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Chapitre 4

Chapitre 4

Publicado el 3, mar., 2024 Actualizado 3, mar., 2024 Humor
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Chapitre 4

 

Aujourd’hui je suis motivée à ne pas retrouver mon lit ni mon canapé. C’est que j’ai des choses à faire. Beaucoup de choses d’ailleurs. J’ai commencé par me faire une espèce de chignon mal fait pour maintenir mes cheveux poil de carotte sur ma tête. Un rapide brossage de dents, un coup d’eau froide sur la figure et me voilà prête à entamer ce qui s’apparente presque à un déménagement.

Surimi ne bouge pas mais je me demande s’il me regarde. Postée devant le bocal avec mon portable dans les mains, je cherche des chants de baleine sur une plateforme de streaming. Dès que j’ai les premiers résultats je lance la musique et rapproche l’enceinte bluetooth du bocal.

— Un petit peu de musique remonte toujours le moral. Puis là il s’agit de tes congénères Des très gros poissons qui nagent dans les océans.

Les baleines sont des mammifères marins mais j’ose penser que Surimi ne le sait pas et qu’il ne fera pas la différence. Il n’y a aucune certitude qu’il entende les sons, mais peut-être est-il sensible aux vibrations ? Après tout, même les plantes sont sensibles à la musique. Surimi le sera lui aussi. J’en suis certaine.

Après avoir remonté mes manches, je commence à tirer les chaises et à les mettre les unes sur les autres contre la fenêtre. Je tire ensuite la table en me plaignant qu’elle est lourde. J’avais pourtant dit à mes parents qu’elle était trop grande pour moi. Mais ils tenaient tellement à me l’offrir… Avec son socle en marbre, je dois mettre toutes mes forces pour réussir à la déplacer de quelques malheureux centimètres.

— Bon, on va demander à SuperLili de nous aider aussi pour la table. Tu sais qu’Aurélie est très forte ? Elle va à la salle deux heures toutes les semaines et prend des cours de fitness. Le sport c’est sa grande passion. Un peu comme moi avec les livres.

Je tourne régulièrement la tête vers le bocal, trouvant normal de regarder mon poisson quand je lui parle.

— Peut-être que je devrais mettre la table de l’autre côté pour qu’elle ne gêne pas ? Avec l’aquarium le passage sera plus petit et j’ai peur de me cogner dans l’angle… j’analyse à voix haute.

Devant mon buffet, j’ouvre une première porte et commence à sortir une pile d’assiettes. Je l’emmène sur la table basse que j’ai déjà poussée contre le canapé pour avoir plus d’espace.

— Ces services sont un cadeau de tonton Pierre. Je les trouvent très laid et encombrant. Mais si je m’en sépare il ne s’en remettra jamais. Alors je les garde, dans le buffet, alors qu’ils ne me servent à rien. Par contre ils prennent de la place, ah ça oui.

Je continue mes aller retours avec le reste des assiettes puis passe aux plats.

— Une soupière, je dis en l’amenant sur la table. Franchement, est-ce qu’un jour j’aurais besoin d’une soupière ? En plus elle est aussi affreuse que les assiettes. Mais c’est tonton Pierre qui me l’a offerte alors… je répète en revenant prendre les premiers verres. Et eux, les verres à vin, tu as vu leur taille ?

Je bouge le verre devant le bocal pour que Surimi le voit bien.

— Moi qui ne bois pas une goutte d’alcool et trouve que le vin ça sent le vomi. Qu’est-ce que je vais faire de tout ça ? Il va falloir que je demande à tonton Pierre s’il ne veut pas récupérer sa vaisselle, on ne sait jamais…

 

Toute la vaisselle trône au pied du canapé et sur la table basse. Je m’essuie le front avec ma manche en soufflant L’opération a été plus physique que je l’avais imaginé. Puis je ne suis plus vraiment habituée à bouger, ma principale activité ces derniers temps se résumant à rester au fond de mon lit. Après tous ces efforts, je me serais bien étendue quelques minutes sur le canapé s’il était accessible. Au lieu de ça, je retire les tiroirs du buffet et les pose à même le sol dans un coin où ils ne gêneront pas. Lorsque je repasse devant le bocal, mes yeux remarquent immédiatement que mon poisson n’est plus au même endroit.

— Tu as bougé, je m’enchante en m’approchant. Tu aimes la musique ? Attends je vais te trouver des bruits de la mer…

Je cherche des sons susceptibles de plaire à Surimi et lance la musique.

— Voilà, tu vas te croire en plein océan après. Je t’ai même acheté quelques décorations. Des roches et aussi une petite caverne. Tu pourras aller te cacher dedans et t’amuser avec. Oh j’ai aussi pris un moulin. C’est pour faire les bulles, apparemment tu en as besoin pour respirer. Et en même temps ses ailes tournent. Ca devrait beaucoup te plaire, non ?

Un bip émane de mon téléphone. Je me détourne de mon poisson et déverrouille mon écran.

— Oh j’avais déjà oublié, je râle en lisant le rappel de mon rendez-vous à 10h chez ma généraliste le lendemain.

Je repose le portable et revient face à Surimi pour reprendre notre discussion. Là, je vois qu’il s’est de nouveau déplacé.

— C’est bien mon petit chat, il faut bouger. Tu vas finir par nager ? Il faut que tu nages. Comme moi qui me lève. On va se soutenir entre dépressifs !

L’après-midi je passe un long moment sur mon lit avec l’ordinateur sur les genoux. J’ai trouvé un forum d’aquariophilie qui va me permettre de prendre soin de mon p’tit mec sans faire d’erreur. D’abord je m’inscris, me crée un profil et poste un premier message en me présentant.

 

Message de Lou – 03-04-2022 – 15h18

Bonjour,

J’ai acheté mon premier poisson rouge il y a deux jours, à l’occasion du 1er avril. Je n’ai pas réfléchi au pourquoi, j’ai vu qu’il y avait une offre 1 poisson acheté 1 bocal offert et je suis rentrée avec mon poisson et mon bocal sous le bras.

Hier j’ai appris que ce n’était pas du tout l’habitat adéquat pour un poisson et je dois me faire livrer un aquarium (180 litres) aujourd’hui.

Mes connaissances en matière de poisson sont si médiocres que j’espère apprendre comment rendre mon Surimi heureux grâce à vous.

 

Je relis ce que j’ai écrit. Trouve mon message correct et le poste. Plus qu’à attendre…

Dans la cuisine je récupère deux kiris dans la boite et revient devant le buffet. La musique s’est arrêtée, mon enceinte connectée est visiblement déchargée. Je la branche avec une rallonge pour la laisser tout proche du bocal et remettre le chant des baleines. Au même moment l’interphone sonne et je m’empresse d’aller répondre.

— P’tit mec, c’est ta nouvelle maison ! je le préviens en ouvrant la porte.

Deux livreurs arrivent avec deux gros cartons.

— Bonjour, me disent-ils en entrant.

Je remarque immédiatement la taille de l’un des cartons. Ils l’amènent sur un chariot et le soulèvent tous les deux pour le poser dans mon entrée. Le deuxième est déjà beaucoup moins imposant.

— Une petite signature, me demande l’un des livreurs en me tendant la facture et un stylo.

Je signe et referme la porte. L’immense carton bouche presque l’accès au couloir. Je grimace en essayant de le pousser de quelques centimètres pour passer. Revenue devant le buffet, je pose mes mains sur mes hanches en regardant le meuble.

— Il ne va pas dépasser, me dis-je pour m’en persuader.

Aurélie risque de me piquer une crise si l’aquarium n’est pas pile à la bonne taille.

— Il va rentrer. Hein Surimi ? Mais oui il va rentrer, je répète en allant chercher le deuxième carton.

Je le traine dans le couloir jusqu’au salon où je le déballe. Il n’y a pas beaucoup de planches pour le meuble et une notice qui m’a l’air bien expliquée. Quelques chevilles et des vis de différentes tailles. Je récupère ma caisse à outils dans la pièce qui me sert de débarras et revient en remontant mes manches.

— Allez mon petit chat, c’est parti ! Maman commence à construire ta future villa.

A dix-sept heures trente, je m’assois à la table de cuisine en avalant un verre d’eau. Rester aussi longtemps à ne rien faire, puis du jour au lendemain bouger dans tous les sens n‘est vraiment pas à recommander. Je le sais maintenant. Et je sens que j’aurais des courbatures le lendemain. Mais au moins, le meuble sur lequel poser l’aquarium est monté et prêt à inaugurer sa nouvelle place. En même temps que je bricolais, je racontais des bribes de ma vie à Surimi. Comment je me suis retrouvée à vivre ici, dans ce grand duplex, aux portes de Paris. A quel point j’ai insisté pour que mes parents ne m’achètent pas ce logement beaucoup trop grand pour moi seule. Maman me disait « mais pense à l’avenir, quand tu auras des enfants » et Papa qui la soutenait en ajoutant « et tu pourras même nous prendre avec toi quand nous serons trop vieux pour vivre seuls. » Ils avaient des drôles d’idées…

J’ai expliqué à Surimi que mes parents étaient agents immobiliers et qu’ils étaient propriétaires de plusieurs logements, sans compter leur maison en bretagne dont ils avaient hérité. Mais jamais je n’aurais imaginé qu’ils m’achètent un duplex à Saint Mandé. Qu’est-ce qui avait bien pu leurs passer par la tête ?

Eux habitent un charmant appartement dans le deuxième arrondissement de Paris, rue Vivienne. C’est là-bas que j’ai grandis et j’ai quitté le nid à mes dix-huit ans pour m’installer dans un studio très simple à Gentilly, dans le Val de Marne. Et voilà qu’à mes vingt ans, mon propriétaire veut récupérer son logement et qu’il me met presque dehors. Papa voulait lancer une procédure, faire un procès à cet homme infame qui m’avait traitée de façon odieuse. Heureusement j’ai fini par le convaincre de ne pas le faire. Mais il n’empêche que la date où je devais quitter le studio se rapprochait et que je n’avais pas trouvé de nouveau logement. Mes parents étaient prêts à m’héberger momentanément, mais j’ai refusé. Alors ils m’ont dit qu’ils se chargeaient de me trouver un toit. Je m’attendais à un petit appartement, avec deux pièces au maximum et peut-être un petit balcon. Mais non. Ces deux-là ont décidé de m’acheter un duplex de plus de cent mètre carré. Le genre d’habitation que je n’avais vu que dans des films. Avec des grandes baies vitrées, des peintures blanches sur tous les murs. Du parquet flottant dans toutes les pièces excepté la salle de bain, les toilettes et la cuisine qui avaient du carrelage. Aujourd’hui, je suis propriétaire d’un logement au 54 rue de l’alouette. Un logement dans lequel je n’ai que très peu de meubles. Moins j’ai de meuble, moins j’aurais de bazar. Et ne pas avoir de bazar chez moi me donne l’impression d’avoir un plus grand espace vital. Je n’ai presque rien à ranger. Ca tombe bien puisque j’ai horreur de faire du rangement. Et avoir un logement bien ordonné me désencombre la tête. Mon cerveau y voit plus clair et je me sens plus apaisée. Du moins c’était le cas avant le mois de novembre. De ma rupture avec Mickaël. De ma dépression…

 

A presque dix-neuf heures Aurélie sonne et je vais lui ouvrir impatiente.

— J’ai cru que tu n’arriverais jamais.

— Le périphérique est bouché, il y a eu un accident à porte d’Ivry. Bref…

— Tout est prêt, avec Surimi nous t’attendions pour le grand déménagement.

Mon amie retire sa veste et pose son sac où elle trouve de la place.

— D’abord, nous devons pousser le buffet. Ensuite il faudra mettre le meuble et poser l’aquarium dessus. Et seulement après nous pourrons mettre le buffet devant la fenêtre. Tu veux que je commande des pizzas ? Comme ça dès que le déménagement est terminé on peut manger.

— Si tu veux, s’amuse Lili en voyant mon enthousiasme.

— C’est parti pour les pizzas.

J’attrape le téléphone et cherche le numéro dans le répertoire.

— Une végétarienne ou tu veux changer ?

— Non, je ne change pas.

Aurélie observe le buffet et se frotte l’arrière de la tête en l’imaginant devant la fenêtre. Dès que la commande est passée, je repose le téléphone et me met devant l’un des côtés du buffet.

— Oh ! Attends je déplace Surimi.

Je saisis précautionneusement le bocal et le dépose doucement sur la table.

— C’est bon. Prête ?

— Tu n’as pas honte de me faire travailler à cette heure-ci.

Je lui fais les yeux doux avec un petit sourire et Aurélie éclate de rire en attrapant le buffet des deux mains.

— J’ai prévu les serviettes éponge pour et pas rayer le parquet. J’ai aussi pensé qu’il glisserait mieux.

On le soulève en même temps mais Aurélie a moins de difficultés que moi. Rien que glisser les serviettes sous le meuble m’a essoufflée comme un bœuf.

— On le pousse par-là. Et il faudra aussi décaler la table, j’ai voulu essayer toute seule mais… j’ai vite admis que je n’y arriverais jamais.

Aurélie rigole et nous faisons glisser le buffet en poussant de toutes nos forces. Je continue de souffler alors que le meuble est en travers de la pièce.

— Allez, pense à ton arête et gonfle les muscles.

Dès que le buffet est assez éloigné du mur, nous plaçons le meuble bas avec deux portes et un tiroir.

— C’est le moment d’ouvrir le gros paquet, dis-je en frottant mes mains.

Aurélie et moi coupons le carton sur toute la longueur pour l’ouvrir comme un morceau de pain.

— Et bien elle va en avoir de l’espace pour nager ton arête.

— Tu as vu, je lui ai acheté un petit océan.

Mais nous aurons le temps de discuter après, lorsque les pizzas seront livrées et qu’on les mangera. Pour le moment, nous nous concentrons à savoir comment prendre le grand bac en verre pour le déplacer.

— N‘oublie pas de plier les genoux avant de soulever, me rappelle Aurélie.

Je souffle un bon coup et soulève le bac avec elle. Dès qu’il est tout proche du meuble, nous prenons notre élan pour le poser dessus.

— Purée ! Il fait son poids, je lance en passant ma manche sur mon front.

Le plus dur est fait. Nous tournons le buffet pour le placer contre la fenêtre, en face de l’endroit où il était avant. Aurélie souffre autant que moi pour déplacer la grande table, ça me rassure presque. Il n’y a pas de raison que je sois la seule à avoir des courbatures le lendemain.

— Depuis quand tu écoutes des bruits de la mer ?

— C’est pour Surimi. Pour le rassurer et qu’il se sente encore plus dans son élément.

— Evidemment, fait Lili en haussant les sourcils.

Elle m’aide à remettre la vaisselle dans le buffet lorsque le livreur arrive avec les deux boîtes à pizza.

— C’est le moment de manger. Après l’effort…

Dans la cuisine, nous mangeons face à face en papotant de tout et de rien.

— Au fait, je me suis inscrite sur un forum d’aquariophilie. J’espère qu’ils vont me donner plein de conseils.

— Ma Loulou redeviendrait-elle sociable ? Pincez-moi je crois rêver.

— Gnagna, je lui lance en faisant une grimace.

— Ce poisson est en train de te transformer.

— Même pas vrai, je susurre en croquant dans ma part de pizza débordante de fromage.

 

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