrer ?
Je ne dis jamais de conneries…
Par un malentendu ou de la mauvaise foi de ton interlocuteur, as-tu lu dans la presse des choses que tu n’as jamais dites mais qu’on t’a attribuées ?
Je dis des trucs très impulsifs, donc je paie la fortune de ça. Je suis très impulsif et ma musique est comme ça.
On le ressent notamment sur « Like a Goose ».
C’est une chanson que j’ai écrit avec une gueule de bois, qui parle de ça. C’est mieux de danser comme une oie que nager dans l’alcool.
L’alcool est un bon compagnon d’écriture ?
Non, pas du tout. La drogue, c’est pas bien. J’ai connu plein de gens autour de moi qui se sont brûlés. Pareil avec l’alcool. Il a déjà pleuré mon foie, tu ne peux pas imaginer.
As-tu conscience de coller au cliché du rockeur à l’ancienne ? De par ta grosse voix, on t’imagine fumer comme un pompier.
J’ai arrêté de fumer il y a déjà dix ans. Et quand je bois, je deviens con. Je répète les mêmes choses après avoir bu plus de deux verres. Trois verres, ça ne va plus, je deviens saoul.
Tu parles justement des cons « je veux vivre dans un monde où les cons ne font pas de bruit ». Ca va être compliqué étant donné l’ambiance générale.
Je veux vivre dans une utopie, mais quand le monde est parfait c’est très mauvais pour mon inspiration.
En ce moment, tu dois être sacrément inspiré ?
Ah oui, avec ce qu’il se passe en ce moment, je suis très inspiré. Si Dieu existe, il doit être triste de voir cette race d’êtres humains qu’il a créée. C’est tellement triste de voir ce que font les hommes.
Tu es croyant ?
Je ne suis pas croyant mais je veux que Dieu existe pour nous aider. Je n’ai pas reçu une éducation religieuse.
Tu chantes « Je veux vivre dans un monde où les pessimistes sont optimistes ». De quel camp te sens-tu le plus proche ?
Un pessimiste, c’est un optimiste avec beaucoup d’expérience. (hilare)
En vieillissant, penses-tu que tu dois écrire des thèmes plus sérieux que jeune ?
J’écris en ce moment même. Je ne m’en fous pas. J’écris comme je parle.
Qu’aimerais-tu qu’on dise de toi une fois mort ?
« Ici, c’est la poussière. »
La plus grosse connerie qu’on a écrite sur toi ?
Je ne sais pas. Tant que vous écrivez bien mon nom, je suis content. Quand tu fais la promo, c’est de la branlette car tu ne parles que de toi-même. A la fin d’une journée de promo, tu es vraiment fatigué. Et c’est très mauvais pour mon foie car après je dois aller boire un verre de vin… à cause de vous. Quel bazar !
C’est donc de la faute des journalistes si tu conclues ton album par « Santé » ?
Pour se cultiver, on doit se mouiller. Tu vois le bazar ? « Et on boit à la santé des cocus du monde entier », c’est une chanson d’amour car quand tu es cocu, tu es amoureux.
Tu l’as écrit pour quelqu’un en particulier ?
Pour tous les amoureux, car ce sont seulement les amoureux qui sont cocus. Tomber amoureux c’est comme une migraine, ça vient et ça part.
Au final, tu es un romantique qui se cache derrière une carcasse de rockeur.
Je suis romantique, c’est vrai. (Silence). Je trouve très romantique de manger une moule-frites à Brest, par exemple.
Quels coins de France aimes-tu ?
J’aime la Bretagne, l’Ardèche l’été. Je ne suis pas très montagne, j’aime pas trop le ski. J’aime Toulouse, surtout le Bikini qui est un super club que je connais depuis les années 80.
Tu fais du sport ?
Le 100 mètres à coucher. Je fais aussi deux heures sur une scène.
Ça doit être fatigant de parcourir une scène ?
Pas du tout. Quand je ne suis pas en tournée, là c’est fatigant, car je traine dans les bars. En tournée, je ne bois pas une goutte.
Tu voyais Miossec quand il vivait à Bruxelles ?
Je l’ai vu deux fois et je connais ce qu’il fait depuis très longtemps.
Quels groupes belges actuels nous conseillerais-tu ?
J’aime Balthazar, Goose, Canon. Il y a beaucoup de bons groupes en Belgique. Et mon copain Paul Stromae, qui m’a fait des chansons.
Jean-François Joubert hace 2 años
Superbe entretien, vous avez un regard, une plume... ce fût un plaisir de le lire